« Pluto » sur Netflix questionne notre perception de l’IA
La série animée Netflix « Pluto » réinvente le manga emblématique de science-fiction « Astro Boy » et propose une trame mystérieuse débordant de thématiques lourdes de sens. Décortiquons les messages profonds véhiculés à travers ce récit.
Écrit et illustré par le mangaka japonais Naoki Urasawa, Pluto (2003) est une série de mangas de science-fiction réinterprétant la célèbre histoire d’Astro Boy (1952) intitulée « Le Robot le plus fort du monde » (déjà sans aucun doute très sombre à l’origine) en un manga destiné à un public plus averti. Cette approche cynique renferme une analyse poussée de sujets significatifs autour des nouvelles technologies et la façon dont l’humanité est susceptible d’y réagir, un aperçu hautement probable de notre avenir.
Netflix a sorti son adaptation animée du manga le 26 octobre et la série de science-fiction composée de huit épisodes d’une heure chacun a déjà enregistré de nombreux retours positifs de la part des spectateurs.
Pluto à la tv, une vision alternative d’un classique du manga
Osamu Tezuka, artiste japonais pionner de l’univers du manga et créateur d’Astro Boy, a eu une telle influence sur les création et redéfinition des techniques et genres d’écriture du manga et même d’animation dans le monde entier qu’il a été sacré « Parrain du Manga » au Japon. Sa contribution remarquable a façonné des générations entières. Il n’est dès lors pas surprenant qu’Astro Boy, reconnu comme le premier anime diffusé en dehors du Japon, se voit attribuer une version remaniée plus moderne, en particulier après son succès mondial « Le Robot le plus fort du monde », une histoire qui a évolué au fil des décennies à travers diverses relectures et qui a eu un impact important sur le travail de Naoki Urasawa, au point de recevoir une adaptation Netflix.
« Le Robot le plus fort du monde », manga majeur de 178 pages sur lequel l’histoire de Pluto s’appuie, raconte l’histoire d’un robot nommé Pluto, conçu pour être le roi des robots. Créé par le sultan Ababa, l’objectif principal de Pluto est de détruire les sept robots les plus puissants au monde et, parmi eux, Astro. L’intrigue, qui semble simpliste au début, explore le désir de destruction inhérent à l’humanité, celle-ci usant de tous les moyens nécessaires pour atteindre des objectifs arbitrairement égoïstes, même en heurtant les autres. Malgré toute la souffrance causée par Pluto, ce dernier est considéré comme innocent, alors que les humains mêlés à cette animosité inutile sont les vrais fautifs.
Déconstruction des conséquences de l’IA par le biais d’une intrigue policière
Sur les traces d’Osamu Tezuka, Naoki Urasawa élabore un scénario complexe axé sur l’enquête de multiples meurtres impliquant des robots et des humains. Le scénario débute sur l’assassinat violent du robot suisse Montblanc. Acclamé avec effusion par tous, humains comme robots se rassemblent pour pleurer son décès. Lors de la découverte d’un second meurtre, cette fois celui d’un humain œuvrant en faveur de l’égalité pour les robots, le détective d’Europol Gesicht, un robot humanoïde très complexe, est introduit dans l’histoire en tant qu’enquêteur chargé de l’affaire.
Ne sachant pas encore si le coupable est un humain ou un androïde, il trouve rapidement des preuves de ce qui semble être le nom et l’intention du meurtrier. Il se rend compte que l’entité mystérieuse, vraisemblablement appelé « Pluto », a échafaudé un plan afin d’anéantir les sept robots les plus sophistiqués de la planète, qui ont également pris part à la 39e guerre d’Asie centrale. Gesicht tente désespérément de sauver les robots ciblés restants, tout en naviguant à travers ses souvenirs douloureux, dans un monde où la simple coexistence des humains et des robots est menacée par la peur et la haine.
Comme en témoignent l’animation exceptionnelle, les rebondissements imprévisibles, les sous-développements invitant à la réflexion, les dialogues percutants et l’histoire formidablement palpitante, l’auteur tisse son récit tout en préservant l’âme et l’essence d’Osamu Tezuka et imprègne l’adaptation d’une angoisse sinistre et d’une sensation de désastre imminent constantes, s’alignant parfaitement sur les morales poignantes de l’histoire. Les épisodes peuvent paraître longs à première vue mais ils défilent extrêmement vite et les fins ouvertes donnent envie aux spectateurs d’en savoir plus.
