Étourdissant : « La vie parisienne d’Offenbach » est LE divertissement de l’ORW en cette fin d’année
Quoi de mieux pour entamer les festivités de fin d’année que d’assister à cet opéra-bouffe, l’un des plus célèbres du répertoire français ? Il ne manque rien ! Musique, lumières, strass et paillettes, rires et amour … Mais pas que !
Le spectacle de fin d’année, c’est toujours un « must » de l’Opéra Royal de Wallonie. Et bien sûr, la saison 2022-2023 ne déroge pas à la règle. Mais cette année, la direction artistique a fait fort, très fort, avec ce spectacle époustouflant que l’on doit au talentueux Christian Lacroix (oui, oui, le couturier !), épaulé par le chef Romain Dumas, la chorégraphe Glysleïn Lefever et Bertrand Couderc aux commandes des lumières.
L’intrigue
L’histoire de « La vie parisienne », tout le monde la connaît. Deux jeunes dandies un rien superficiels sont trompés par leur maîtresse Métella, une demi-mondaine voltigeant d’un riche amant à l’autre. Pour se consoler, les deux amis décident de se tourner vers les « femmes du monde », de préférence fortunées, car leur vie dissolue les a mis dans une situation financière un peu délicate.
Raoul de Gardefeu s’arrange pour se faire passer pour guide du Grand-Hôtel et s’occupe du baron danois/suédois de Gondremarck et de sa charmante épouse. Quant à son ami Bobinet, à défaut de se trouver une riche amante, il s’empresse d’aider son ami Gardefeu dans son entreprise de séduction. Et bien entendu, rien ne se passe comme cela devrait se passer. L’histoire est également émaillée de rebondissements dus aux personnages secondaires qui étoffent cette intrigue.
Création
Dès sa création, le 31 octobre 1866 à Paris au Théâtre du Palais-Royal, la « Vie parisienne reçoit un accueil triomphal. L’intrigue se passe sous le second Empire. Paris est une ville en pleine mutation, qui se prépare à accueillir l’Exposition Universelle de 1857. Le livret est d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, deux noms bien connus par les amateurs de théâtre, opéras-bouffes et opérettes du 19ème siècle. La première version de 1866 a souvent été remaniée suite à l’action de la censure, ou pour ménager certaines sensibilités nationales. Ainsi le baron de Gondremarck, de danois, devient suédois dans la plupart des versions (la question scandinave était brûlante à l’époque et le souvenir des guerres du Schleiswig était encore bien présent à l’esprit).
La version présentée à Liège est la version initiale, que l’on doit au travail éditorial du Palazetto Bru Zane (Centre de musique romantique française), cette version savamment restaurée permet de goûter au texte original, mais aussi de profiter de la partition et du livret originaux. Les amateurs de l’œuvre ne pourront être que conquis par cette approche « archéologique » musicale car plusieurs airs sont différents, et permettent une redécouverte de l’œuvre. Habituellement amputé d’un acte, la « vie parisienne » comporte ici les 5 actes de la création. On rit beaucoup, des répliques pétillantes, du jeu des chanteurs qui montrent un talent comique évident, sans pourtant jamais tomber dans l’excès.
La fantaisie et l’extravagance des librettistes alliées à l’exubérance de la musique d’Offenbach font de « La vie parisienne », l’une des œuvres les plus enthousiasmantes du répertoire français.
Le moindre des choix de Christian Lacroix est pertinent. Du lever d’un rideau déchiré qui symbolise un monde qui se fissure, où pourtant le paraître reste primordial, à un ascenseur symbolisant la montée sociale d’une certaine classe laborieuse qui peut prétendre à atteindre les rangs de la bourgeoisie (Gabrielle la gantière, et le bottier). Les couleurs sont vives, les costumes magnifiques (mais quoi d’étonnant), Christian Lacroix a aussi cassé quelques codes en faisant défiler des danseurs masculins en robe et talons hauts lors de l’air « On va courir, on va sortir », drôle, très drôle, jamais vulgaire ! Les décors évoquent un Paris naviguant entre le 19ème siècle et l’époque contemporaine, mais sans ostentation, sans réel anachronisme.
Mais au-delà
La « Vie parisienne » est une œuvre satirique, mais elle est aussi une vraie description de la société dans laquelle évolue Offenbach. Issu d’une famille modeste, celui-ci pourra grâce à son talent, gravir l’échelle sociale et fréquenter les plus célèbres salons parisiens. Sa reconnaissance en tant que musicien (il était un violoncelliste talentueux) lui permettra d’avoir ses entrées dans le monde. Il pourra également étoffer son compte en banque, lui permettant d’épouser la jeune femme de bonne famille dont il était amoureux.
