« Les contes d’Hoffmann », opéra quasi-posthume d’Offenbach
Mêlant passé et présent, rêve et réalité, « les contes d’Hoffmann » est la dernière œuvre de Jacques Offenbach, qui n’a pu la terminer entièrement, avant son décès. Le compositeur qui avait enfin osé abandonner l’opérette pour se lancer dans un projet bien plus ambitieux était au sommet de son art pourtant. Les critiques l’ont unanimement salué lors des répétitions, et il est l’une des œuvres lyriques les plus représentées du répertoire francophone. L’Opéra Royal de Wallonie nous livre une mise en scène de Stefano Poda esthétique et une distribution prodigieuse !
Une histoire oscillant entre fantasmagorie et réalité
Hoffmann, poète de son état, attend son amante, la cantatrice Stella dans la taverne de maître Luther. La muse d’Hoffmann prend l’apparence de son meilleur ami Nicklausse et tente de l’éloigner de sa maîtresse. Elle l’accompagnera au cours de son voyage dans le temps. Arrive une bande d’étudiants réclamant une histoire à Hoffmann, qui leur racontera ses amours malheureuses.
Il a ainsi aimé Olympia, qui s’avéra être une poupée automate. Antonia, qui ne vit que pour la musique, ensuite qui mourra d’avoir chanté et enfin, Guilietta, la courtisane qui lui vola son reflet, et sera damnée. Ces trois femmes ne sont en fait que les différentes facettes de la cantatrice Stella, qui elle aussi, délaissera le poète après l’avoir vu ivre. Restera Hoffmann, et sa muse …
On est grand par l’amour, plus grand par les pleurs …
« Les contes d’Hoffmann » est une des œuvres les plus appréciées du répertoire lyrique francophone. Cet opéra a été créé en 1881 pour l’Opéra-Comique de Paris, quelques mois après le décès d’Offenbach. Cette œuvre est basée sur une pièce de Jules Barbier et Michel Carré, celle-ci elle-même adaptée de plusieurs histoires fantastiques écrites par E.T.A. Hoffmann, écrivain allemand romantique.
L’argument de cet opéra est extrêmement riche. Hoffmann navigue entre rêve ou plutôt cauchemars et réalité, ses souvenirs se confondent sous les effets de l’alcool omniprésent dans le livret. Bien que différentes, les femmes aimées par le poète sont toutes inaccessibles, elles se dérobent à l’affection d’Hoffmann qui de déception en déception devient de plus en plus amer. Au fil de l’intrigue, le cœur du spectateur se serre à la vue de ce personnage tourmenté, incompris, à la sensibilité exacerbée, et aux prises avec des personnages malveillants… Il ne semble continuer à vivre que pour voir le bonheur lui échapper encore et encore.
Il existe plusieurs versions des « Contes d’Hoffmann ». Chaque représentation est donc une « surprise » et correspond à un choix du metteur en scène. La version présentée à l’Opéra Royal de Wallonie met l’accent sur le côté tragique, et gomme en grande partie le côté plus léger et humoristique de l’opéra.
Une mise en scène d’une grande richesse
Pour cette version des « contes d’Hoffmann », Stefano Poda a cumulé les rôles de metteur en scène, chorégraphe, scénographe, costumier et éclairagiste. Il situe les différents tableaux de l’œuvre d’Offenbach dans un immense cabinet de curiosités, composé d’innombrables niches occupées par des statues d’une beauté académique, rappelant les œuvres de l’antiquité, certaines de ces niches pourtant donnent asile à des membres écorchés, parfois décomposés, laissant aux regards qui s’y attardent, un sentiment diffus de malaise.
En fond de scène, un cube blanc, aseptisé, représentant la chambre d’Hoffmann. Meublée d’un bureau et d’un lit, cette chambre tourne sur elle-même, symbolisant les pensées du poète, qui tournent sans relâche dans sa tête, ou peut-être l’ivresse, car l’alcool est omniprésent dans le livret comme remède au mal-être du poète.
