Chroniques lisboètes (3) : le Musée Archéologique du Carmo
A lui seul, le décor fait rêver, un peu comme si l’écrin l’emportait sur le bijou, comme si le cadre supplantait le tableau du maître, ou que le coffre constitue, à sa manière, le véritable trésor. Si l’église do Carmo fut édifiée en 1389 et qu’elle abrita le couvent du même nom, sa structure ne résista pas au fameux tremblement de terre de 1755. Découvrez le Musée du Carmo.
Comme bien d’autres édifices témoins des gloires du passé lusitanien, elle n’était plus qu’une carcasse vide et comme le spectre d’elle-même. Pourtant, lorsqu’il fut question de la reconstruire, quelques décennies plus tard, les ruines avaient gagné leur attrait. Le Romantisme triomphait au début du XIXème siècle et avec lui son goût pour le morbide, le défunt, le gothique : on n’aimait guère le présent et l’on n’appréciait du passé que son épaisseur de nostalgie désuète. Si bien que, lorsqu’en 1864 le lieu fut totalement désacralisé et affecté à la création d’un musée de l’Archéologie (autre mode du XIXème siècle, on se souvient de Prosper Mérimée), on ne recouvrit que la partie seule correspondant au chœur de l’église.

Céramique mexicaine du XIXè siècle © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
Si bien encore que, de nos jours, la mise en scène est digne d’Hollywood ou de Cinecitta : une fois franchie, côté rue, la façade d’apparence relativement banale, on arrive dans une forêt de hautes colonnades de pierres, à ciel ouvert, comme en quelque lieu étrange, mi-Salvador Dali mi-Gaspard David Friedrich, propice aux apparitions de fantômes et de farfadets.

Ruines de l’abbaye © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
L’église menace ruine et soutient encore sa splendeur malgré les traces de la catastrophe passée. Les ruines muséales seront exposées dans les ruines épiscopales. Pour autant, et même si le musée d’Archéologie est de dimension toute modeste (cinq salles en tout et pour tout, et une vidéo finale aux allures enfantines), on aurait quand même tort de négliger le contenu.

L’évangéliste Saint Jean, XVIIIè siècle © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
Bien sûr, sur la centaine de pièces présentées, certaines ne possèdent guère qu’une valeur purement anecdotique : cette Statue d’homme en toge dont on précise juste qu’elle est d’époque romaine ; ces Fragments de mosaïque romaine dont la provenance reste inconnue ; cette Tête d’un empereur, sans qu’on sache au juste de quel empereur il s’agit.

Statue de Dom Joao IV, XVIIIè siècle © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
Mais au fur et à mesure se dévoilent quelques trésors. Ainsi cette Tombe du roi Fernando I au dos duquel un Christ en croix semble s’épanouir dans l’espace à la façon d’une étoile de mer : l’artisan reste inconnu, on ne connaît que la ville d’origine, Santarem, et une date approximative, vers 1382.

Scène de la Passion du Christ, Nottingham, Angleterre, XVè siècle © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
Ou bien encore, ce très étrange Sarcophage des muses (Alcobaça, 3è ou 4e siècle), ou ces délicates Scènes de la passion du Christ, sculptés, en miniature, dans l’albâtre et qui proviennent des ateliers de Nottingham (15e siècle). Et les grands lions intrigants sur le dos desquels repose une Reine (Tombe de la reine Maria Ana d’Autriche ,dessinée par Machado de Castro, Népomuceno, 18e siècle).

Les ruines de l’abbaye © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
Mais surtout, dans la toute dernière salle, la présente émouvante et glaçante des momies (Momies d’une jeune fille et d’un jeune homme, Chancay, Perou, 16e siècle). Enfermées dans leurs cages de verre, elles paraissent guetter l’arrivée des spectateurs pour mieux les dévisager : les corps sont quasiment intacts même si les visages semblent broyés par la mort, les cheveux longs balaient toujours le dos de la jeune fille, et les dents restent immaculées malgré le temps passé.

momie égyptienne, provenance inconnue, dynastie Ptolémaïque, entre le 3e et le 2e avant notre ère © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
On jurerait quelques cousins éloignés du Rascar Capac d’Hergé (Les sept boules de cristal). Devant elles, et non moins bien conservé, un sarcophage de l’Egypte antique (Sarcophage d’une momie égyptienne, provenance inconnue, dynastie Ptolémaïque, entre le 3e et le 2e avant notre ère).

Les ruines de l’abbaye © photo Alain Girodet / Musée du Carmo, Lisbonne
De partout, une lumière pâle est distillée par les vitraux de l’ancienne église, comme un cadre qu’aucun scénographe n’aurait su imaginer si parfait. Le musée archéologique do Carmo : une visite toute romantique d’un lieu de mémoire.
Site du Musée Archéologique du Carmo
Chroniques lisboètes (2) : L’église Sao Domingo