Il représente dans « La vie parisienne » une société cosmopolite, métissée socialement et nationalement. Paris attire les premiers touristes qui veulent profiter des divertissements proposés par la capitale française. Le baron et la baronne de Gondremarck veulent profiter tant des spectacles que des achats dans les plus belles boutiques de la ville. Et que dire du Brésilien qui revient pour la seconde fois, avec l’intention de se ruiner de nouveau auprès des Parisiennes. Les domestiques s’accaparent les codes de leurs maîtres sans difficulté, et cela est source de malentendus, et de passages d’anthologie.
La société décrite par le compositeur n’est pourtant pas idéalisée, car si on sourit aux manœuvres de Gardefeu et Bobinet, on comprend à demi-mot, que l’argent règne en maître dans cette société, et que sans argent, point d’amélioration du niveau de vie, ou pire, on peut déchoir. C’est aussi le Paris dépeint par Balzac et Zola. On imagine très bien la baronne de Gondremark arpenter les rayons du magasin « Au bonheur des dames » … Et puis, cette version nous rappelle également que la censure était encore puissante dans une société qui se disait pourtant libérale. Et le final où le mari retrouve sa femme, témoigne que la morale avait encore toute son importance.
La distribution de la « Vie parisienne » est impressionnante. Le duo Flannan Obé – Laurent Deleuil (Gardefeu – Bobinet) est hilarant, tellement qu’on est presque étonné que ce soient des vraies voix d’opéra, puissantes, justes, expressives.
Jérôme Boutillier en Baron de Gondremarck est drôle, malmené par les nombreux tours dont il est victime, d’un bout à l’autre, il nous livre une prestation impeccable. Pour une première fois sur la scène liégeoise, il n’est pas passé inaperçu !
Anne-Catherine Gillet porte le rôle de Gabrielle avec talent, force et justesse, quelle voix dans le duo de la « gantière et du bottier »
Métella, joué et chanté par Eléonore Pancrazi nous a offert de magnifiques airs d’anthologie, notamment avec l’air de « La lettre » où elle divine.
Quel plaisir de retrouver Elena Galitskaya également, dans un rôle moins important que celui de Fiorilla (Voir Il Turco in Italia), espérons qu’elle revienne souvent sur la scène liégeoise également !
Ingrid Perruche (Madame de Quimper-Karadec) et Caroline Meng (Madame de Folle-Verdure) ont assuré leurs rôles avec beaucoup d’énergie, de présence, d’humour, mais aussi avec une superbe maîtrise vocale.
Avec une distribution d’une telle richesse, il est difficile d’exprimer tout son ressenti. Avec cette œuvre, on en a plein les oreilles, plein les yeux. Il y a tant de détails à observer, tant de choses à analyser, qu’on ressort de ce spectacle ébloui, enchanté, avec une folle envie de revoir encore cette explosion d’énergie, de bonne humeur, de musique, et de couleurs. Il y a tant de symboles dans cette mise en scène, que notre cerveau ne fait qu’en effleurer certains.
Vraiment, la mise en scène de Christian Lacroix et de ses « complices » est une totale réussite. Impossible d’imaginer meilleure et plus joyeuse fin d’année ! Il y a une telle unité dans le travail de tous ces artistes, chanteurs et danseurs, qu’on est porté d’un bout à l’autre par un sentiment de bonheur. Des ondes positives ont envahi la salle, et pratiquement tous les airs ont été salués par une salve d’applaudissements de la part du public, et quand il n’y en avait pas … c’est parce que les spectateurs n’en avaient pas le temps.
Vous pouvez vous jeter sur les réservations sans retenue, je vous garantis une fin d’année grandiose et un bon bagage d’optimisme pour les mois d’hiver qu’il nous reste.
Infos pratiques
« La vie parisienne » est une coproduction de Bru Zane France, de l’Opéra royal de Wallonie, de l’opéra de Rouen-Normandie, du Théâtre des Champs-Elysées, de l’Opéra Orchestre National Montpellier-Occitanie, de l’Opéra de Limoges, de l’Opéra de Tours et du Palazzetto Bru Zane.
La représentation dure environ 3h30.
Les dates des spectacles : Ma 27 décembre 20h – Je 29 décembre 20h – Ve 30 décembre 20h – Sa 31 décembre 20h30