Je fus très étonnée il y a quelques semaines d’apprendre au détour d’un article que l’opéra de Lille avait seulement cent ans… Les gens du Nord aiment leur capitale régionale mais ne la connaissent pas toujours bien, la preuve ! J’ai donc décidé de réparer cette lacune et de vous raconter l’histoire de ce monument emblématique de notre ville.

Il me faut donc visiter l’opéra dans lequel je ne suis entrée qu’une ou deux fois, il y a très longtemps. Je réalise qu’il est pourtant très fréquenté depuis sa réouverture en 2003 sous la direction de Caroline Sonrier qui a mené de main de maître avec ses équipes sa mutation en grande maison d’art lyrique. Je me procure dans la foulée, l’ouvrage qui me servira de référence pour explorer les lieux : Une maison d’opéra au XXe siècle, ouvrage édité à l’occasion du centenaire de l’opéra sous la direction de Raphaëlle Blin.

Le Grand Théâtre vers 1800, La Braderie, Watteau © Hospice Comtesse

Ce n’est pas seulement l’un des plus beaux théâtres de France, ce sera aussi un des meilleurs. 

Le Grand Hebdomadaire Illustré

Histoire

Dans la nuit du 5 avril 1903, un théâtre brûle dans le centre de Lille, c’est le Théâtre Lequeux édifié en 1785 à l’emplacement de l’opéra actuel qui est réduit en cendres malgré les efforts des pompiers. La capitale du nord de la France ne peut rester sans salle de spectacle et il est très vite décidé de construire une scène provisoire à quelques rues de là, Place Sébastopol. Le théâtre qui portera le nom de la place n’est pas fait pour durer, il doit accueillir les spectacles en attendant la construction d’un nouveau grand théâtre. Le bâtiment de ciment et de briques bâti en un peu plus de trois mois est pourtant toujours debout et continue de recevoir le public depuis la grande soirée de gala présidée par le maire Gustave Delory le 30 novembre 1903.

L’incendie du Grand Théâtre en 1903 © DR

Le maire suivant, Charles Delesalle, lance au printemps 1907 un concours pour décider de l’architecture du nouveau grand théâtre qui remplacera le Théâtre Lequeux. C’est Louis-Marie Cordonnier, déjà nommé pour la nouvelle Bourse qui remporte le marché. Il a imaginé un opéra proche de l’Opéra Garnier à Paris dans un style néoclassique. Ce bâtiment ambitieux présentera sur sa façade des sculptures représentant les allégories de la Musique et de la Tragédie ; le frontispice,  œuvre d’Hippolyte Lefèbvre, mettra en scène Apollon entouré des neufs muses.

Le symbole de la ville de Lille surmonte la tête de bouc, symbole de la tragédie © photo Frédérique Vanandrewelt

D’autres allégories de la Poésie et de la Fable, la Musique, la Comédie, la tragédie et le drame seront installées à l’intérieur. M. de Villers, le directeur de l’époque parle fièrement du grand théâtre comme « d’un foyer artistique n’ayant rien à redouter de la centralisation intense de Paris et pouvant attirer à Lille tous les habitants de notre si populeuse région ». La salle de spectacles à l’italienne peut accueillir jusqu’à 1600 personnes, le hall et le foyer sont de belles tailles et la scène et les coulisses bénéficient d’aménagements impressionnants pour permettre la mise en place de décors et accessoires monumentaux.

Construction du nouveau théâtre © DR

La première pierre est posée le 29 décembre 1909 et les travaux s’étalent sur cinq années jusqu’en juillet 1914. La déclaration de guerre le 3 août 1914 et surtout l’occupation de Lille deux mois plus tard par les Allemands reportent l’inauguration de l’opéra. Le théâtre flambant neuf est alors occupé par l’ennemi qui installe dans la salle les fauteuils rouges du Théâtre Sébastopol réquisitionnés pour l’occasion alors que l’architecte avait prévu un velours bleu, ils resteront rouges ! L’inauguration a lieu le 6 juin 1916 et le premier spectacle allemand : Iphigénie en Tauride deGoethe est donné le 26 décembre. Il faudra attendre le 7 octobre 1923 pour que le maire Gustave Delory préside la soirée d’inauguration devant une foule de personnalités et de nombreux Lillois, heureux de découvrir enfin leur magnifique théâtre.

Ad Alta per Artes

Atteindre les sommets grâce aux arts

Programmation

À partir de cette époque, l’activité du grand théâtre est intense puisque l’on compte cinq représentations lyriques par semaine en moyenne, et souvent plus, sans compter les tournées théâtrales. Il faut noter que le public apprécie un répertoire constant ; ainsi le Faust de Gounod est considéré comme la véritable ouverture de la saison théâtrale. De 1924 à 1948, Paul Frady a dirigé l’opéra avec brio encourageant de nouvelles productions et le répertoire évolue et s’élargit au fil des années, les opérettes s’ajoutent aux pièces, ballets et concerts et même à partir de 1936, des artistes comme Joséphine Baker ou Ray Ventura brûlent les planches.

© DR

Dès 1923, l’opéra reforme une troupe de chanteurs, danseurs et comédiens recrutés à Paris et en province mais aussi à Bruxelles, Milan et même New-York. Pour l’anecdote, Raphaëlle Blin et Mado Lenormand évoquent le passage du bédéiste belge, auteur de Blake et Mortimer, Edgar P. Jacobs à l’opéra en tant que baryton en 1929. Ses talents de dessinateur s’expriment déjà dans les esquisses de costumes et de décors reproduits dans Une maison d’opéra au XXème siècle. Ce magnifique ouvrage décrit avec précision les pièces du répertoire qui ont marqué les saisons.

