Dominique Corbiau, l’ange amoureux de l’Italie
Dominique Corbiau est un contre-ténor, c’est-à-dire qu’il chante avec une voix très haute, semblable à celle des castrats des siècles passés. C’est aussi un véritable personnage, à la ville comme à la scène. Nous avons eu le privilège de le rencontrer.
Grégoire Tolstoï : Dominique Corbiau, comment avez-vous découvert votre tessiture extraordinaire ?
Dominique Corbiau : J’ai commencé à chanter très tôt. Enfant je chantais dans les chœurs d’enfants de la RTBF, la maîtrise de la radio-télévision francophone belge, quand j’avais neuf ans. J’y ai chanté le Stabat Mater de Pergolese, et pour me préparer j’ai écouté un enregistrement dans lequel j’ai été confronté pour la première fois à un contre-ténor, René Jacobs. C’est un Belge, gantois, actuellement il est chef d’orchestre, mais à l’époque il faisait partie de ces premières générations de contre-ténors qui ont remis cette tessiture haute dans l’actualité musicale. J’ai immédiatement été séduit par ce répertoire et par l‘émotion que cela provoquait en moi.
Comme beaucoup de contre-ténors, j’ai continué à travailler ma voix même pendant la mue, ce qui m’a permis de conserver cette voix de tête, haute comme celle d’un enfant. Je n’ai pas découvert ce registre à l’âge adulte, il était là depuis le début. Puis je suis rentré au Conservatoire et j’ai continué.
Quand on vous entend parler, vous avez une très belle voix grave. Quel contraste avec votre voix chantée…
C’est comme les gymnastes, à force de faire des exercices ils gardent la capacité de faire un grand écart. Il en va de même pour la voix, si je peux me permettre ce genre de comparaison. Tout homme a la possibilité d’utiliser sa voix de tête quand il le veut, par exemple de manière ironique. Ce registre vocal reste présent. Les femmes ont également une voix de tête, la différence est moins significative que chez un homme où le contraste est saisissant, mais elles possèdent aussi une voix de poitrine et une voix de tête. C’est une faculté très répandue, mais il faut beaucoup de travail pour pouvoir aller dans les extrêmes.
Quelle musique Dominique Corbiau écoute-t-il en dehors du registre de la musique classique ?
J’aime les belles voix, c’est certain, donc la musique lyrique est évidemment très importante pour moi. Mais j’écoute aussi de la variété française, par exemple Barbara, Brel, Gainsbourg aussi pour l’aspect poétique et le caractère de sa voix. J’aime la musique brésilienne pour me détendre, que ce soit la bossa nova, des chanteurs comme Gilberto Gil, Maria Bethânia et son frère Caetano Veloso. Harmoniquement il y a quelque chose dans cette musique qui me met en joie. J’aime bien certaines belles plastiques vocales de jazz comme Ella Fitzgerald, mais globalement je n’écoute pas beaucoup de jazz.
Dominique Corbiau, ceux qui ont la chance de vous rencontrer se retrouvent face à un véritable personnage
Cela fait partie de l’histoire du chanteur lyrique, où le personnage de la scène et celui de la ville se confondent parfois, bien qu’il existe aussi un troisième personnage, celui de l’intime, qui est peut-être encore ailleurs. Quand je suis en représentation il se crée quelque chose de l’ordre du personnage. La voix d’opéra est supposée créer des émotions plus grandes que nature, et le personnage qui l’interprète s’y associe, avec une énergie qui sort souvent de l’ordinaire.
Il y a des moments à la ville où je suis encore dans le personnage, mais aussi des moments amicaux où j’enlève le masque. Nous sommes tous pluriels, et quand nous sommes en représentation on met tous des masques, c’est le jeu social qui veut cela. Et quand, de surcroît, on est un personnage public qui interprète des personnages d’opéra, c’est peut-être plus flagrant encore.
A propos de masques, comment s’est passé la période du COVID pour vous ?
Ce fut une suspension angoissante de nos activités. Les artistes étant par nature très réceptifs, comme des éponges, nous avons été encore plus attristés. L’art est normalement une valeur refuge durant les grandes crises, qui permet à tout le monde d’aider à surmonter le moment. Mais là, même ceci nous était interdit. On fermait les théâtres. Cette capacité d’être une échappatoire aux angoisses nous a été interdite, alors qu’elle est indispensable à la société. Ce fut dur à vivre.