Sentiments d’empathie envers des robots exploités
Au-delà de l’enquête principale, de nombreux thèmes sont abordés, à savoir l’essor de l’intelligence artificielle, le transhumanisme et la nature intrinsèquement destructrice de certains humains, en conflit avec d’autres êtres humains qui aspirent à la paix, à l’égalité et à la justice pour les robots.
Alors que l’intelligence artificielle devient de plus en plus essentielle au progrès et à la recherche scientifiques, l’anime tombe à point nommé pour illustrer les conséquences d’un tel bond en avant, faisant ressortir le meilleur mais aussi et souvent le pire de l’humanité. Dans la série, les humains construisent des robots extraordinairement perfectionnés pour leur propre commodité, dans le but de les aider dans leurs responsabilités quotidiennes, mais il paraît évident qu’entre les mains de certains, les robots, acquérant graduellement une conscience semblable à celle des humains de par leur programmation, soient utilisés, exploités et maltraités à différentes fins, devenant ainsi des outils de destruction massive. En quête de paix, les humains ont établi un ensemble de lois pour défendre les droits des robots et éviter les abus, tandis que d’autres nourrissent toujours une hostilité et une crainte intenses envers ces curieux androïdes, les incitant à éliminer la prétendue menace coûte que coûte.
Confrontés à des sentiments primaires d’injustice, un chagrin insondable et une profonde empathie, les spectateurs sont entraînés dans une incroyable démonstration de ce que l’existence en tant qu’être humain signifie véritablement et de la peur instinctive de l’inconnu, dévoilant des vérités sur les entrailles de l’humanité et ce dont elle est capable. En tant qu’être humain, il est tout à fait naturel de se sentir identifié face à la ressemblance et au réalisme des personnages robots et à leur histoire et de ressentir une immense compassion pour eux, en particulier devant la cruauté humaine dégradante.
En définitive, la série animée déchirante soulève la question de la responsabilité, qui est à blâmer et qui doit rendre des comptes, mais aussi notre capacité à nous adapter aux avancées technologiques et comment l’ignorance ainsi qu’un complexe de supériorité conduisent à davantage de ségrégation et de discrimination.
« Monster » : réévaluation introspective de la moralité subjective
Avec Pluto, l’auteur n’en est pas à son premier coup d’essai. En effet, il possède à son actif plusieurs mangas lugubres et complexes consacrés à repenser la réalité. Parmi eux, on compte également la série haletante Monster, un thriller psychologique d’investigation centré sur un neurochirurgien japonais vivant en Allemagne. Croisant le chemin d’un enfant nécessitant des soins immédiats, un monstre en devenir, et faisant face à un dilemme, le chirurgien décide de donner la priorité à l’enfant. Après avoir réussi à sauver la vie du jeune garçon, le chirurgien découvre plus tard qu’il est devenu tueur en série, plongeant le protagoniste dans une culpabilité insoutenable qui le tourmentera tout au long de sa vie. Les spectateurs suivent l’enquête, à travers différents angles, chacun mettant en lumière une dimension inédite de l’histoire du jeune homme et ce qui l’a poussé à commettre ces actes malfaisants.
Monster, sorti en 1995 et adapté en anime en 2004, interroge nos perceptions intimes de la moralité et les notions du bien et du mal et comment ces conceptions, combinées à des choix personnels, peuvent grandement affecter ceux qui nous entourent et générer moult conséquences mortelles inexorables. À travers la manifestation effroyable d’actions, d’hésitations et de réactions humaines, le récit incite l’audience à se demander si toutes les vies ont vraiment la même valeur, quelles que soient les différentes circonstances et les manières infinies dont l’environnement peut forger un individu, et si une moralité objective existe réellement.
Que ce soit à travers Pluto, Monster ou encore 20th Century Boys, autre œuvre phare signée Naoki Urasawa, les spectateurs sont encouragés à réfléchir par eux-mêmes et à tirer des nouvelles conclusions. Le plus souvent, les leçons finales suscitent des sentiments mitigés et conflictuels, parfois incompréhensibles, sur la moralité et notre sens inné de la justice. Quant à Pluto, à en juger par son animation époustouflante, sa superbe bande-son et ses messages indispensables, il pourrait bien s’agir de l’une des meilleures séries dérivées de 2023, si pas de tous les temps.
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PLUTO Bande-annonce officielle VF :