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C’est Paul Frady qui rassemblera le grand théâtre et le Sébastopol qui deviendra la deuxième salle lyrique des théâtres municipaux, opéra et opéra-comique au Grand Théâtre, opérette au Sébastopol. Les équipes de l’opéra s’y réfugieront quand les allemands occuperont de nouveau les lieux le 19 janvier 1941 et l’inaugureront une deuxième fois le 10 mai 1941. La législation antisémite sera dès lors appliquée comme en témoigne un échange épistolaire entre la mairie de Lille et la préfecture. Le 25 septembre 1944 voit enfin la réouverture de l’opéra sous autorité française. Paul Frady est écarté de la direction des théâtres en 1947, il est remplacé par Louis Guénot qui rencontre très vite de graves difficultés financières l’obligeant à interrompre la saison.

Même Faust ne parvient pas à remplir la salle à l’ouverture de la saison suivante. La décentralisation artistique permettra à l’opéra de prendre un nouveau souffle à partir de 1955 mais n’empêchera pas les crises successives qui avaient commencé en 1930 puis en 1949 et continuent en 1986 et en 1998 entraînant à chaque fois la fermeture des lieux. Il y eut toutefois de belles soirées comme le dernier concert d’Edith Piaf le 31 mars 1963 sur une scène où se sont quand même succédé Brassens, Brel et les Frères Jacques.

© DR

L’Opéra est un lieu d’interrogation culturel passionnant. Tous mes vœux l’accompagnent pour la  longue vie qu’il mérite !

Jean-Claude Casadesus

Évolution

Pierre Mauroy annonce le 20 février 1979 la création de l’Opéra du Nord regroupant les villes de Lille, Roubaix et Tourcoing sous la direction d’Élie Delfosse mais la mésentente entre les municipalités à l’issue des élections municipales de 1983 aboutira à la fin de l’Opéra du nord l’été 1985 et à la fermeture du théâtre lillois un an plus tard pour trois années. La première de Don Giovanni le 31 mai 1991 marque la véritable réouverture des lieux avec Jean-Claude Casadesus à la tête de l’Orchestre national de Lille et Richard Foreman à la mise en scène. Quelques mois plus tard, les lillois applaudissent le célèbre violoncelliste, Mstislav Rostropovitch et la magnifique scène sera de nouveau foulée par nombre d’artistes illustres.

Rostropovitch à l’Opéra de Lille, le 6 décembre 1991 © DR

Les architectes Patrice Neirinck et Pierre-Louis Carlier conduisent d’importants travaux de rénovation à partir de 1998. Martine Aubry, élue maire en 2001 souhaite que l’opéra ouvre ses portes pour la saison 2003-2004 qui coïncidera avec le lancement de Lille 2004, capitale européenne de la culture. L’objectif est désormais de toucher un public plus large et diversifié et la nouvelle directrice, Caroline Sonrier relève le défi avec passion. Le pari est tenu et la soirée d’ouverture a lieu le 9 décembre 2003 avec un spectacle de Bill T. Jones et depuis, les artistes confirmés et d’autres moins connus mais promis à de belles carrières se succèdent à l’opéra qui met en avant les jeunes générations de metteurs en scène, chanteurs, chorégraphes, danseurs et musiciens. Aujourd’hui, les manifestations ouvertes à tous se multiplient comme les Concerts du Mercredi donnés dans le foyer à 18 heures pour un tarif accessible au plus grand nombre, les « Happy Days » pour adultes et pour enfants qui attirent des milliers de spectateurs sur un week-end, les retransmissions de certains spectacles sur grand écran.

La fosse d’orchestre © photo Frédérique Vanandrewelt

L’Opéra n’a pas échappé aux ravages de la pandémie de 2020 à 2022, il doit ensuite faire face à la crise économique mais il surmonte tous les obstacles. Il devient en 2021 le premier opéra de France à obtenir la certification internationale ISO 20121.

Un samedi matin par mois, une cinquantaine de personnes ont le privilège, après avoir réservé leur visite sur le site de l’opéra, de visiter les lieux. J’ai tenté l’expérience pour vous et je n’ai pas été déçue ! Répartis dans deux groupes, nous avons profité d’une visite très intéressante du fumoir à la salle de répétition sous les toits en passant par le magnifique foyer et bien sûr la salle de spectacle à l’italienne. Je vous conseille vivement de suivre Joséphine, hôtesse d’accueil passionnée qui vous réserve une surprise mémorable en fin de parcours !

Je n’ai plus qu’une envie, c’est d’entrer bientôt par la grande porte pour gravir l’escalier d’honneur et assister à l’avant-première du prochain opéra à l’affiche : Tristan et Isolde de Richard Wagner. Promis, je vous raconterai…

Les bonnes adresses de Joséphine :

Joséphine est une lilloise qui y a fait ses études en audiovisuel avant de se lancer dans une carrière d’illustratrice et de travailler à l’opéra en parallèle.

Pour déjeuner après la visite, elle nous conseille les mezzé de Chez Michel, ou plus local, les welsh de L’estaminet du welsh.

Pour feuilleter le livre anniversaire de l’opéra, elle nous recommande une terrasse face à la cathédrale, Le Parvis de la Treille.

Et son petit conseil si vous réservez une place de spectacle : la deuxième galerie qui vous assurera un point de vue idéal !

Pour en apprendre encore davantage et lire tous les témoignages des acteurs de la vie de l’opéra : Une maison d’opéra au XXe siècle. Opéra de Lille, 1923-2023 sous la direction de Raphaëlle Blin, éditions Snoeck, 2023 (en vente à l’opéra et dans les librairies lilloises).

© Éditions Snoeck

Si vous allez à Lille ne manquez pas de visiter la maison natale du Général de Gaulle.