Idomeneo : une rentrée époustouflante à l’Opéra Royal de Wallonie
Stefano Pace, directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie a choisi comme intitulé de la saison 2023/2024 : (se)projeter ! Concevoir une saison musicale est un vrai défi, et le premier spectacle donne le ton. En ouvrant la programmation avec l’opéra Idomeneo de Mozart, nous avons droit à un véritable coup de maître.
Mozart est sans aucun doute, l’un des plus grands compositeurs de tous les temps. Si pas le plus grand. Connu pour être capable de composer rapidement, et sans énormément retravailler ses œuvres, il n’en est pas de même pour Idomeneo. Le jeune homme s’est, en effet, donné beaucoup de mal pour mener à bien son opéra.
Un contexte de création particulier
Mozart étouffe à Salzbourg. Employé par le prince-évêque Hieronymus von Colloredo-Mansfeld, ce dernier impose trop de contraintes au compositeur. Ses relations avec Mozart vont aller en se dégradant. Mozart réagit d’abord par une surabondance créatrice. Cette poussée créatrice marque d’ailleurs le début de la maturité mozartienne. En 1776, Mozart décide de s’affranchir de Colloredo et il quitte Salzbourg, contre l’avis de son père, qui s’y oppose de toutes ses forces, sans succès.
Le périple de Mozart commence en compagnie de sa mère, et après un détour par Mannheim où il tombe amoureux, il arrive enfin à Paris. Ses nombreuses étapes ne lui apportent pas le succès escompté, ni en amour, ni professionnellement. Qui plus est, en France, il a même du mal à se faire payer ses leçons de musique et sa mère tombe malade à Paris et décède. C’est un terrible traumatisme pour Mozart, qui de plus doit affronter la terrible colère de son père.
Il rentre alors la tête basse à Salzbourg et reprend son poste de Konzertmeister, auquel Colloredo ajoute la fonction d’organiste de la Cour.
En novembre 1780, il reçoit une commande pour l’opéra de Munich, où il se rend comme son contrat l’y autorise. Il se lance donc dans la composition d’Idomeneo avec le librettiste Giambattista Varesco.
Idomeneo est un opéra « seria » (opéra de tradition et de langue italiennes, pratiqué au XVIIIème siècle. Son caractère est « noble » et « sérieux ». Il est pratiqué dans toute l’Europe de l’époque, sauf en France). Bien que les thèmes des opéras seria soient tragiques, la fin doit être « lieto fine », c’est-à-dire heureuse.
L’argument d’Idomeneo
Après la chute de la ville de Troie, le roi de Crête, Idoménée, regagne sa patrie où son fils Idamante assurait la régence en attendant son retour. Il assure également la garde des prisonniers troyens, au nombre desquels se trouve Ilia, fille du roi Priam, dont il tombe amoureux. Alors qu’il est en route pour rejoindre la Crête, Idoménée est pris dans une terrible tempête et pour se sauver, promet au dieu Neptune de sacrifier la première personne qu’il rencontrera en remettant pied sur son île. Malheureusement, il s’agit de son propre fils qu’il rencontre.
Au premier acte, l’on découvre également qu’Ilia se désole car elle partage les sentiments d’Idamante, et elle se sent traître à sa patrie, elle aime l’ennemi de son peuple. Pour célébrer le retour de son père, et assurer la paix entre leurs deux peuples, Idamante libère les prisonniers troyens.
Electre, fille d’Agamemnon, s’est réfugiée en Crète, elle aussi, après le meurtre de sa mère par Oreste. Et elle aussi aime Idamante, et est farouchement jalouse d’Ilia.
Quand Idoménée arrive sur le rivage et découvre Idamante, il est rempli d’effroi à cause de son vœu. Il révèle à son confident Arbace, dans l’acte II, le terrible serment qu’il a fait et qui condamne son fils. Afin d’essayer de ne pas tenir sa promesse, il envoie Idamante en Grèce, afin d’y ramener Electre. Mais au moment de partir, un effroyable monstre marin met tous les Crétois en danger. La ruse d’Idoménée est déjouée.
