Gustave Eiffel, l’Homme de Fer
Le 27 décembre 1923 disparaissait Gustave Eiffel dont la réalisation la plus célèbre était alors la plus haute tour du monde. Pour célébrer ce centenaire, plusieurs expositions sont organisées dans la capitale, complétées par des documentaires et des publications diverses. Je vous emmène aujourd’hui à la Cité de l’Architecture pour découvrir un accrochage inédit consacré au Paris de Gustave Eiffel. Visite à compléter par les expositions du Musée d’Orsay et du parvis de la tour sur le Champ de Mars.
La France sera la seule nation dont le drapeau aura une hampe de trois cents mètres
Gustave Eiffel
Un lieu d’exposition idéal
Le Palais de Chaillot, œuvre des architectes Azema, Carlu et Boileau, a été construit pour l’ Exposition Internationale des Arts et Techniques Appliqués à la Vie Moderne de 1937 à la place du Palais du Trocadéro, lui-même érigé pour l’Exposition Universelle de 1878. Il est constitué de deux pavillons de style néo-classique séparés par une esplanade, le Parvis des Droits de l’Homme. Il offre une vue exceptionnelle sur les jardins du Trocadéro et la Tour Eiffel et abrite la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, le Musée National de la Marine, le Musée de l’Homme et Chaillot – Théâtre National de la Danse. Pour la petite, ou plutôt la grande histoire, c’est dans ce palais que fut votée l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme le 10 décembre 1948.
Il faut se rendre au deuxième étage de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine pour suivre les parcours privé et professionnel du grand ingénieur, entrepreneur et scientifique. Par les baies vitrées qui s’ouvrent sur les jardins, on peut contempler son chef d’œuvre devenu le symbole de la Ville-Lumière dans le monde entier. La Tour Eiffel fait partie des œuvres emblématiques du patrimoine architectural et voisine, dans ce très beau musée, avec les créations contemporaines internationales majeures.
Gustave Eiffel, le Magicien du Fer
Alexandre Gustave Bönickhausen est né le 15 décembre 1832 à Dijon, il tient son patronyme des montagnes de l’Eifel non loin desquelles vivait sa famille paternelle. Il ne faisait pas bon porter un nom à consonance germanique après la guerre de 1870 et le Conseil d’État acceptera que le centralien change le sien en 1879. Ses parents, négociants en charbon, mettent l’enfant en nourrice chez « Maman Morel » puis confient son éducation à la grand-mère maternelle, une dame aveugle et très sévère. Élève particulièrement doué, il réussit successivement le baccalauréat de lettres puis celui des sciences. Il entre comme pensionnaire à Sainte-Barbe pour préparer les concours d’entrée dans les écoles d’ingénieurs.
Il échouera à l’oral de Polytechnique mais son admissibilité lui permet d’entrer à l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris en 1852. Il découvrira la métallurgie et la construction en troisième année. En 1855, il est encore étudiant lorsqu’il visite sa première Exposition Universelle à Paris. Il mène son premier chantier trois ans plus tard : un pont ferroviaire au-dessus de la Garonne à Bordeaux.
Il en construira d’autres : le pont de Porto sur le Douro (1877), le viaduc de Garabit au-dessus de la Truyère (1880-1884) et il édifie même la nouvelle gare de Budapest (1875-1877). Il épouse la fille d’une relation de ses parents en 1862, et si la guerre de 1870 met la jeune entreprise G. Eiffel et Cie – plus tard : les Établissements Eiffel – à mal, il parvient à se rétablir et étend même son activité au-delà des frontières.
La consécration
Auguste Bartholdi fait appel à Gustave Eiffel pour construire la structure métallique qui devra supporter les quatre-vingt tonnes de cuivre de la Statue de la Liberté et lui permettre de résister aux vents, souvent très forts sur Ellis Island. Il conçoit un pylône central de cent-dix tonnes, entouré de plaques de cuivre fixées sur un treillis de fines barres de métal flexible. En 1878, la tête de « La liberté éclairant le Monde » fut révélée au public dans les jardins du Champ-de-Mars à l’occasion de l’Exposition Universelle. Les visiteurs pouvaient pénétrer dans la tête et gravir un escalier de quarante-trois mètres jusqu’au diadème. En 1884, la statue est montée rue de Chazelles à Paris pour en vérifier la viabilité ; elle sera ensuite livrée à New-York par bateau.
On annonce cette année-là, une nouvelle Exposition Universelle pour le centenaire de la Révolution de 1789. Deux de ses collaborateurs, Maurice Koechlin et Émile Nouguier soumettent un projet à Gustave Eiffel… Il s’agit d’un pylône de trois cents mètres de haut qui n’emporte pas immédiatement l’adhésion de l’entrepreneur. Il leur faudra affiner la silhouette de la tour et lui ajouter des plates-formes à destination des visiteurs pour emporter son adhésion.
L’intérêt de Gustave Eiffel pour le projet est décuplé par la compétition qui va se mettre en place entre sa tour et la « Colonne-Soleil » du célèbre architecte Jules Bourdais. Ce dernier a imaginé un phare de trois-cent-soixante-dix mètres de haut qui éclairera la nuit parisienne. Un bras de fer s’engage : La tour de fer de l’ingénieur face à la tour de granit de l’architecte.
