L’Opéra royal de Wallonie présente à Liège un Don Giovanni de Mozart, vu au travers du regard novateur du cinéaste et metteur en scène Jaco Van Dormael. Surprise et délices des yeux et des oreilles au rendez-vous.

Pour l’avant-dernier opéra de la saison 2021_2022, l’Opéra Royal de Wallonie présente une nouvelle fois « Don Giovanni » de Mozart, mis en scène par Jaco Van Dormael,  et dont les premières représentations datent de 2016. Cette composition de Mozart, œuvre majeure de tout le répertoire lyrique (Wagner l’appelait d’ailleurs l’opéra des opéras), est ici transposée dans l’univers des traders. Un modernisme qui s’accommode bien avec la trame intemporelle de l’histoire, même si le livret de da Ponte ne colle pas toujours au décor d’une salle des marchés et d’un penthouse nanti d’une luxueuse piscine.

Un opéra qui a servi d’inspiration aux meilleurs compositeurs romantiques, transposé dans notre époque.

Davide Luciano dans le rôle de Don Giovanni © ORW-Liège – J. Berger.

Don Giovanni est le deuxième des trois opéras composés par Mozart. Appartenant à la période classique, il est une des sources les plus importantes d’inspiration des compositeurs romantiques. Au travers ces deux actes, le compositeur autrichien réalise une synthèse époustouflante de virtuosité d’éléments « buffa » et « seria », ce qu’on appelle aujourd’hui « un drame joyeux » ou « drama giocosa ».  Il s’agit de l’opéra de la maturité de Mozart, alors au sommet de son inspiration. La trame résolument tragique, puisqu’elle débute par un viol, et se poursuit par le récit des nombreux abandons de jeunes femmes perpétrés par un Don Juan, complètement dépourvu d’empathie, est néanmoins entrecoupée de passages grotesques venant de la comedia dell’arte. Dans cette œuvre, les passions s’affrontent, la grandeur côtoie les pires bassesses, Don Giovanni défie la morale, ne fait aucun cas de l’amour et il ira jusqu’à défier la mort elle-même, puisqu’il préfère la destruction plutôt que de renier sa personnalité. A-t-il même conscience de ses travers ? On peut en douter. D’ailleurs, aucun des personnages ne semble jamais se remettre vraiment en question, sauf peut-être donna Elvira, qui naviguera entre passion et haine, colère et tentative désespérée de sauver son amour. Ces questions, le spectateur se les posera néanmoins, et montrent la dimension métaphysique de cette œuvre.

Lorsque se lève le rideau, on se trouve projeté dans un luxueux penthouse, au pied duquel se trouve une piscine que les jeux de lumières éblouissants de Nicolas Olivier rendent plus vraie que nature. L’illusion est d’autant plus parfaite que de belles nageuses se déplacent gracieusement dans tout ce bleu mouvant. Tout au long de l’opéra, on peut admirer les décors épurés et pourtant très représentatifs de Vincent Lemaire. Celui-ci animera le spectacle de façon magistrale, balançant sans cesse entre l’ombre et la lumière. 

La récurrence de la tonalité du Ré mineur, traditionnellement attribuée à la musique sacrée et à l’évocation de l’au-delà, rappelle inexorablement le sort de chaque homme.

L’histoire de Don Juan, tout le monde la connaît. Elle est attribuée à Tirso de Molina, un moine espagnol de la première moitié du 17ème siècle. En 1665, Molière publie son Don Juan ou le festin de Pierre, dont Gluck s’inspirera pour son ballet-pantomine créé en 1671. En 1787 les compositeurs Gazzaniga et Gardi présenteront des opéras sur le même sujet, mais ils ne rencontreront pas le même succès que l’opéra de Mozart qui sera créé la même année le 29 octobre 1787 au théâtre Nostitz de Prague.

