I Capuleti e i Montecchi de Bellini, un Roméo et Juliette à l’Opéra Royal de Wallonie
Tout le monde connaît l’histoire de Roméo et Juliette. Nous sommes moins habitués à la voir ancrée dans les agitations d’une guerre civile, comme l’ont fait Bellini et son librettiste Felice Romani. Passion contrariée, sentiments exacerbés, violence explosent sur la scène de l’opéra de Liège.
Rosa Feola et Raffaella Lupinacci : des Roméo et Juliette transcendants
Vincenzo Bellini a vu le jour au sein d’une famille de musiciens, à l’aube du XIXème siècle, à Catane, en Sicile. Enfant précoce, il se met à la composition dès l’âge de 6 ans et intègre le conservatoire de Naples à 18 ans. Il y découvre les œuvres de Rossini et se lie d’amitié avec Donizetti. Il n’a pas encore terminé ses études, qu’il fait déjà représenter une de ses compositions, et très rapidement, il est sollicité par le Teatro San Carlo de Naples, puis par la Scala de Milan où il obtient un éblouissant accueil pour Norma. C’est la consécration. Après plusieurs voyages, Bellini s’installe à Paris, chez Rossini. La maladie le fauche en pleine jeunesse en 1835. Il a alors seulement 34 ans. Son influence sur la musique lyrique est pourtant immense. Il est l’un des maîtres incontestés du bel canto (beau chant).
R. LORENZI © J-Berger_ORW-Liège
L’œuvre
I Capuleti e i Montecchi est un opéra en deux actes. Il a été créé en mars 1830, au théâtre de la Fenice de Venise. Bellini a écrit l’opéra en 6 semaines, ce qui est un délai extrêmement court même pour l’époque où les compositeurs étaient soumis à des rythmes de travail infernaux. (On connaît les années de galère de Verdi). Bellini a pu tenir les délais en recyclant certains passages de ses opéras antérieurs, ce qui était une pratique courante.
Bellini et Romani ont basé l’œuvre non sur la tragédie de Shakespeare, mais sur les Nouvellesde Matthieu Bandello et sur l’œuvre de Luigi da Porto, qui a fort probablement raconté sa propre histoire, et celle de son amour malheureux pour sa cousine, les deux jeunes gens ayant été séparés par des combats de clans au cours desquels da Porto fut cruellement blessé.
R. FEOLA © J-Berger_ORW-Liège
L’opéra de Bellini, s’il a beaucoup plu lors de sa création, est tombé petit à petit en désuétude car il a été critiqué pour sa rigidité par des compositeurs comme Wagner ou Berlioz. Le but du compositeur est pourtant d’accentuer la pureté des sentiments amoureux, et elle donne une grande place aux différentes performances des solistes. Il a retrouvé heureusement bien meilleure presse de nos jours.
L’histoire de Roméo et Juliette
L’ouverture de l’opéra est une musique violente, tonitruante, le décor est planté, on plonge immédiatement dans le conflit qui oppose les Guelfes, partisans du pape, (faction à laquelle appartiennent Capellio et les Capulets) et les gibelins (partisans de l’empereur du Saint-Empire romain), parti auquel appartiennent les Montaigu. Cappelio est le père ô combien tyrannique de Giulietta, dont le cœur bat pour Romeo, ambassadeur des Montaigu. Romeo, qui n’a pas été reconnu par les Capulets propose une réconciliation scellée par son mariage avec Giulietta, ce que refuse Cappelio dont le fils a été tué par le clan adverse. Giulietta est promise à Tebaldo, fidèle soutien de Capellio. La jeune femme est déchirée car elle aime Roméo, mais elle refuse de quitter Vérone, et d’abandonner son père.
M. MIRONOV – R. LUPINACCI © J-Berger_ORW-Liège
Pendant que les préparatifs du mariage de Giulietta et Tebaldo battent leur plein, les partisans de Romeo provoquent une diversion afin que les deux jeunes gens puissent s’enfuir, mais celui-ci tombe dans une embuscade, et les deux clans s’affrontent de plus belle.
A l’acte 2, Giulietta est emprisonnée par son père dans le château de Tebaldo. Lorenzo, confident de la jeune femme, lui propose une potion qui la fera tomber en catalepsie. Avant de perdre conscience, elle tente une fois encore de fléchir son père pour échapper à son mariage avec Tebaldo, sans succès. Non seulement, elle doit suivre Tebaldo, mais Lorenzo devient suspect et il est étroitement surveillé, ce qui l’empêche de prévenir Romeo du stratagème.