Le chantier du siècle
Le soutien d’Édouard Lockroy, ministre du commerce, est déterminant. Un concours pour l’aménagement général de l’Exposition est lancé avec des critères qui avantagent indéniablement le projet de Gustave Eiffel. Le 14 février 1887, le chantier démarre et soulève les passions. Modernes et classiques s’opposent ; une pétition signée d’artistes en vue comme l’architecte Charles Garnier, l’écrivain Guy de Maupassant ou le musicien Charles Gounod, réclame l’arrêt des travaux « de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel » dans le quotidien Le Temps. L’ingénieur, prévenu par la rédaction, rétorque, dans le même numéro, en comparant sa tour aux pyramides :
« Soutiendra- t-on que c’est par leur valeur artistique que les pyramides ont si fortement frappé l’imagination des hommes ? […] Et pourquoi ce qui est admirable en Égypte deviendrait-il hideux et ridicule à Paris ? ».
La construction dure deux ans et nécessite de véritables prouesses techniques pour parvenir à franchir les mille pieds de hauteur. Il aura fallu avoir recours à des caissons à air comprimé déjà utilisés sur le chantier du pont de Bordeaux pour atteindre un sol dur en bordure de Seine ; utiliser des petites grues à vapeur rotatives pour monter les pièces métalliques, et des vérins hydrauliques pour réussir la jonction entre les quatre pieds.
Le second étage est atteint le 7 décembre 1887 et le sommet, le 30 mars 1889. Le lendemain, la tour est inaugurée par Gustave Eiffel, ses proches, ses collaborateurs et quelques officiels qui gravissent les mille-six-cent-soixante-cinq marches pour déployer un immense drapeau au sommet de la plus haute tour du monde. Elle remporte un véritable triomphe dès son ouverture et draine deux millions de visiteurs tout au long de l’Exposition.
Un symbole de progrès
Gustave Eiffel a fait graver en lettres d’or sur le bandeau tout autour du premier étage soixante-douze noms de scientifiques, ingénieurs ou industriels qui ont honoré la France de 1789 à 1889 ; c’est dire combien la science et le progrès lui tiennent à cœur ! C’est d’ailleurs ce qui sauvera sa tour de la destruction, la concession de vingt années ayant expiré. La mairie de Paris désirant en effet réaménager le Champ de Mars en 1903, deux commissions doivent se prononcer sur le sort de « La Grande Dame », heureusement épargnée grâce à une petite voix qui permet son maintien.
Gustave Eiffel décide alors d’en faire un lieu de travail pour les chercheurs et poursuit ses propres travaux dans le domaine de la météorologie et de l’aérodynamique. Il fera de sa construction un lieu stratégique d’où il interceptera les communications de l’ennemi pendant la première guerre mondiale. Quand son concepteur meurt le 27 décembre 1923, la tour de fer est toujours la plus haute du monde.
En 1930, le Chrysler Building détrônera la Tour Eiffel en atteignant trois-cent-dix-huit mètres quatre-vingt-dix mais un an plus tard, c’est l’Empire State Building qui remportera le trophée. Suivront de nombreuses autres constructions, toujours plus hautes et plus audacieuses, de Shanghai à Dubaï où le Burj Khalifa domine encore le monde du haut de ses huit-cent-vingt-huit mètres. Il devrait être dépassé par la Kingdom Tower de Djeddah en Arabie saoudite qui vise le kilomètre de hauteur mais dont la construction est pour le moment interrompue.
Merci Monsieur Eiffel pour cette tour qui représente Paris et la France à travers le monde entier, merci pour cette tour devenue une source d’inspiration inépuisable pour les artistes d’hier et d’aujourd’hui. Trénet, Dutronc ou Ferré l’ont chantée ; Apollinaire, Cocteau ou Barthes l’ont racontée ; Seurat, Chagall ou Buffet l’ont dessinée ; Lumière, Duvivier ou Malle l’ont filmée…
Tous les soirs, elle scintille cinq minutes au début de chaque heure tandis que son phare illumine la ville, elle arbore toutes les couleurs pour rendre des hommages ou célébrer des victoires. Et si ces derniers jours, elle brille de tous ses feux, il parait que c’est pour l’enregistrement d’un spectacle de sons et lumières qui célébrera l’anniversaire de la mort de l’ingénieur et sera diffusé le 27 décembre.
« Regard, objet, symbole, la Tour [Eiffel] est tout ce que l’homme met en elle, et ce qui est infini. Spectacle regardé et regardant, édifice inutile et irremplaçable, monde familier et symbole héroïque, témoin d’un siècle et monument toujours neuf, objet inimitable et sans cesse reproduit, elle est le signe pur, ouvert à tous les temps, à toutes les images et à tous les sens, la métaphore sans frein… »
Roland Barthes, La Tour Eiffel, 1964
Et pour en savoir plus, je vous recommande une biographie de Gustave Eiffel : Gustave Eiffel, le Maître du Fer, Michel Carmona, Pluriel, 2022.
Ici les liens vers les expositions du Musée d’Orsay et du parvis de la tour sur le Champ de Mars.
Le catalogue de l’exposition : Eiffel toujours plus haut, Savin Yeatman-Eiffel, Sav! The World Productions, 2023.
Envie de découvrir un autre lieu emblématique de Paris ? Essayez le cimetière du Père-Lachaise.
Documentaire Eiffel, La guerre des tours, Arte :