10 mots pour définir le mouvement punk britannique
Combien de fois avons-nous lu « une définition » ou « une histoire du punk » quelque part sur la couverture d’un livre, dans un article de blog ou, même, une revue spécialisée ? Le punk a plusieurs définitions et plusieurs histoires, selon les points de vue et l’angle avec lequel on décide de les décortiquer, mais il y a tout de même des constantes, des détails incontournables qu’on se doit de mentionner quand on tente de remettre le punk dans son contexte. Faisons les choses un peu différemment. Dans cet article, on vous propose de découvrir une définition du punk, en 10 mots-clés. Pas un de plus.
1. Anarchie
Le punk, c’est avant tout une idéologie qui s’oppose à un système. Si le mouvement naît aux Etats-Unis, c’est véritablement au Royaume-Uni qu’il prendra son essor. La jeunesse a perdu foi en l’optimisme véhiculé par le mouvement hippie et cherche à trouver des solutions dans son contraire : l’anarchie, le chaos pour seule réponse à la montée des nationalismes en Angleterre. « Que Dieu sauve la Reine/Et son régime fasciste » chantaient les Sex Pistols. No Future, slogan punk ultime, est repris dans ce célèbre single sorti le 22 mai 1977, soit une semaine avant le grand week-end du jubilé d’argent de la reine Elizabeth II. Cette phrase à elle-seule représente une jeunesse radicale qui ne croit plus aux certitudes de leurs aînés à l’heure même où la crise et le chômage grimpent en flèche.
L’anarchie, par définition, est le rejet de toute forme d’autorité, un désordre résultant de l’absence de règles précises. En anglais, on lui trouve même un synonyme : lawlessness. Sans loi. Le punk, c’est faire ce qu’on veut, comme on l’entend : c’est une forme de liberté.
2. Vitesse
Au-delà du rythme effréné de la plupart des chansons punk que l’on peut trouver, ce mot s’applique également à l’élaboration de ces mêmes titres, ou à n’importe quelle création dans n’importe quel domaine, artistique ou non, qui pourrait se qualifier d’esprit punk. Des affiches, des albums, des fanzines, des concerts : tout devait impérativement se produire dans l’ici et maintenant, parce qu’il n’y a pas d’avenir. Ce dernier est incertain, voire inexistant, et il faut faire les choses vite pour en profiter au maximum dans le présent.
Ainsi, The Clash ont sorti six albums studios : les quatre premiers, en quatre ans seulement. Un album par an, c’est aujourd’hui peu commun, voire même impensable si l’on tient à fournir quelque chose de correct et de travaillé, de recherché, empreint d’une certaine technique… Quand on est punk, on se fiche pas mal du résultat, tant qu’on a dit ce qu’on voulait dire. On chante faux, on joue les quatre mêmes accords sur dix chansons différentes, mais ça fonctionne, parce que c’est direct et efficace.
3. Laideur
« Le punk, c’est prendre quelque chose de moche et en faire quelque chose de beau ». Cette phrase prononcée par Billie Joe Armstrong, lors d’une interview pour Rolling Stone, représente très bien l’idée que le punk se fait de son apparence. C’est le culte de la laideur par excellence, qui se traduit dans l’esthétique, que ce soit d’une chanson ou du code vestimentaire. On accélère le tempo, on fait des collages en guise d’affiches, on déchire les vêtements, on colore ses cheveux…
Ce style marque la volonté d’éclatement des codes. On déconstruit, on détruit pour mieux recréer ensuite, on tente de sublimer un monde dont la structure actuelle opprime l’humain et sa liberté. On se souvient de l’apparition de la croix gammée dans la panoplie punk, qui a effrayé plus d’un britannique, alors que les idéologies racistes du National Front font de beaux scores aux élections. Encore une fois, l’objectif est de choquer, de casser les codes traditionnels et de se marginaliser.
4. Nihilisme
Le punk est né de perturbations politiques, d’un taux de chômage en constante augmentation et de l’instauration de la poll tax par Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Caroline De Kergariou, dans son livre : “No Future. Une histoire du punk”, le dit très bien : « Bien masqué derrière son amour de la provocation, le punk est beaucoup plus sérieux qu’il n’y paraît : il constitue la réponse d’une génération à un monde usé, dont l’arrogant modèle économique s’est fracassé sur le choc pétrolier de 1974 et dont même les contre-valeurs (militantisme et révolution) n’ont plus aucun sens pour elle ».
