Le soleil de Fran Kourouma, réveil du cœur
En véritable conteur et protagoniste de sa réelle épopée contemporaine, Fran Kourouma nous révèle en tour de maître, sur scène, les écritures personnelles de son portable de bord de rue. Notre Soleil livre l’histoire de son auteur, poète-philosophe, au travers une lecture vivante jouée au Vilar du 30 mai au 2 juin 2023. Vous pourrez revivre une traversée entre souffrance et peur d’un jeune guinéen et de ses compagnons de voyage. Un journal d’immigré qui relate la rude réalité de l’inégalité des territoires. Une narration magnifique et bienveillante, mise en avant par la scène etterbeekoise du Senghor et le travail d’accompagnement plein de finesse de Sandra Raco.
Bravade méditerranéenne vers des terres tant espérées
Fran Kourouma, avec un sens inné de la diction, nous délivre en prose poétique le chemin des différentes contrées qui mènent à l’Eldorado. Vérités, fantasmes se confondent à la cruauté du réel, de l’humain jusqu’à la confrontation de cette vie rêvée des terres de froid.
Comment figurer à notre heure, cette dure réalité de l’immigration, face à la fiction qu’offre la déchirante actualité médiatique et une appréciation mitigée d’une culture sociale lorsque l’on souhaite l’intégrer ? Comment lutter contre la précarité implacable du chemin et des lois, le rejet de son espèce, dans l’odyssée de l’espoir où seules rayonnent certaines personnes dans l’existence ?
Je préfère mourir dans la dignité à la recherche de la liberté
Fran Kourouma
Notre Soleil de Fran Kourouma est ce voyage où l’humain devient le « sac à trésors » des Asmaboys, appuyée par le rêve de tracer vers « la connexion », qui les exposé·e·x à toutes les dénigrations. Les migrant·e·x deviennent valeur marchande, travailleur·euse·x, transiteur·euse·x en attente, personnes à abuser : un esclavagisme de passage.
« Nos cartes d’ID ne valent rien », le rêve coûte cher (Mali > Burkina, 60000 Franc CFA). Reste comme seul baume à la peine, les chants, celui de la voix, des terres laissées derrière, des mots qui résonnent du lointain, pour se donner du courage : « Liberté ! C’est la voix d’un peuple qui appelle tous ses frères à se retrouver ».
Cher·e·x lecteur·ice·x, nous vous recommandons sincèrement le livre et le spectacle de cet incroyable ingénieur agronome et auteur en devenir qu’incarne Fran Kourouma. C’est avec une nécessité de hauteur que naît cette critique sans jugement du cœur d’un système problématique.
Notre conteur face à la torture de la procédure de Dublin nous rappelle qu’ : « une sécurité sans solidarité est inexistante ». La procédure de Dublin permettant d’établir quel pays est responsable pour l’examen de votre demande d’asile. Cela signifie que vous pourriez être transféré d’ici vers un autre pays, si ce pays est responsable de l’examen de votre demande.
« Si rien ne peut me ressusciter », Par cette volonté de rendre la dignité humaine, la voix prenante de Fran offre une renaissance aux personnes rencontré·e·x incarné·e·x par son jeu de comédien aussi authentique que mesuré.
Le travail de régie technique, dans une grande simplicité, offre une lumière et des sonorités qui respectent chaque syllabe, chaque silence, chaque jour et chaque lendemain dans le tempo d’une histoire plurielle.
Transmettre pour construire ensemble
Etterbeek, commune hospitalière, amie d’une migration politique la plus tolérante possible, dresse le constat simple que l’Europe et la Belgique sont en réalité sans politique décente, et même catastrophique à la vue des derniers épisodes : condamnations multiples par la cours de justice = une Europe criminelle par complicité avec la Libye dans cette version de l’esclavagisme de passage, une Europe opportuniste qui déplace le colonialisme.
La commune souhaite ouvrir la parole aux personnes qui en souffrent et mettre en avant leur dignité, aujourd’hui par le récit du voyage de Fran Kourouma.
Ce spectacle, travail remarquable de transmission, lumineux, dynamique, transfiguré d’espoir et de conscientisation du récit, ouvre, étapes après étapes, l’esprit du spectateur grâce au conte des séquences de vie humaine incarnées par le comédien. L’éclairage fantastique du Senghor étreint la performance prodigieuse de Fran Kourouma, avec cette volonté d’envoyer multidirectionnel de la lumière de force et de paix du cœur.
Si Fran Kourouma a le souhait de rendre notre humanité, c’est à travers une présence passionnante qu’il nous attrape de l’obscurité de nos oeillères et de notre salle, baigné-ex du trouble de nos tripes jusque dans ses silences.
« Si rien ne pourra me ressusciter » nous dit l’auteur, c’est avec la plus grande des aisances qu’il nous offre la présence de ses compagnons défunts.
Son souhait se grave dans la tête du public : la demande de considération des humain·e·x, des migrants comme des humain·e·x. Car si l’Europe se refuse la violence physique, Nous savons que les mots sont les plus rudes poignards : « On ne te donne pas de coups mais il y a des mots qui ne vous quittes pas »
Le spectacle rappelle que chacun a un pouvoir, une emprise sur cette réalité dépeinte et que le devoir d’être humain·e·x s’étend plus loin que l’unique soi dans une civilisation. C’est à cœur battant que vous sortirez de ce spectacle, la réalité en face.
Notre Soleil, notre époque, notre trajet de vie
Voyage auquel beaucoup ne survivent pas n’apporte pas la fin du périple en soi : car à l’arrivée, le Petit château, lieu d’accueil des demandeurs d’asile, devient une prolongation de l’enfer. Un pouvoir bureaucratique qui joue de la peur du retour à la case départ est une cruauté. Un climat anxiogène qui des nuits froides d’hiver bruxellois passées au dehors font remonter à la surface les souvenirs du pays natal, de la maman.
Insomnies et maux de tête, au gouffre du désespoir notre auteur, « Ni vu, nuit et jour, ni entendu » se révèle : « l’écriture me guérissait de tout ce que j’avais vaincu » . Et ainsi en cure commence la nouvelle Odyssée, celle des lignes et des textes clamés d’une voix plurielle.
« De nos jours l’administration à remplacer l’humain, je demande à ces personnes de nous rendre notre humanité ». À Ushita, en Italie, Fran a ressenti une « prison », une réalité des centres « d’accueil » complétement déterminé par l’image donnée aux migrant-e-x dans notre société.
Informations pratiques
À découvrir au Théâtre Vilar du 30 mai au 2 juin 2023.
Écriture et interprétation : Fran Kourouma. Adaptation et mise en scène : Sandra Raco. Voix off : Babetida Sadjo. Création lumières : Jérôme Dejean. Création sonore : Laurent Beumier. Aide à la scénographie : Léa Gardin.