R. LUPINACCI – R. FEOLA © J-Berger_ORW-Liège
Alors qu’il tente de rejoindre Giulietta, Romeo est arrêté par Tebaldo, et les deux jeunes gens s’affrontent dans un duel implacable. Pendant qu’ils se battent, la musique des funérailles de Giulietta les stoppe net. Roméo supplie alors Tebaldo de l’achever, mais ce dernier, aussi bouleversé que son adversaire n’en n’a pas la force. Romeo se précipite alors dans le caveau où repose sa bien-aimée et s’empoisonne pour rester auprès d’elle. C’est à ce moment que la jeune femme se réveille et assiste aux derniers instants de son amant. Après de bouleversants serments, les deux jeunes gens meurent. « Qui les a tués ? » sera la question finale de Lorenzo et des Montaigu, qui verront Capellio s’éloigner, accablé.
Ensemble © J-Berger_ORW-Liège
Mise en scène soignée
La sobre mise en scène d’Allex Aguilera laisse beaucoup d’espace aux chanteurs et à l’action. Les décors minimalistes sont harmonieux, permettant de mettre en avant les mouvements des personnages, et sublimant les scènes de duos entre Giulietta et Roméo. Françoise Raybaud a habillé les personnages à la mode XIXème siècle, jouant sur les oppositions tons sombres/tons vifs. Guilietta en robe diaphane et Roméo en jaquette de brocard rouge forment un couple qui attire tous les regards. Il y a peu à dire des savants jeux de lumière de Luis Perdiguero, puisqu’ils servaient le moindre détail de l’intrigue de façon … parfaite, tout simplement. Mention spéciale aux vidéos d’Arnaud Pottier, extrêmement bien orchestrées, surtout celle des funérailles de Giulietta, d’une grande réussite esthétique, et clairement bouleversante.
R. FEOLA © J-Berger_ORW-Liège
Un casting de (très) haut vol
Maxim Mironov est un Tebaldo arrogant, volontaire, un rien antipathique. Il a intégré parfaitement son rôle, et se révèle un ténor belcantiste extrêmement convaincant, avec des aigus très bien maîtrisés, et une expressivité dans la voix qui ne pouvait laisser personne indifférent. Adolfo Corrado tire un parti remarquable de sa tessiture de basse-baryton. Le ton sombre dans la détresse, allègre quand il presse Giulietta de prendre la potion … Son timbre est vibrant, velouté, magnifique, quel dommage qu’il n’ait pas bénéficié d’un rôle plus étendu car il est un vrai délice à l’ouïe, tout comme son comparse Roberto Lorenzi. Sa voix grave, son timbre sombre conviennent parfaitement au rôle de père tyrannique, et vindicatif. Deux interprétations magnifiques.
R. LORENZI – R. FEOLA © J-Berger_ORW-Liège
Venons-en enfin à Rosa Feola et Raffaella Lupinacci. Rosa Feola est une Giulietta plus mature que la Juliette de Shakespeare, déchirée entre devoir et amour, ses intonations rendent compte à la perfection de ses tourments intérieurs, elle est une belcantiste affirmée et émouvante, avec des aigus clairs, et une voix cristalline et d’une grande élégance. Quant à Raffaella Lupinacci, elle est un Romeo plus que convaincant. Sa chevelure ramenée en catogan, tout à fait à la mode des jeunes romantiques du XIXème siècle, est tout à fait adéquate pour ce rôle de jeune héros passionné. Elle se promène des aigus aux graves avec une facilité déconcertante.
R. FEOLA © J-Berger_ORW-Liège
Son absolue maîtrise des notes les plus graves font d’elle un parfait Romeo. Elle incarne la force, l’amour, la tendresse, son jeu est évident, l’expressivité de sa voix magnifique. Les voix des deux cantatrices semblent avoir été créées pour s’harmoniser. Elles sont bouleversantes de virtuosité. Il est heureux que l’on ait conservé le rôle pour une mezzo-soprano, et non l’attribuer à un ténor comme on l’a fait parfois par le passé.
Si certains membres du chœur de l’ORW ont changé de camp au fil de l’intrigue, vocalement, comme à l’accoutumée, ils sont très agréables à écouter. Le chef Maurizio Benini conduit l’orchestre de l’ORW avec précision, rendant de façon évidente, l’atmosphère troublée d’une guerre civile lors de l’ouverture.
Le spectacle I capuleti et i Montecchi se joue jusqu’au 28 mai 2024, et sera en rediffusion sur la chaîne Mezzo. Ne manquez pas l’histoire immortelle de Roméo et Juliette ! Pour les réservations, c’est par ici.
Retrouvez le « Roméo et Juliette » de 2022 à l’Abbaye de Villers-la-Ville en Belgique.