Pour moi l’envie même de chanter à diminué quand la scène nous a été interdite. L’envie de chanter va de pair avec le fait d’être entendu, de partager, d’avoir des projets. Il faut une certaine joie de vivre, un enthousiasme.
Quelle est votre actualité ?
Je viens de prêter ma voix pour un projet de mapping qui s’intitule Embrace of Lights, en compagnie d’une grande chanteuse lyrique coréenne, Sumi Jo.
C’est un magnifique spectacle installé par l’artiste coréenne Ligyung pour célébrer les soixante ans de relations diplomatiques entre la Corée et l’Union Européenne. Il y a toute une symbolique de commémoration et d’espoir en un futur harmonieux. Musicalement c’est inspiré de Haendel, remis en musique avec des instruments coréens comme la flûte coréenne. Je fais des vocalises improvisées sur cette musique. L’entrée est libre et cela se joue aux Arcades du Cinquantenaire jusqu’au 22 novembre de 18h à 22h.
Vous sortez également un nouveau disque : Vaghi Fiori
Oui, c’est une disque de cantates baroques italiennes sur le thème des fleurs, Vaghi Fiori voulant dire « Charmantes Fleurs ». Ce sont les fleurs dans leur valeur symbolique et allégorique. La rose c’est bien sûr la passion, les souffrances amoureuses avec les épines qui peuvent faire mal. Le lys c’est la pureté conjugale, le jasmin c’est la sensualité, la violette la timidité amoureuse qui découvre l’autre, qui s’émerveille lors d’une première expérience pleine d’émotion, mais qui peut aussi être abusée, ce sont les dangers de l’amour.
Tout ce côté poétique de ces cantates est mis en musique comme de petits opéras avec chaque fois une histoire différente, par exemple celle de la rencontre entre le lys et la rose. Il y a une tarentelle à la fin où Flore, la déesse des fleurs, couronne le lys et la rose en les nommant le roi et la reine de fleurs. Les fleurs sont aussi un langage parfumé qui transmet un message amoureux indicible avec notre vocabulaire limité. Leurs beautés visuelle et olfactive vont transmettre ce message. Tout ceci est au cœur de ces cantates pastorales qui se développent dans le décor de la mythique Arcadie.
J’ai enregistré ce disque avec mon ensemble La Camerata Sferica avec lequel j’explore les merveilles encore trop méconnues des XVIIè et XVIIIè siècles. Il sort sous le label Sonamusica.
Écoutez ici quelques extraits.
Et ce n’est pas fini… Vous avez aussi le magnifique spectacle Il Teatro alla Moda qui tourne !
Absolument, Il Teatro alla Moda est un « seul en scène » musical que je fais tourner en ce moment. Dans un tourbillon de costumes et de décors virtuels, je m’amuse à décrire les coulisses et les extravagances du monde de l’opéra à Venise au début du XVIIIè siècle : la malhonnêteté des impresarios, l’incapacité et la vénalité des compositeurs et des librettistes, la vanité et la vulgarité des chanteurs, la maladresse des musiciens, l’absurdité des intrigues théâtrales, les excès du public dans la salle…
Plus tard, Goldoni, également vénitien, s’inspirera de cette satyre pour écrire sa pièce « L’Impresario de Smyrne ». La prochaine représentation aura lieu au Centre Culturel d’Ottignies (SPOTT) en Belgique, le 15 décembre à 20h00.
Puis ce sera à Bruxelles, le 14 février 2024 à 20h00 au Centre Culturel de Woluwe-Saint-Pierre (WHALL); et les 4, 5 et 6 avril 2024 à 20h00 à La Vénerie – Espace Delvaux, à Watermael-Boitsfort.
Ne ratez pas non plus le 24 mars 2024 le spectacle CASSANDRE ou le Chant des Ruines, une expérience intemporelle où le tragique de la mythologie se mêle à la puissance évocatrice de la musique. Avec la philosophe Pascale Seys qui apportera un éclairage contemporain sur ce mythe universel.
Suivez l’actualité de Dominique Corbiau sur son site.
Vous aimez l’opéra ? Retrouvez Idomeneo de Mozart sur Culturius.
Il Teatro alla Moda, teaser sur YouTube :