La génération de la fin des années 1970 se trouve écœurée, abusée par de belles promesses d’un avenir meilleur, sans pauvreté, sans chômage, en proie à des avancées technologiques qui facilitent a priori le travail pénible. Ils prennent le contrepied de ce faux optimisme en prônant, à sa place, le réalisme, en admettant enfin que le monde ne se porte pas aussi bien qu’on veut leur faire croire. C’est ce point de vue négatif qui agit comme une libération, l’idée que le monde est voué à une destruction imminente, que l’homme et la vie n’ont pas raison d’être, est plus sincère et honnête que tout ce que les politiques de l’époque évoquent dans leurs discours. C’est cette sincérité, dépeinte et décortiquée par l’auteure française, qui prouve que le nihilisme véhiculé par les punks n’est pas forcément synonyme de mauvais.
5. Uniforme
Le punk est facilement reconnaissable dans la rue, au point qu’il s’apparente aujourd’hui à des stéréotypes, des clichés vestimentaires aujourd’hui exploités par les grandes marques de vêtements qui, elles, ne prônent ni ne véhiculent les idéologies qui vont de pair avec la panoplie vestimentaire. Des creepers aux Dr Martens, du perfecto en cuir au pull détendu, l’essentiel de l’uniforme punk passe avant tout sur de la seconde main et du fait-maison. Il en va de même pour la fameuse mohawk colorée : à l’époque où le gel n’existait pas encore, on utilisait les moyens du bord. L’utilisation de la glue et du blanc d’œuf était répandue pour faire tenir en l’air les cheveux de ces marginaux.
6. Scandale
Choquer, c’est l’un des buts premiers du mouvement punk. Et le principal instrument du choc, c’est le scandale : un événement, une chanson, une parole, une affiche, quelque chose qui fera couler beaucoup d’encre. De la mauvaise presse, une mauvaise réputation, tout est bon pour qu’on en parle. C’est dans cet esprit que Malcolm McLaren, manager des Sex Pistols, le groupe punk le plus sulfureux d’Angleterre, prépare sa stratégie de communication. Il n’a pas besoin d’enseigner aux membres du groupe comment se comporter : Johnny Rotten, Sid Vicious, Steve Jones et Glen Matlock se débrouillent très bien tout seuls pour se faire remarquer, souvent en mal.
Ainsi, le 1er décembre sur Thames TV, dans l’émission de Bill Grundy, Today, les Sex Pistols apparaissent enfin à la télévision à la suite de la sortie de leur single Anarchy in the UK et l’annonce du début de la tournée éponyme. L’animateur est connu du grand public pour avoir fait passer les Beatles à la télévision. C’est à cette heure de grande écoute que l’on entend les membres du groupe punk dire « merde » et « enculé » à l’antenne. Quel choc ! Un père de famille aurait même rapporté aux médias qu’il a été obligé de défoncer son poste à coup de savate pour éviter que son petit garçon de huit ans ne soit témoin de ces atrocités. Ce à quoi Johnny Rotten aurait répondu, avec toute l’ironie qui le caractérise : « Il n’a jamais entendu parler du bouton d’arrêt ? ».
7. Musique
Le principal moyen d’expression du punk se fait via des paroles cinglantes, chantées ou hurlées, sur des riffs de guitare agressifs et rapides, une batterie résonnante qui n’incite certainement pas au repos et une ligne de basse parfois négligée. Même si d’autres vecteurs créatifs ont été exploités avec cette philosophie, c’est avec la musique que le punk sera le plus véhiculé. Des groupes naissent, de partout, à n’en plus finir. Parmi les plus célèbres, on retrouve bien entendu les susmentionnés Sex Pistols et The Clash, mais aussi The Damned, qui forme avec eux le tiercé gagnant anglais. Aux Etats-Unis, ce sont les Ramones et Television qui ont la cote sur la côte Est. Mais n’importe qui pouvait faire de la musique punk : c’est le principal message véhiculé par le mouvement et sa philosophie qui l’accompagne, le Do It Yourself, parfaitement illustré par le fanzine anglais Sideburns qui affichait sur sa couverture en décembre 1976, le dessin de trois accords de guitare (un la, un mi et un sol) ainsi légendé : « Voilà un accord, en voilà un autre, en voilà un troisième. Maintenant, monte ton groupe ! ».
