Après avoir pu apprécier le magnifique « Rusalka » la saison passée, nous voilà plongeant de nouveau dans musique tchèque. Cette fois, c’est un opéra trop peu représenté « Kát’a Kabanová » de Leoš Janáček qui a fait vibrer la salle de l’Opéra Royal de Wallonie. Une programmation audacieuse et un nouveau défi réussi.

Illustration : Ensemble © J Berger / ORW

Leoš Janáček, un compositeur unique

Janáček est né en 1854 à Hukvaldy, dans l’empire Austro-Hongrois. Il a consacré sa vie à l’enseignement, mais il s’est également investi dans la vie culturelle et musicale de la ville de Brno. Sa période la plus féconde commence après avoir pris sa retraite, il atteint enfin la renommée que son grand talent mérite. Il composera 9 opéras, dont « Katia Kabanová ». Il avait 67 ans lors de sa première représentation à Brno en 1921.

A. DOLGOV © J Berger / ORW

L’empire austro-hongrois est à l’époque une mosaïque multiculturelle. C’est aussi un vaste territoire où les différentes ethnies sont très attachées à leur identité nationale. Ainsi, Janacek a intégré de nombreux éléments du folklore morave, propre à sa région natale. Sa musique est particulière, unique, reconnaissable. Nous sommes loin du Bel Canto, ici. La partition semble déstructurée, la musique est déstabilisante, et pourtant tellement efficace. Comme dans l’opéra Rusalka d’Antonín Dvořák, le livret est en tchèque. Il tire des sonorités particulières de cette langue, le maximum d’avantages. L’œuvre entière exprime la valse des émotions. Une suite d’événements musicaux se succèdent, comme des touches de peintures se fixant sur la toile d’existences qui s’égrènent.

A. DOLGOV – D. MIROSLAW © J Berger / ORW

Les personnages

L’action de l’opéra se déroule au bord de la Volga. L’histoire de Katia se passe donc en Russie. Leoš Janáček s’est inspiré de la pièce « L’orage » d’Alexandre Ostrovski. Néanmoins, le compositeur se concentre plus sur le personnage féminin, Katia.  Celle-ci habite dans un village, avec un mari (Tichon) médiocre, veule, alcoolique, trop soumis à sa mère. Celui-ci ne prend jamais le parti de sa femme. Katia est une femme profonde, aimante, lumineuse, pure, terriblement féminine. Elle est prisonnière d’un monde étriqué, entièrement soumis aux apparences. Katia a au fond du cœur, de l’âme, un désir profond de liberté, elle voudrait échapper à cette vie qui ne lui offre aucune satisfaction.

A-L. POLCHLOPEK © J Berger / ORW

D’autant qu’elle est brimée par sa belle-mère Marfa (Kabanicha), tyrannique, cruelle, insensible, elle est attachée à des traditions parfois contradictoires. Sa cruauté est sans borne et toute sa vie semble se fixer sur les persécutions qu’elle peut infliger à autrui.

L’histoire

Katia vit dans un village au bord de la Volga. Elle est l’épouse de Tichon, un homme peu reluisant. Celui-ci est toujours sous la coupe de sa mère, boit beaucoup trop et bat sa femme à l’occasion. Elle a gardé dans son cœur la nostalgie de ses jeunes années et étouffe peu à peu dans cet environnement où le poids de la famille et des traditions est insupportable. Sa belle-mère est une mégère qui semble consacrer son existence à gâcher celle des autres, avec des reproches incessants, blessants et incohérents parfois.

A. HOVHANISSYAN © J Berger / ORW

Katia craint terriblement de succomber à l’amour d’un autre homme que son mari, aussi quand sa belle-mère Marfa envoie son fils en voyage à Kazan, elle supplie Tichon de l’emmener, mais ne voulant pas s’opposer à sa mère, il refuse. Le destin est en route, Katia va rencontrer Boris, jeune homme qui l’aime en secret. En effet, sa belle-sœur, fille adoptive des Kabanov est sa seule amie. Varvara a dérobé la clé du jardin de la maison des Kabanov, ce qui lui permet de rejoindre son bien-aimé Kudrjáš, mais aussi, cela permet à Katia et Boris de se retrouver et de se déclarer leur amour.

