Age of content, chorégraphie inattendue, une énergie sans faille d’un bout à l’autre du spectacle, des danseurs se pliant avec bonheur à l’originalité des mouvements proposés… Ce ne sont sans doute pas les seuls ingrédients qui bouclent la billetterie en quelques heures une fois le dernier spectacle de la Horde annoncé, il faut aussi compter par exemple sur les choix musicaux d’un Bohn ou d’un Philip Glass…

Un avant-goût entre ciel et mer

La Horde, c’est d’abord, au bout d’un an dans la Cité Phocéenne, la découverte du Château d’If le 8 mai dernier, jour d’arrivée du Belem où j‘ai échappé à la foule pour me réfugier dans ce qui fit la renommée d’un certain Monte-Cristo. La Horde, c’est d’abord visiter les alentours du monument, avant d‘y monter, impressionnée par les incrustations en tous genres, marques aux ongles très probablement arrachés des nombreux prisonniers qui y ont été enfermés. Et puis parmi les spectateurs qui scrutaient sur la plateforme la plus haute du château le majestueux bateau et sa cohorte qui l’accompagnait, certains de ces spectateurs aux accoutrements qui détonnaient se sont mis à faire des gestes répétitifs, teintés d’étrangeté. C’était à peine visible, c’était dans une discrétion qui rendait admirable cette ébauche de chorégraphie. Car oui, le spectacle commençait.

Le somptueux voilier et sa « horde » © photo Marie Pestel

J’ai pris beaucoup de photos du somptueux navire et de sa « « horde » justement, mais aucune des danseurs, tant ils étaient inattendus, et leur chorégraphie nourrie de codes inconnus, majestueuse entre mer et ciel. Je me souviendrai beaucoup, longtemps de leurs jeunes visages, baignés de soleil et de sueur, celle d’un effort gracile. Vient la définition du dictionnaire Robert de « la horde » :

Tribu errante, nomade. Troupe ou groupe de personnes indisciplinées (par extension des hordes de touristes). Et en l’occurrence, des hordes de singularités qui s’harmonisaient pleinement ce jour de représentation du Ballet National de Marseille. Dansant, dans une symbiose à limite de l’imperfection, l’harmonie dans la singularité, le groupe se dispersait soudain, jouant alors entre acrobatie et grâceen duo ou solo ou encore en trio. La configuration du plateau au somment du château donnait à voir du spectaculaire partout, sous tous les angles à chaque coin de la terrasse.

Le somptueux voilier et sa « horde » © photo Marie Pestel

Age of content 

C’est au Théâtre de la Criée que se déroule ce nouveau spectacle dans le cadre du Festival de Marseille cette fois-ci. On est prévenus, on y traitera des contenus qui nous envahissent par le biais des réseaux sociaux notamment, de notre ère hyperconnectée. Et pourtant, il ne s’est pas tout à fait agi de cette critique, il me semble. Bien sûr, à notre accueil sur scène, un rideau à la couleur indéfinissable entre un gris souris et un vert kaki, en tous cas peu avenant. Derrière le rideau, on devine le capot d’une voiture qui bientôt se mettra en branle guidée par un danseur du haut d’un échafaudage à gauche du plateau.  D’abord deux danseurs, habillés de combinaisons vert pomme, tentent de maîtriser le véhicule, mais celle-ci aux vitres et portes absentes ne se laisse pas domptée.

Une chorégraphie impressionnante © Age of Content

La folle machine semble même prendre un malin plaisir à mener cette danse technologique ; se cambre, s’arrête net, reprend sa course… tandis qu’avec une esthétique peu commune quand il s’agit de la Horde, des humanoïdes tous vêtus de vert à l’identique rejoignent les deux premiers, glissent sur le capot avant, arrière : un drôle de futur se dessine avec comme grande prêtresse cette moqueuse voiture.

Qui dit futur, dit dans un des tableaux suivants, deux robots dans des mouvements millimétrés et des visages brillants comme plastifiés de deux danseurs dont une notamment asiatique qui se meuvent sur scène.  On pense immédiatement aux expérimentations du duos de danseurs polonais Nicki i Loczek sur Tik Tok.

Une chorégraphie impressionnante © Age of Content

Puis ce sont des visages grimaçants, ondulant leur corps sur le sol et en cela dépendants des gestes des autres danseurs, l’interdépendance propre au réseaux sociaux : on est en plein dedans. Puis soudain, grâce au travail du costumier et des costumières, tous les danseurs et danseuses retrouvent une sorte d’individualité tout en symbiose dans le mouvement commun, avec, en exemple parmi d’autres, celui d’une danseuse qui arbore un tee-shirt à l’effigie de la marque Heineken.

Le Théâtre de la Criée © Age of Content

Comme pour finir de donner corps au décors, l’échafaudage figure une descente dans l’arène de l’individuel vers la meute nous rappelant peut-être qu’aujourd’hui, le contenu a ses codes bien précis, dont il faut savoir user pour puiser une originalité reconnaissante pas tous. Je ne me souviens pas de l’issue du spectacle. Seul un goût amère comme touchant tous les sens, sensibles néanmoins à l’esthétique du Ballet National de Marseille est resté lattant, planant : était-ce le but recherché ?

Age of Content, La Horde. Toutes les informations ici.


Un ballet de sorcières au Festival de Marseille !