Une journée entre Croix et Roubaix dans les années 20
À un peu plus d’une heure de Bruxelles, je vous invite à découvrir deux joyaux de l’art moderne autour de Lille : la villa Cavrois à Croix et le musée La piscine à Roubaix.
Le matin à Croix : la maison ouvre ses portes dès 10:00. Faire l’ouverture permet d’éviter la foule et de jouir des lieux en toute tranquillité. Se garer dans la rue ne pose aucun problème à cette heure là !
Une demeure 1934
Chroniqueur de l’Architecture Moderne, concepteur de décors de théâtre, de façades et intérieurs de magasins, de villas et autres maisons de campagne ; à la tête de projets urbains divers, Robert Mallet-Stevens est connu dans la région lilloise pour la conception de la villa Cavrois à Croix. C’est avec la visite de cette merveille de l’architecture que je vous propose de commencer notre voyage dans le temps.
Paul Cavrois est un patron de l’industrie textile florissante à l’époque, il souhaite s’éloigner des lieux de production et trouve un terrain dans un quartier déjà prisé par les riches propriétaires lillois à Croix. Il choisit un architecte à la mode dont les réalisations ont été relayées par la presse notamment à l’occasion de l’exposition des arts décoratifs puis lors de l’inauguration d’une rue à son nom dans le XVIe arrondissement de Paris.
La villa Cavrois est inaugurée le 5 juillet 1932 pour célébrer le mariage de Geneviève Cavrois après deux années de travaux.
Comme les invités de l’époque, passons la grille qui jouxte la maison du gardien transformée aujourd’hui en billetterie et petite boutique pour découvrir le profil du bâtiment qui ressemble à un long vaisseau amarré dans un océan de verdure. À la fois terriblement imposant par ses dimensions et d’une grande simplicité dans ses formes et le choix du parement de briques jaunes, le « navire » dévoile sa façade nord. Trouée de fenêtres rectangulaires , elle accueille ses hôtes sur un perron surmonté d’un auvent permettant aux voitures de déposer leurs passagers à l’abri devant l’entrée.
À l’intérieur, vous irez de surprises en surprises et ne pourrez sans doute retenir des exclamations d’admiration. La grande baie vitrée du salon donne sur la terrasse, les jardins et le bassin longitudinal qui entraîne le regard jusqu’au fond du parc.
Un décor de cinéma
L’agencement de la villa évoque les décors de films sur lesquels a travaillé Robert Mallet-Stevens ; ainsi, on retrouve dans Le vertige de Marcel Lherbier des portes vitrées éclairées et un boudoir qui font écho aux portes très particulières du vestibule : « les boîtes à lumière » et au fumoir .
Chaque pièce semble organisée pour mettre en scène la vie familiale. Les salles à manger des enfants et des parents sont contiguës mais leurs décorations sont en accord avec leurs usagers. Soyez attentifs au relief représentant différents éléments de jeux de société dans la pièce réservée aux plus jeunes et au luxe des bois utilisés tant pour les meubles que pour les boiseries dans toutes les autres. Le poirier,le noyer, le teck, le zingana, le sycomore et l’acajou sont mis en valeur en fonction des pièces, par le marbre blanc, vert ou noir des escaliers, des murs et des sols, l’aluminium des cache-radiateurs et des luminaires.
On trouve dans la pièce centrale communément appelée hall-salon, des espaces différents autour de la cheminée, de petites tables de jeux ou de coins lecture surplombés par une mezzanine semblant dissimuler la coursive d’un paquebot. Suivent le fumoir, coffret précieux où l’on imagine monsieur Cavrois et ses hôtes fumant leur cigare dans une voluptueuse paresse de début de soirée et le bureau du maître de maison, tout de cuir et de bois, sobre et chaleureux.
Je vous laisse apprécier les associations de couleurs dans toute la maison et en particulier dans les chambres et le boudoir de madame Cavrois ; audacieuses, énergisantes, les teintes des peintures et des tissus se répondent et créent une harmonie en accord avec la verdure extérieure.
Une maison moderne
L’office et la cuisine reflètent la volonté de modernité de Mallet-Stevens qui met en avant un équipement ménager de pointe pour l’époque et privilégie la fonctionnalité. Le choix du blanc pour les faïences que l’on retrouve dans les salles de bains renforce une impression de propreté parfaite. Salles de bains où tout est pensé pour le confort et l’efficacité : partie bain avec baignoire et cabine de douche, pèse personne intégré dans le sol ; zone de rangement qui n’a rien à envier à nos dressings actuels. La buanderie située au sous-sol révèle d’autres équipements précieux pour la vie domestique : un chauffage aux allures de machinerie navale et chose incroyable : un séchoir bénéficiant de la proximité de la chaudière.
La modernité de cette fabuleuse demeure tient également de la philosophie qu ‘elle dégage notamment en matière d’éducation des enfants. Outre les chambres qui leur sont réservées, murs jaune citron pour les garçons et bleu ciel pour les filles, les enfants jouissent d’une salle de jeux aux dimensions généreuses avec une mezzanine dont la balustrade mobile permet de la transformer en scène. On comprend alors la place que peuvent tenir le jeu et l’improvisation dans leur quotidien ; la salle d’études voisine n’excluant pas les apprentissages scolaires.