8. Provocation
La question se pose souvent : les punks sont-ils racistes ? Fascistes ? Antisémites ? Macho ? Quand on se souvient de la foule de groupes punks présents au concert « Rock Against Racism » organisé à Londres en 1978, comme les Clash, les Buzzcocks, X-Ray Spex et j’en passe, avec la Ligue anti-nazi, on serait tenté de dire « non ». Mais l’apparition de la svastika dans l’uniforme punk en aura effrayé plus d’un, même alors que les idées racistes du National Front rencontrent toujours un franc succès aux élections au Royaume-Uni. L’objectif est évidemment de provoquer, de choquer, à la fois les nombreux britanniques qui vivent encore dans le souvenir d’après-guerre et qui idéalisent les vainqueurs des nazis, mais aussi les communistes, notamment grâce à Vivienne Westwood, styliste et épouse de Malcolm McLaren, qui associe la croix gammée au portrait de Karl Marx, précurseur des théories anticapitalistes, sur ses t-shirts de SEX, boutique londonienne.
C’était une façon comme une autre de mettre la droite et la gauche dans le même panier de sottises politiques. Alors, non, les punks ne sont pas forcément racistes, fascistes, antisémites… ils ont certes souvent été confondus avec les boneheads, lesquels avaient un certain goût pour le foot, la bière et la baston. Ils arborent un uniforme presque similaire aux skinheads, et revendiquent eux aussi leurs origines prolétaires, à ceci près que, malgré leur amour pour le reggae, les bones n’hésitaient pas à tabasser les immigrés et à professer un nationalisme flirtant avec la xénophobie.
9 D.I.Y.
Cet acronyme revient souvent dans les définitions du punk, pour la simple et bonne raison qu’il représente à lui seul l’entière philosophie du mouvement. Do It Yourself, qui signifie « Fais-le toi-même », est une phrase devenue un véritable symbole, aujourd’hui davantage associée au bricolage, à la création d’objets ou de projets artistiques à l’aide de bouts de ficelles et de très peu de moyens. C’est le principe de base du mouvement, et une réelle volonté presque « politique » d’indépendance, de liberté par rapport à l’industrie du disque, notamment, et des grands circuits commerciaux en général. « Si vous ne trouvez pas votre place, ni les moyens d’exister, prenez-vous en main ! », disaient Laurence Schaak et Goulven Hamel dans leur roman jeunesse Je hais l’amour véritable.
C’est autour de ce même état d’esprit que la mode punk s’articule, dans les boutiques d’occasion, et que les fanzines se multiplient, ronéotypés ou photocopiés. On se moque bien des canons de l’esthétique, les concerts s’organisent dans des lieux insolites comme des squats ou en louant des salles, et les premiers labels indépendants voient le jour. C’est une tendance qui, grâce à ses débuts pendant la période punk, continuera à marquer les esprits pour les générations suivantes, notamment avec l’autoédition et l’autoproduction.
10. Violence
Même si elle n’émane pas directement de la communauté punk, c’est un fait : la jeunesse rebelle, après l’expression pacifique, n’hésite pas à employer la force pour se défendre. Et l’on parle bien de ça : les violences policières sont monnaie courante à l’époque, en particulier contre les immigrés jamaïcains venus chercher refuge en Grande-Bretagne. C’est notamment ce dont parle Paul Simonon, bassiste des Clash, dans les paroles qu’il écrit qui deviendront le tube Guns of Brixton. C’est ce même artiste qui écrit White Riot, véritable hymne qui dépeint les violences policières commises lorsque le Notting Hill Carnival se termine en émeute raciale, le 30 août 1976. Il faudra alors attendre 1981 pour voir apparaître une réelle réglementation du comportement policier en Grande Bretagne qui empêchent ces violences gratuites.