Une introduction en arabe d’un protagoniste, le danseur et chorégraphe Bassam Abou Diab, assis sur une simple chaise au milieu de la scène. Comme sobrement incrusté dans ce décor, la traduction défile en français sur un écran : on y comprend la peur qui le hante depuis qu‘un de ses amis s’est fait arrêter. Alors plusieurs chapitres vont se succéder au Festival de Marseille, comme autant de tortures et surtout comment y survivre.

Impressions fugaces, souvenirs troublants

Impossible de se souvenir de tout, de l’intitulé des chapitres tout comme des pas de danse et de la musique qui les accompagnent. Mais tout de même, je vais lister les plus percutants :

Bassam Abou Diab « Pina, my love », Friche © Pierre Gondard

Tout d’abord, nous avons sur scène deux protagonistes, un danseur et un musicien. Le premier, on le comprend très vite figure la victime, le second, le bourreau. Alors parmi les images éparses qui me parviennent : 

  • La tête du danseur sous un sac collé au tambour contre lequel le musicien frappe
  • Une danse incessante, jusqu’à l’épuisement
  • La chaîne qui pend du cou le long du corps du musicien, symbolisant le bourreau
  • Visage contre visage : humanité du bourreau contre humanité de la victime ? Allusion à l’homosexualité pénalisée ?
  • Le musicien qui joue le visage imperturbable à la perfection tandis que le prisonnier n‘est qu’une masse de peau, de peau de sueur de vie.
  • L’humiliation par la mise à nue

Et au dernier chapitre intitulé « au commencement Pina Bausch » comme un culte auquel il aura fallu se raccrocher à tout prix pendant la détention. En sortant de la salle, j‘ai croisé une connaissance à qui j‘ai rapidement décrit le spectacle que je venais de voir. Je ne m‘en rendis pas compte tout de suite, mais j‘essuyais mes paupières inférieures, des larmes tout en pudeur m‘avait saisie.

Je réalisais dans le bus qui me ramenait chez moi, qu’il m’avait été impossible d’ovationner un tel spectacle. J’avais été scotchée face ce que je venais de voir. Applaudir à tout rompre ? Une injure devant une telle sobriété minimaliste au cœur de laquelle se dessinait l’insoutenable abasourdie par son esthétique. Immobilisée dans mon siège, j’avais été incapable de me lever.

Bassam Abou Diab « Pina, my love », Friche © Pierre Gondard

De manière générale, j’ai toujours été fascinée pour les efforts physiques des danseurs, mais ces efforts étaient ici tout autres, ils s’inscrivaient dans la brutalité rendue belle par le talent de Bassam Abou Diab et du musicien-bourreau qui l’accompagnait dans un jusqu’au-boutisme revendicateur dont on ne peut admirer la prouesse, sans éclabousser les victimes encore dans les geôles. Parce ce que ce spectacle ne prônait pas une liberté heureuse mais une réalité féroce.

Le son : singulier signe de torture

Comme la plupart du temps, j’enregistre les spectacles que je vais voir sur mon dictaphone, cette prise de son quoique médiocre me fut vraiment utile d’autant que pour « Pina, my Love », toute vidéo et photo étaient formellement interdites (hormis celles prises par le service de presse. Merci à Pierre Gondard).

Et en écoutant a posteriori cette heure d’enregistrement, j’ai compris que le son était tout à la fois le représentant, le guide, l’instrument de torture qui s’est joué sur scène menant par exemple le danseur au bord de la folie en cette sorte de transe qui était celle de danser de façon incessante en tournant sur lui-même au centre du plateau. Non, ce ne fut pas désagréable à entendre, mais les réminiscences du musicien au visage imperturbable aux commandes des percussions l’étaient. C’était comme si ironiquement, le bourreau musicien lançait un silencieux « Tu aimes danser ? Et bien tu vas danser jusqu’à n’en plus pouvoir »

Bassam Abou Diab « Pina, my love », Friche © Pierre Gondard

Alors il y a cris comme autant d’appels au secours du danseur, d’encouragements à soi-même pour se sentir tout de même vivant. À certains moments, c’était comme si une chorégraphie allait se mettre en marche, augurant d’un avenir meilleur… quelque chose de rythmant jusqu’à l‘interruption d‘un son assourdissant tel le son de sirènes …une chorégraphie en cours d’élaboration comme un retour à la normalité puis l’interruption par la brusquerie des percussions mêlés de quelques sons orientaux se fait entendre : où sommes-nous déjà ? Nous sommes au Moyen-Orient, au Liban plus exactement où le mouvement LGBTQIA+ par exemple encore en aout 2023 était plus que malmené. Puis, presque imperturbablement, le rythme reprend.

Il me faut évoquer également ces vibrations, ces coups de cymbales comme autant de coup de tyser ou d’à-coups de lumière crue d’un plafonnier éblouissant les pupilles. La musique dicte, la musique à laquelle le corps est obligé de s’assujettir. Mais, me direz-vous, c’est un contrepied à la description qui était faite du spectacle dans le catalogue du Festival de Marseille où « Pina my love agit comme une catharsis, un acte de résistance face à l’impuissance : « danser, rêver pour survivre à la douleur ». `

Et si finalement cette frontière ténue entre douleur à danser et plaisir procuré grâce à l’icône de Pina Bausch en tête, fut l’unique moyen de survivre ? Comment la musique de la torture, de l’enfermement peut-elle devenir Esthétique? Légers cris, ânonnements. Coups de cymbales avec vibration comme autant de coups de tyser.

Plus d’informations sur le spectacle « Pina, my love », par ici.


Un autre spectacle de danse à Marseille? Découvrez « Vagabundus »