Vous quitterez à regret ces lieux enchanteurs qui ont bien failli disparaître après des années d’abandon. Habitée jusqu’en 1986, rachetée par un promoteur immobilier pour créer un lotissement, elle ne sera plus entretenue et pillée par des visiteurs peu scrupuleux !
La villa est rachetée par l’État en 2001 et restaurée avec le plus grand soin et dans le respect des choix originaux dans les années qui suivent.
Pause gourmande
Le midi à Roubaix : Déjeuner chez Méert installé dans le décor d’origine de la buvette de la piscine qui n’était pas encore un musée mais un « simple » bassin de natation. La mythique maison lilloise dont on s’arrache les emblématiques gaufres fourrées d’un mélange de sucre et de vanille depuis 1761, (oui, oui vous avez bien lu !) vous propose une carte soignée dont une formule express qui vous permettra de profiter des premières heures de l’après-midi pour visiter le musée .
N’hésitez pas à vous installer en terrasse pour profiter du jardin !
Après-midi au musée : l’idéal est de commencer la visite vers 13:00 pour éviter le flot des visiteurs. Commencez par le bâtiment du grand bassin puis poursuivez votre promenade dans les salles qui se succèdent autour du jardin. Vous pourrez ensuite déguster un petit goûter dans le hall et enchaîner avec l’exposition du moment.
Un bain de culture à Roubaix
Inutile donc de vous munir d’un maillot de bain pour la suite des réjouissances, le billet jumelé qui vous aura été délivré à la Villa Cavrois vous permettra de commencer la visite du musée .
Comme son nom l’indique, ce bâtiment était tout simplement depuis 1932, date d’ouverture au public , la piscine municipale de la ville . C’est le maire, J-B Lebas, qui dans un souci hygiéniste avait décidé de faire construire une piscine sportive et un bain-douches. Il veut aussi réaliser « la plus belle piscine de France », un pari réussi par Albert Baert.
Organisé autour d’un jardin, telle une abbaye des temps modernes, l’ensemble comporte un bassin principal baigné des douces lumières dispensées par les vitraux symbolisant le soleil levant et le soleil couchant, des bains de vapeur, des salons de soins et un réfectoire.
La piscine reste en activité jusqu’en 1985 mais les locaux se dégradent et deviennent dangereux . Le conseil municipal de Roubaix et la direction des musées de France valident en 1990 le projet de reconversion de la piscine qui sera réhabilitée par J-P Philippon de 1998 à 2001 et qui est aujourd’hui inscrite au patrimoine du XXè siècle.
On ne peut qu’être séduits par cette transformation magistrale qui a su préserver un bijou de l’art-déco où l’on vient découvrir les expositions permanentes et temporaires mais qui justifie à lui seul le déplacement dans une ville qui regorge de lieux de mémoire souvent insolites à découvrir.
Exposition Boris Taslitzky, l’art en prise avec son temps
Si le cœur vous en dit, vous pourrez jusqu’au 19 juin profiter de l’exposition consacrée à Boris Taslitzky après avoir admiré le fonds du musée.Le sujet de cette exposition temporaire répond à une thématique récurrente des lieux: le lien entre art et histoire.
Taslitzky est un peintre « en prise avec son temps », il s’inscrit dans la mouvance expressionniste du XXè siècle avec en point d’orgue sa déportation à Buchenwald dont il rapporte des dizaines de dessins qui constituent un témoignage poignant. On retrouve le même souci d’humanité dans les croquis algériens, dans les portraits de sidérurgistes et de mineurs de Denain ou d’ouvriers en grève aux usines Renault.
Ce sont les autoportraits de l’artiste qui m’ont cependant captivée lors de ma visite. Boris Taslitzky a réalisé de nombreux portraits dont le plus connu est peut-être celui de Louis Aragon et Elsa Triolet partageant un fauteuil bleu. Il me semble toutefois que les nombreux dessins et tableaux le représentant lui-même constituent le support d’une réflexion personnelle fondatrice de l’ensemble de son œuvre autour de la question fondamentale du temps qui passe entamée avec l’autoportrait au chevalet de 1925, il n’a alors que 14 ans.
Un artiste que je ne connaissais pas et qui vaut la peine qu’on s’y intéresse, rencontré dans un lieu dont l’atmosphère est propice aux coups de cœur artistiques. Je vous y souhaite de belles rencontres !
Notre promenade dans le passé se termine, Lille est à quelques kilomètres pour d’autres aventures….
Infos pratiques
Pour les horaires et la billetterie : https://www.villa-cavrois.fr/ et https://www.roubaix-lapiscine.com/
À noter :
Le billet jumelé ne peut être acheté que sur place, il n’est pas accessible sur les sites.
Des plaquettes en français, anglais et néerlandais sont à la disposition des visiteurs.
Pour le restaurant, une réservation est conseillée : +33 (0)3 20 01 84 21
Un parking se trouve en face du musée et un autre à 500 mètres devant la gare (ils sont payants).