A-L. POLCHLOPEK © J Berger / ORW

Deux semaines plus tard, alors que l’orage menace, le mari de Katia vient de rentrer et celle-ci, rongée par le remord, semble devenue folle. Fache à Tichon et Kabanicha, la jeune femme ne peut se taire et avoue son infidélité. Elle s’enfuit alors sous l’orage, allégorie de son profond bouleversement. Varvara prend son destin en main et décide de partir avec Kudrjáš à Moscou.

A. HOVHANISSYAN – J. KURUCOVA © J Berger / ORW

La nuit venue, Katia erre sur les bords du fleuve, déchirée entre son amour pour Boris et le désir de mourir. Son amant lui annonce que son oncle l’envoie en Sibérie et qu’il est obligé d’y aller, sinon il ne touchera pas son héritage. Katia se retrouve donc seule sans son amant et sans son amie. Elle se jette dans le fleuve, seule façon pour elle d’enfin accéder à la liberté. Quand on ramène son corps, Tichon accuse sa mère d’être à l’origine du désastre, mais celle-ci n’est nullement affectée par la nouvelle.

A. ROSITSKIY © J Berger / ORW

Mise en scène intemporelle

L’équipe de mise en scène dirigée par Aurore Fattier et secondée efficacement par Marc Lainé et Stephan Zimmerli, a opté pour un plateau très sobre, et très sombre. Le décor semble appartenir à l’éternité, à un monde qui s’étiole, tandis que des jeux de vidéos que l’on doit à Vincent Pinckaers, symbolisent pensées et sentiments. La simplicité de ce décor convient remarquablement bien à la musique de Janáček, dont les accents prennent force et expressivité.

J. KURUCOVA © J Berger / ORW

Un casting lyrique sans faute

Le rôle titre est endossé par la soprano arménienne Anush Hovhannisyan. Présente pendant pratiquement tout l’opéra, elle semble avoir été faite pour lui. Elle donne à Katia un charisme évident, et une profondeur des plus émouvante. Sa technique vocale parfaite lui fait survoler sans faille une partition pourtant complexe.

Ensemble © J Berger / ORW

Anton Rositskiy, que nous avions déjà applaudi dans Rusalka la saison passée, a donné au personnage de Boris beaucoup de chaleur, bien que ce personnage manque de courage en délaissant Katia.

Autre ténor, le danois Magnus Vigilius n’avait pas le rôle le plus aisé, puisqu’il se devait d’être un ivrogne crédible. Son timbre annonce néanmoins de belles promesses dont nous espérons profiter par la suite.

Nino Surguladze avait été une merveilleuse Jezibaba dans Rusalka. Dans le rôle de Kabanicha, elle est époustouflante, dérangeante à souhait, elle endosse le rôle avec un talent fou, se servant admirablement de ses qualités vocales sans défaut.

N. SURGULADZE – M. VIGILIUS © J Berger / ORW

Jana Kurucová a été une Varvara lumineuse, aux accents à la fois tendres et dynamiques. Excellente prestation également de Dmitry Cheblykov, Daniel Miroslaw, et Alexey Dolgov (l’a-t-on affublé de lunettes et d’une canne blanche, parce qu’il est un personnage particulièrement lucide ?)

Le chef Michael Güttler a dominé la partition complexe de Janáček. Il a tiré le meilleur des musiciens de l’ORW, et ceux-ci, dirigé avec une totale maîtrise, ont exprimé les moindres nuances de l’œuvre. Epoustouflant !

L’opéra sera retransmis en direct sur Musiq3 le 26 octobre à 20h


Une magnifique « Traviata » à l’ORW