A chaque acte, des cages de verre sont des éléments récurrents, elles reçoivent tour à tour des automates, des cantatrices décédées, ou des courtisanes célèbres. A chaque acte ses couleurs aussi, la représentation se décline en blanc et argent, rouge ou noir, lamé. Le tout étant d’une beauté saisissante et d’une grande homogénéité. Cela décevra peut-être les amateurs de mise en scène à l’ancienne, mais à mon sens, il s’agit d’une remarquable réussite scénographique et esthétique.
Grandes voix de la scène lyrique internationale
Le rôle-titre de l’opéra est tenu par un Arturo Chacón Cruz magnifique. Le ténor mexicain est un habitué du rôle puisqu’il s’agit de la 14ème version qu’il interprète. Sensible, perdu, tourmenté, il donne une profondeur parfaite à son personnage. Sa voix, impériale, offre des duos vibrants, et d’intenses monologues tourmentés. Il occupe la scène avec un talent certain, d’autant qu’il n’a pas la tâche facile, devant chanter dans un cube tournant sans cesse, ce qui l’oblige à des déplacements assez physiques, pendant qu’il chante.
On ressent profondément sa détresse, son désenchantement, ses questionnements, ses errances, sa fragilité. Une interprétation magnifique. Et que dire de la soprano australienne, Jessica Pratt. Elle avait déjà ébloui dans son interprétation d’Amina dans la Sonnambula, la saison dernière, elle obtient une totale adhésion du public liégeois pour ses 4 rôles féminins (Olympia, Antonia, Giulietta, et Stella).
Toujours juste, elle maîtrise la partition, sa technique est aboutie, et elle endosse les différentes personnalités féminines avec beaucoup de justesse. Sa voix est magnifique, et il est impossible de rester indifférent à l’émotion qu’elle transmet à tout moment. Endossant les rôles « maléfiques » le bariton-basse uruguayen Erwin Schrott, a une diction qui n’échappe pas à un accent un peu particulier, mais aucunement gênant, surtout si on voit dans Lindorf, Coppélius, le Docteur Miracle et Dapertutto, des personnifications du malin. Sa voix profonde donne une dimension inquiétante à ses personnages, et il a une impressionnante présence scénique. On peut sans conteste dire qu’il brûle les planches.
Mezzo-soprano de grand talent, Julie Boulianne, La muse/Niklausse est profondément « sympathique », accompagnant les détresses d’Hoffmann tout au long de l’intrigue. Ses notes les plus graves sont impeccables, mais elle offre également des notes plus aiguës tout à fait remarquables. Un quatuor sans faute donc. Luca Dall’amico, que l’on a pu entendre à trois reprises la saison dernière, donne ici aussi une prestation à la hauteur de son talent.
Il est un peu regrettable que Vincent Ordonneau ait été quelque peu sous-employé, puisque la version des « contes » de Stefano Poda ne laisse pas énormément de place aux rôles plus humoristiques. Il a quand même déclenché les sourires, surtout dans le rôle de Cochenille, où il a excellé. Samuel Namotte et Valentin Thill dans le rôle du père d’Olympia ont donné des interprétations tout à fait superbes.
Enfermée dans sa cage de verre, Julie Bailly en mère d’Antonia, a laissé un petit goût de trop peu, elle aussi. Mais heureusement, nous allons la retrouver dans « die Zauberflöte ». Roger Joakim a confirmé la très bonne impression qu’il a déjà donnée lors d’autres prestations de la saison précédente. Quant à Jonathan Vork, il sort peu à peu du bel ensemble des chœurs de l’ORW, et on espère pour lui des rôles un peu plus longs dans l’avenir.
Et pour terminer en apothéose, le maestro Gianpaolo Bisanti a insufflé énergie, profondeur et une incroyable sensibilité à la musique d’Offenbach. Il a un talent indiscutable et semble retirer de chaque œuvre le meilleur, ainsi qu’il l’a également démontré dans le « Requiem de Verdi ».
Les « contes d’Hoffmann », c’est jusqu’au 2 décembre 2023 à l’Opéra royal de Wallonie, et pour les réservation, c’est ici.
Découvrez aussi sur Culturius la superbe voix du contre-ténor Dominique Corbiau.