“L’Empreinte” au théâtre de Poche : Le poids des secrets de famille
Comment le vécu de nos parents peut-il peser sur nos épaules ? C’est autour de cette question que se sont réunies la compagnie belge Point Zéro et l’Ishyo Arts Center de Kigali. Cette collaboration donne naissance à L’Empreinte, un conte multiculturel interrogeant le poids de la mémoire et la difficile transmission des secrets de famille entre générations.
L’histoire des silences
Deux jeunes filles, Kunda et Lucile, sont nées le même jour à la même heure, faisant d’elles des jumelles astrales. Elles sont liées sans s’être jamais rencontrées – l’une habite au Rwanda, tandis que l’autre se trouve en Belgique. Quelque chose en elles s’est brisé de la même manière. Toutes deux ont grandi entourées de leur famille aimante, mais taciturne. Le silence des années se fait de plus en plus sentir sur les épaules de Kunda et Lucile. Un mal-être profond grandit en elles et les empêche d’avancer. Lucile en fait le constat vibrant : “Je suis de l’empreinte de celles et ceux qui ont disparu et m’ont fait naître ».

© L’Empreinte, Théâtre de Poche
Une nuit, Kunda et Lucile font le même rêve. Elles sont invitées par leur grand-mère respective à plonger dans le passé familial. Elles finissent par se rencontrer l’une l’autre. Compagnes de voyage, elles partent à la recherche des pièces manquantes de leur puzzle familial.
Les mots des anciens
Nouvelle création de la compagnie belge Point Zéro et de l’Ishyo Arts Center de Kigali, L’Empreinte nous embarque dans un conte onirique à cheval sur deux continents, celui d’une quête menée simultanément par Kunda et Lucile. Toutes deux sont en recherche de leurs racines qui les ont faconnées. Par le parcours de ces filles, L’Empreinte interroge l’importance de la mémoire et la nécessité de la transmission entre générations et ce, au-delà de tout ancrage géographique. Chaque génération a ses secrets difficilement avouables, mais qui en forgent l’identité.

© L’Empreinte, Théâtre de Poche
L’Empreinte appelle à l’urgence d’une rencontre intergénérationnelle. Les grands-mères respectives de Kunda et Lucile ne sont plus de ce monde, mais apparaissent dans le rêve de leurs petites-filles, car elles prennent conscience du lourd poids du passé que portent Kunda et Lucile. C’est au travers de contes de tradition belge et rwandaise que les liens se tissent entre les générations, que l’héritage peut se transmettre, que Kunda et Lucile peuvent apprendre davantage sur leur famille et se réconcilier à leur passé.

© L’Empreinte, Théâtre de Poche
A travers l’histoire de ces deux jeunes filles, c’est une invitation aux rencontres multiculturelles et intergénérationnelles que proposent Carole Karemera et Jean-Michel d’Hoop. C’est d’ailleurs l’essence même de la pièce, forgée sur base de contes transmis par l’écrit, mais aussi et surtout racontés aux nouvelles générations par les anciens. Les auteurs et autrices de L’Empreinte sont parti.e.s à la rencontre de celles et ceux qui connaissent et racontent des histoires qui font l’âme d’un lieu. L’Empreinte est un appel à écouter le récit et en dégager le message. Il incite également à tisser des liens entre les imaginaires des deux cultures différentes, la Belgique et le Rwanda.
Un visage est déjà une invitation au voyage
La marionnette, marque de fabrique de Point Zéro, trouve ici une place de choix. Kunda, Lucile et leurs grands-mères sont incarnées par des marionnettes à taille humaine dont la manipulation requiert un dispositif impressionnant. Trois comédiens et comédiennes sont parfois nécessaires pour donner vie à ces êtres de bois.
Le soin apporté à leur conception offre un résultat de toute beauté. Le marionnettiste français, Loïc Nebreda, a créé, à partir de la technique du rotin et de la vannerie, des marionnettes d’une belle humanité. Quelques comédiens et comédiennes ont prêté les traits pour former le visage des personnages. Le plasticien rwandais, Timothy Wandulu, a travaillé sur la peau faite de collages d’images, dont le rendu est sublime. Le résultat de ce travail collaboratif, d’une grande réussite, est une jolie manière de questionner l’identité. “Un visage est déjà une invitation au voyage”, comme le présente très justement Mucyo Arnaud Kanyankore.

© L’Empreinte, Théâtre de Poche
Ce n’est pas moins de dix comédiens et comédiennes – cinq belges et cinq rwandais et rwandaises – qui se partagent la scène pour tantôt animer les marionnettes, tantôt entrer en interaction avec elles. La manipulation, peu aisée, est finement maitrisée : leur subtile présence donnent magiquement vie à celles-ci. Cela a d’ailleurs été un beau défi pour les artistes rwandais et rwandaises pour qui la culture du masque et de la marionnette était méconnue.
Outre ce travail, le chant, la musique et la danse participent à l’univers onirique de L’Empreinte. Des paroles en kinyarwandais se mêle au français. Des chants rwandais sont joliment accompagnés par la mélodie d’une flute traversière.

© L’Empreinte, Théâtre de Poche
L’Empreinte est une pièce d’une douce poésie, dont l’intensité et la profondeur est éclatante d’humanité.
Informations pratiques
L’Empreinte de Carole Karemera et Jean-Michel d’Hoop, mis en scène par Jean-Michel d’Hoop assisté de Alphonse Eklou, avec Aubaine Hirwa, Gretta Ingabire, Léone François Janssens, Mucyo Arnaud Kanyankore, Léa Le Fell, Héloïse Meire, Michael Sengazi, Corentin Skwara, Benjamin Torrini et Neema Umutesi.
La pièce, d’une durée d’1h20, a lieu du 25 mars au 12 avril au Théâtre de Poche.
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