La vieille médina de Casablanca (chroniques marocaines 3/4)
Une vieille légende prétend qu’on apprend en se perdant. Mais la vieille médina de Casablanca fait mentir la légende. Nul apprentissage dans l’errance en son sein mais tout juste l’amer constat d’une fatalité sans recours. On s’y égare sans comprendre, on s’y enferme sans savoir. C’est dit, c’est fait, dès l’entrée dans les lieux : Sisyphe n’a plus qu’à rouler sa bosse.
L’ensemble est de taille toute modeste, à peine cinq kilomètres carrés, mais il est constitué d’un réseau de ruelles qui ne connaissent ni la logique ni la ligne droite. Il a, cet ensemble, la malice d’un labyrinthe sans cul de sac, d’un sac de nœuds sans impasses, et quelque chose, dans le dessin global, d’un peigne de femme arrondi : toutes les rues recourbées dans un même mouvement, à la fois souple et terriblement tortueux.
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La Vieille Médina de Casablanca © photo Alain Girodet
Les rues possèdent-elles un nom ? Sans doute sur les cartes d’Etat major. Elles en possèdent même plusieurs puisque, après le temps du protectorat, la plupart en ont changé. Un nom, certes, mais une plaque pour indiquer celui-ci, pas forcément. Ou alors plusieurs plaques, les unes au-dessus des autres, et toutes forcément rouillées par le temps et les embruns : l’ancien nom, le nouveau, et le même, le nouveau, en arabe. Et même, parfois, juste un chiffre en guise de nom, vague tentative de se croire un peu américain dans l’esprit : rue neuf, rue dix, rue onze…
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La Vieille Médina de Casablanca © photo Alain Girodet
De partout se succèdent des commerces, pour l’essentiel alimentaires : fruits et légumes, viande, volailles, sandwichs au feu de bois, bazar, fruits secs… Le tout répété, encore et encore, sous une forme à peine variée et à des tarifs presque identiques, d’où la lancinante impression de « déjà vu » que distillent les rues.
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La Vieille Médina de Casablanca © photo Alain Girodet
Elles sont en permanence, ces rues, sillonnées par des hordes de mobylettes asthmatiques qui affolent le passant et provoquent le courroux des commerçants. Sur les placettes poussiéreuses, des gamins tapent dans un ballon mille fois recousu avec l’orgueilleuse conviction des vainqueurs de la Coupe d’Afrique des nations.
Les vieux sont appuyés contre le mur du voisin, à l’emplacement même qu’occupaient leurs pères, et, sans doute, avant eux, leurs grands-pères. Ils échangent entre eux des propos désabusés sur le temps qu’il fait, celui qu’il faisait et celui qu’il fera, tandis que, de partout posés, inutiles et gras, des chats couleur de sable sombre dorment leur vie de chats.
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La Vieille Médina de Casablanca © photo Alain Girodet
Quelques plaques destinées aux touristes rappellent des splendeurs passées : celle de l’école Fatima Al Fihriya, fondée en 1948 sur l’emplacement d’une ancienne caserne. Ou bien celle de la maison du Maghzen qui fut cédée aux allemands en 1902 à la suite du traité de Versailles avant d’être rendue au Pacha en 1920. C’est que ce petit quadrilatère se trouve être la ville des origines, Anfa. La ville que découvrit le maréchal Lyautey, qu’il étendit, transforma, aménagea, et renomma en Casablanca. La vieille médina, en réalité, est la « vraie » ville.
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La Vieille Médina de Casablanca © photo Alain Girodet
La médina, en arabe, c’est la vieille ville, si bien que son appellation actuelle « vieille médina » se trouve être de l’ordre du pléonasme, uniquement justifié par l’apparition, depuis la fin du XXe d’une « nouvelle Médina » (laquelle, par conséquent, tiendrait, elle, de l’oxymore !)
Telle est la poésie constitutive de ce quartier qui borde la corniche et le port de Casablanca : un lieu qui ne ment pas et qui conserve benoitement des allures de modeste éternité.
La fondation Abderrahmane Slaoui à Casablanca (chroniques marocaines 4/4)