Idamante et Ilia s’avouent leur amour (Acte III). Ils sont surpris par Electre et Idoménée, qui supplie quand même son fils de partir. Le peuple menacé et le grand prêtre veulent savoir pourquoi la colère de Neptune est déchaînée à ce point, et Idoménée révèle son serment à tous. Idamante tue le monstre marin et s’offre en holocauste pour sauver le peuple, mais Ilia s’interpose lors du sacrifice, voulant mourir à la place de son amour.
C’est alors que retentit la voix de l’oracle de Neptune, qui exige qu’Idoménée renonce au trône au profit d’Idamante, qui régnera avec Ilia comme épouse. Electre disparaît, en proie à une terrible fureur, proche de la folie. Idoménée accomplit la volonté de Neptune et la paix se rétablit sur la Crête.
Une mise en scène sans défaut
La mise en scène d’Idomeneo a été assurée par Jean-Louis Grinda. Ancien directeur général et artistique de l’ORW de 1996 à 2006, il a pris la tête de l’Opéra de Monte-Carlo jusqu’en 2022, et depuis 2016, il est directeur des Chorégies d’Orange. Il a axé sa mise en scène sur la mise en évidence de l’esprit des Lumières, si présent dans tout l’opéra. Les dieux restent présents, mais acceptent de laisser une certaine liberté aux hommes.
Grinda a également mis l’accent sur les relations conflictuelles entre un père et son fils. Tout comme l’opposition entre Mozart et son père transpire dans tout cet opéra. Ce qui le rend si riche, si puissant, si émouvant. Des tonalités en sol mineur sont présentes dans tout l’opéra, tonalités qui expriment la tristesse au travers de toute l’œuvre de Mozart. Encore un beau succès de l’Opéra Royal de Wallonie après le Don Giovanni de l’année dernière.
Le trio Laurent Castaingt (décor et lumières), Jorge Jara (costumes) et Arnaud Pottier (vidéos) habille la mise en scène de façon imparable. Tout y est, la symbolique de la Crète, la mer omniprésente, les visages des différents protagonistes qui se découpent sur le fond, les lumières qui éclatent à chaque scène. Tirant parti de chaque partie du livret, de chaque portée de la partition, l’histoire se déroule haletante, déchirante, jusqu’aux dernières mesures de l’opéra.
Une distribution magnifique
Fabio Bondi dirige l’orchestre avec un énorme talent. Il emmène ses musiciens avec un tel enthousiasme et une telle justesse que l’on comprend aisément qu’il s’agisse d’une figure de référence parmi les chefs d’orchestre actuels.
Le ténor Ian Kozaria joue et chante un Idoménée torturé avec conviction et justesse. Annalisa Stroppa est une des mezzo-sopranos les plus en vue de sa génération, et on comprend pourquoi. Jouant le rôle d’Idamante, elle doit tenir un rôle d’homme, ce qui n’est pas facile. Elle le fait magnifiquement, son jeu de scène est convaincant et sa voix juste, modulée est expressive à souhait. Le rôle de la douce Ilia est chanté par Maria Grazia Schiavo. La douceur, l’amour, la tendresse exprimée dans ses notes magnifiques a fait chavirer les spectateurs.
Mention spéciale à Nino Machaidze, dans le rôle d’Elettra/Electre. C’est sans doute elle qui avait le rôle le plus riche et le plus complexe, elle a dû exprimer un florilège de sentiments, allant de la passion à l’espoir, de la jalousie la plus féroce au désespoir, pour finir par la fureur confinant à la folie. Et elle l’a fait, sans faux pas, avec une puissance de jeu ébouriffante et une voix naviguant entre les notes cristallines de l’amour, et les tonalités les plus sombres du désespoir, de la fureur et de la folie. Elle est étourdissante.
Riccardo della Sciucca n’a pas un grand rôle, puisqu’il était Arbace, mais quelle voix ! Quant à la seule basse de la distribution, Inho Jeong, lui aussi a donné une merveilleuse démonstration de son talent, et on se réjouit de le voir bientôt dans Pelléas et Mélissande.
La place des chœurs est très importante dans Idomeneo. En fait, le chœur est un personnage en lui-même, et l’ensemble de l’ORW a de nouveau été absolument merveilleux. On sentait réellement l’unité de toutes ces voix, et l’on ne pouvait être que transporté.
Un opéra à savourer jusqu’au 28 septembre.