La magnifique salle de l’OPR accueille du 21 au 29 juin, l’une des œuvres opératiques les plus célèbres du 20e siècle. Entre un livret puissant, une musique unique, et un éventail de voix remarquables, le public a été transporté par cette œuvre admirablement mise en scène.
Francis Poulenc est né en 1899 à Paris. Sa maman lui apprend le piano dès l’âge de cinq ans. Son père est un grand industriel français, à l’origine de la création du groupe qui deviendra Rhône-Poulenc.
Francis se perfectionne au piano auprès de Ricardo Viñes qui lui fait rencontrer Erik Satie, Claude Debussy et Maurice Ravel. Sa première composition jugée trop « moderne » lui ferme les portes du conservatoire, mais le fait remarquer par Igor Stravinsky. Au cours de sa vie, il gravite parmi les poètes d’avant-garde, comme Jean Cocteau, Guillaume Apollinaire (il composera l’opéra Les Mamelles de Tirésias d’après une œuvre de celui-ci), Max Jacob et Paul Éluard dont il met plusieurs poèmes en musique également.
Même si Poulenc étudie la composition avec Charles Koechlin, il reste un autodidacte, à la musique inclassable et réellement typique.
Moine ou voyou : un compositeur ambivalent
Après des compositions légères (dont les chansons gaillardes) la mort de plusieurs amis et du compositeur Pierre-Octave Ferroud, puis un pèlerinage à la Vierge noire de Rocamadour le ramène à sa foi catholique. Après avoir perdu deux de ses compagnons, Francis Poulenc se sent envahi par la peur de la mort, et c’est dans ce contexte que Guido Valcarenghi, directeur des éditions Ricordi, lui propose un ballet sur Sainte Marguerite de Crotone, qu’il décline. Néanmoins touché par ce sujet religieux, il accepte la seconde proposition de celui-ci : raconter le martyre des carmélites de Compiègne. Il accepte de prendre en charge la composition mais demande également de se charger du livret. Celui-ci s’inspire d’un scénario posthume de Georges Bernanos et d’une nouvelle de l’autrice allemande Gertrud Von Lefort (La dernière à l’échafaud).
Dialogues des Carmélites est l’œuvre de sa vie, elle l’habite littéralement de 1953 à 1957, quand l’opéra sera représenté en italien à la Scala de Milan et quelques mois plus tard, en français à l’Opéra de Paris.
Un opéra atypique
« Dialogues des carmélites » est un opéra qui ne parle ni de passion amoureuse, ni de jalousie, ni de meurtres, ni de suicide, ni de folie. Il est basé sur une histoire vraie, celle de religieuses, prises dans la tourmente de l’histoire, et de la Révolution française, et qui finiront à l’échafaud.
L’opéra est composé de trois actes, eux-mêmes découpés en différents tableaux, ponctués d’interludes. Ce n’est pas non plus une œuvre avec de grands airs. Elle ne verse pas dans l’atonalité en vogue à l’époque, mais elle propose une succession de récitatifs mélodiques. À chaque personnage correspond un motif récurrent, l’orchestre habille le livret de façon subtile. L’arrangement offre des moments de grandeur pour les chœurs vocaux.
Il regroupe également une distribution essentiellement féminine, et dans la version qui est présentée à Liège, nous pouvons entendre des artistes extrêmement talentueux.
L’histoire
Elle se passe pendant la Révolution française. On suit le destin de Blanche de la Force, une jeune aristocrate extrêmement impressionnable. Elle porte en elle une grande angoisse de la vie et de la mort, qui lui vient des circonstances de sa naissance. En effet, lorsque sa maman l’attendait, elle a été prise dans une révolte populaire, et choquée, elle est rentrée chez elle et est morte en donnant naissance à Blanche.
La jeune femme grandit ainsi entre son père et son frère, bienveillants et très protecteurs. Un soir de 1789, alors qu’elle assiste à un office religieux, elle rentre chez elle, alors que la rue vit ses premiers élans révolutionnaires. Épuisée par la peur, elle annonce à son père et son frère qu’elle entre au carmel. Là-bas, elle rencontre la prieure qui est très malade. Elle l’accueille parmi les novices, non sans lui avoir dit que le couvent était un lieu de prière et non un refuge.
Au carmel, Blanche se lie particulièrement à une autre jeune sœur, Constance, joviale et positive, elle a néanmoins la certitude qu’elles mourront ensemble et jeunes.
La prieure, gravement malade, vit ses derniers moments, et meurt dans de profonds tourments, terrorisée par la mort. Blanche se demande comment une femme qui a voué sa vie à la prière et à se préparer au trépas peut mourir de la sorte, ce qui ne manque pas de l’angoisser plus encore. Constance évoque alors l’idée que la prieure est peut-être morte pour quelqu’un d’autre. Au moment de sa mort, la prieure recommande Blanche à Mère Marie.