L’imagination de Jaco Van Dormael va transformer le gentilhomme sévillan en un jeune trader ambitieux, sans scrupules, homme à femmes, pire, collectionneur de succès féminins, insatiable dans ses amours comme dans son désir de posséder toujours plus d’argent, toujours plus de drogue, et surtout plus de pouvoir. Car ce que recherche Don Giovanni avant tout, c’est la domination. Que ce soit sur les femmes, son valet Leporello, ou les techniciens de surface remplaçant les paysans des versions plus classiques, Don Giovanni veut tout maîtriser, mais prend la fuite au moindre danger. Il consomme tout ce qu’il peut, et n’en a pas encore terminé qu’il pense déjà à sa prochaine conquête. Rien ne semble pouvoir freiner cette fuite en avant.

Mozart, par l’alternance d’épisodes tragiques et comiques, jetait sur ses contemporains et son époque, un regard cynique et même cruel. Regard qui reste d’une actualité brûlante qui ne nous rend pas spécialement fiers de nous-mêmes.

Don Giovanni, sombre, avide, désespéré, toujours en quête de possession, toujours insatisfait, est une ébauche parfaite des héros romantiques qui lui succéderont.

Davide Luciano dans le rôle de Don Giovanni © ORW-Liège – J. Berger.

Quand on demande à Jaco Van Dormael ce qu’il pense du travail sur une scène lyrique, il répond en toute modestie : «  Je pense que M.Mazzonis me demande de venir à cause de mon incompétence justement du fait que je ne sais pas comment les autres ont fait avant et je suis obligé d’inventer quelque chose de différent. Le livret est très bien écrit et c’est beaucoup plus facile avec un scénario qui est bien écrit ».

La scène finale du banquet montre deux femmes nues couvertes de fruits et de chocolat. Selon Jaco Van Dormael, ce n’est pas choquant, il n’y a rien d’indécent et il s’agit d’une allégorie des scènes de sexe qui sont à chaque fois ratées car Don Juan est plutôt pitoyable dans ce domaine.

Don Giovanni trouvera la mort des mains du fantôme du Commandeur qui le noiera dans la piscine, car le séducteur refusera de se repentir. C’est l’eau qui représente ici le  feu de l’enfer où le séducteur perdra définitivement son âme.

La distribution vocale est très réussie. Dans le rôle de Don Giovanni, le baryton Davide Luciano use de toute sa sensualité et d’un très juste jeu de scène . Il connaît Mozart puisqu’il a déjà joué le comte Almaviva dans les « Noces de Figaro » à l’Opéra National du Rhin. Il fréquentera aussi les scènes aussi prestigieuses que celles du Metropolitan Opera de New-York, le Teatro Regio de Turin ou le Deutsche Oper de Berlin. Bien que la mise en scène de Jaco Van Dormael date de 2016, c’est la première fois que Luciano sera le rôle-titre à l’ORW.

Donna Elvira, jouée par Josè Maria Lo Monaco fait passer énormément d’émotion, de désespoir et de colère dans ses intonations et sa voix cristalline est un vrai délice à entendre. Elle a d’ailleurs fréquenté les scènes les plus prestigieuses, après avoir débuté sa carrière à la Scala de Milan.

Sarah Defrise (Zerlina) a une présence incroyable sur scène et sa voix module les sentiments à merveille, elle émeut les spectateurs qui n’ont pas besoin des sous-titres de l’opéra pour connaître la teneur du message. Quant aux chœurs de l’ORW, pas le moindre faux pas, et leur présence scénique vaut vraiment la peine d’être saluée.

Shaby Torbay (Le commandeur) et Davide Luciano ( Don Giovanni) © ORW-Liège – J. Berger

Don Giovanni se jouera à l’opéra Royal de Wallonie  jusqu’au 21 mai – 20h

La dernière représentation se jouera le jeudi 26 mai à 20h au Palais des Beaux-Arts de Charleroi, sous la direction musicale de Ayrton Desimpelaere.

Pour réserver vos places à l’Opéra Royal de Wallonie à Liège: Don Giovanni | Opéra Royal de Wallonie (operaliege.be)

À noter des tarifs extrêmement avantageux pour les jeunes en dessous de 33 ans et en dessous de 26 ans. N’hésitez surtout pas à consulter les tarifs en suivant le lien ci-dessous :

Pour réserver vos place au Palais des beaux-arts de Charleroi : Don Giovanni | PBA