La deuxième partie de l’opéra se déroule pendant la Terreur. Les révolutionnaires imposent de plus en plus de contraintes et de restrictions aux ordres religieux. L’aumônier se voit interdire de dire la messe, et la peur s’empare de tous et toutes. Le chevalier de la Force essaie d’emmener sa sœur pour la mettre en sécurité hors du carmel, mais elle refuse. Il part donc seul se réfugier à l’étranger. Peu après, des révolutionnaires frappent à la porte et annoncent aux religieuses qu’elles vont être expulsées hors du couvent. Peu avant leur expulsion, Mère Marie propose aux sœurs de faire le vœu de martyre, mais il doit être fait à l’unanimité. Le vote secret révèle une voix dissidente, mais sœur Constance affirme qu’il s’agit d’elle, afin d’épargner la honte à son amie Blanche, et elle demande de faire ce vœu. Terrorisée, Blanche prend la fuite, mais se retrouve dans la maison de son père, en tant que servante, alors que son père a été guillotiné.
Alors qu’elle est maltraitée par les anciens serviteurs de sa famille, elle apprend que les sœurs ont été emprisonnées.
Madame Lidoine, la nouvelle prieure qui était allée chercher des provisions à Paris rejoint les sœurs et les accompagne dans leur vœu de martyre.
Les religieuses emprisonnées prient, quand soudain, un geôlier vient leur annoncer leur condamnation à mort. Sœur Constance qui a rêvé du retour de Blanche, est sûre que celle-ci va les rejoindre.
La scène finale, un monument d’émotion, montre les carmélites montant à l’échafaud, sous la lame de la guillotine. Elles chantent un « Salve Regina », entrecoupé par le bruit des exécutions. A chaque coup de lame, une voix du chœur s’éteint, poussant l’effet dramatique à son paroxysme. Alors qu’elle se dirige vers l’échafaud, Constance voit arriver son amie, transfigurée par la Grâce, qui vient la rejoindre dans la mort. Ce sera sa voix qui s’éteindra sur les dernières notes de l’orchestre.
Une mise en scène sans faux pas
L’équipe de mise en scène, entièrement féminine, Marie Lambert-Le Bihan, Cécile Trémolières (décors et costumes) et Fiammetta Baldiserri (lumières), a saisi parfaitement les subtilités de l’œuvre et a pu transcender le livret, en faisant ressortir les moindres nuances du texte. Les costumes d’époque sont parfaitement intégrés dans un décor qui s’est transformé en intérieur cossu, en chapelle de couvent, en prison … Le tableau final se déroule sous une immense lame de guillotine qui étend son ombre sinistre sur les dernières notes de l’opéra. Les savants jeux de lumière ont dispensé une atmosphère tout en nuances. Magnifique !
Et les voix ?
Les graves profonds de Patrick Bolleire (Marquis de la Force), donnent au personnage de père, un côté tendre et bienveillant. Bogdan Volkov (Chevalier de la Force) a une voix éblouissante, dans laquelle il a pu insuffler un maximum d’émotions. Mais bien entendu, Dialogues des Carmélites a laissé la part belle à une distribution féminine aux tessitures variées.
La contralto Julie Pasturaud, permet d’apprécier un type de voix qui n’est pas très fréquent dans les opéras, elle donne à son personnage (La prieure) un tragique palpable.
Blanche est interprétée par Alexandra Marcellier, une jeune soprano qui a rejoint les scènes internationales depuis 2017. Dès les premières notes, on comprend pourquoi elle a été consacrée aux Victoires de la Musique classique (catégorie révélation). Son chant laisse transparaître ses peurs, ses émois, ses questionnements. Impossible de ne pas se laisser emporter.
Dans le rôle de Mère Marie, Julie Boulianne est attachante, et convaincante. Sheva Tehoval, dans le rôle de Constance offre au personnage de Constance, un beau côté pétillant et joyeux, elle possède une technique remarquable, et c’est probablement le rôle le plus attachant de la distribution.
Claire Antoine (Mme Lidoine) quant à elle, se distingue particulièrement lors de la scène de bénédiction des sœurs, où elle donne force et émotion à son personnage. Sa voix puissante n’a laissé personne indifférent et a été applaudie à juste titre.
Les différents chœurs de femmes de l’œuvre exaltent toute la profondeur et toute la ferveur de l’œuvre, pas le moindre faux pas dans cet opéra, dirigé avec brio par la cheffe Sperenza Scappucci, qui avait retrouvé la fosse de l’Opéra de Liège pour l’occasion. Une vraie réussite pour clôturer la saison 2022/2023 !
Les représentations
Les mercredi 21, vendredi 23, mardi 27 et jeudi 29 juin à 20h.
Dimanche 25 juin à 15h.