Michel Jonasz a commencé dès le 28 janvier 2023 à Courbevoie une série de nouveaux  spectacles faisant suite à son nouvel album Chanter le Blues ( voir critique séparée). Le nom générique : Du Blues Du Blues !

On va revoir une vieille connaissance qui nous fournit toujours le même plaisir renouvelé et sans mélange. Ou plutôt bien mélangé musicalement : le blues et le rock and roll, et son groove bien particulier, infusent dans sa chanson française toujours vibrante, toujours sincère, parfois même poignante par moments.

Deux formules cohabitent. Depuis novembre 2012, l’artiste tourne avec son vieux complice pianiste, et arrangeur Jean-Yves D’Angelo avec un spectacle à deux plus intimiste. Et il y a le menu musical plus complet, avec toute une formation : notamment le fameux Manu Katché à la batterie (au pedigree musical vertigineux !), et D’Angelo au piano. Qui déjà l’accompagnaient en 1985 avec leur groupe de l’époque : Préface.

Un rappel en passant

Même si son vrai premier succès remonte à 1974, avec le 45 tours Dites-Moi, 1985 reste l’année de tous les triomphes pour Jonasz. Le succès énorme du 45 tours La Boîte de Jazz. Qui lui vaut de remporter, le 23 novembre 1985, la toute première Victoire de la (vraie, ici) Musique dans deux catégories -avec six nominations ! Il l’obtient dans la catégorie Interprètes devant Julien Clerc et Goldman -excusez du peu ! -et dans la catégorie Chanson pour La Boîte de Jazz.

Du Blues du Blues © Art FM

Et comme si cela ne suffisait pas, Jean-Yves D’Angelo la remporte en cette même année 1985 comme réalisateur et arrangeur de l’album de Michel Jonasz Unis Vers l’Uni, qui comporte La Boîte de Jazz.

Pour la bonne bouche, on rappelle encore que Michel Jonasz remporte une autre Victoire de la Musique en 1988, celle du Spectacle musical de l’année pour sa création La Fabuleuse Histoire de Mister Swing (à la Cigale puis prolongations au Casino de Paris). Le double album en public qui en est tiré est devenu disque de platine !

Les spectacles 2023 -2024

Pour les shows de 2023 et 2024, on trouve encore les musiciens suivants. Le guitariste Jim Grandcamp, le bassiste Jérôme Regard, et le triumvirat d’enfer de la section cuivres avec le doyen des musiciens de Jonasz, Michel Gaucher au saxophone, et Pierre D’Angelo -le frère de Jean-Yves : saxophone, ainsi que le trompettiste Eric Mula, également compositeur et arrangeur.

Les débuts de Gaucher remontant à 1962: d’abord deux groupes de rock éphémères puis à la fin 62, il intègre le premier et le plus populaire groupe de rock français : les Chaussettes noires d’Eddy Mitchell. Un Mitchell qu’il continuera à accompagner durant des décennies après la séparation du groupe. Une machine impeccablement huilée, qui permet au héros du show, toujours à l’aise, souriant et sympathique, de se livrer en chansons et aussi de communiquer ses pensées et réflexions, ainsi que quelques souvenirs, à un public qui lui mange dans la main.

Lors de ses pérégrinations actuelles, il remporte un grand succès, notamment les 25 et 26 mars 2023 au Dôme de Paris -le Palais des Sports avec sa nouvelle dénomination. Il présente la formule à deux avec D’Angelo le 7 novembre 2023 au Casino de Paris, mais une chorale gospel le rejoint à la fin du spectacle.

Affiche du concert avec D’Angelo © Christian Nauwelaers

Le photographe parisien illustre Jean-Louis Rancurel -mais qui est venu ce soir-là en simple spectateur- a vu devant lui deux spectateurs particulièrement enthousiastes : l’ex-président François Hollande, accompagné de celui qui fut son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve ! Et Rancurel nous offre une photo-souvenir des deux complices Michel Jonasz et D’Angelo au bar du Casino de Paris. 

Cirque royal sous le charme

Le 19 janvier, le voici enfin au Cirque royal de Bruxelles avant une autre visite belge prévue le 22 mars au Forum de Liège, avec Nostalgie Belgique : qu’on se le dise ! La salle est presque pleine malgré le mutisme quasi total d’une presse belge qu’on a parfois du mal à comprendre mais passons. Après un petit instrumental blues du guitariste Jim Grandcamp, arrive Jonasz : tout de bleu vêtu, cravate comprise et un grand décor bleu changeant au fond de la scène.

Et pour donner le ton : Mon Pote Le Blues, une des nouvelles chansons, est enlevé de maîtresse manière. D’emblée, l’artiste est clair : il n’y a que très peu de blues dans la forme traditionnelle dans son spectacle.

Pour lui, le blues est une complainte. Et cela correspond à un besoin d’exprimer ses peines. Cela soulage, parfois même cela guérit. Ensuite, après la nouveauté, la continuité : le très connu Du Blues Du Blues Du Blues. Le 19 novembre 1977, le premier show parisien de Jonasz en vedette (après de nombreuses premières parties) a lieu au Théâtre de la Ville et fait l’objet d’un enregistrement public.

Or le tout premier titre interprété à cette époque lointaine est déjà… Du Blues Du Blues Du Blues. Sans aucun des comparses actuels : fidélité à sa ligne, intégrité totale. Jonasz a toujours été sensible aux voix déchirées, pas lisses, qui émettent un vibrato particulier. Des voix qui reflètent sans tricher les sentiments humains dont la douleur, le manque. Une réflexion intéressante -qu’il a répétée souvent- fait mouche, parmi d’autres.

Jonasz et Jean-Yves D’Angelo au bar du Casino de Paris, 7 novembre 2023 © photo Jean-Louis Rancurel

Avec la parole, on peut s’arranger avec la réalité, on peut composer, maquiller ses pensées véritables, tricher quoi… Quand on chante, cela n’est plus possible. C’est l’âme du ou de la vocaliste qui s’exprime… Jonasz rappelle entre deux chansons ses deux premiers chocs musicaux. Son père qui l’emmène un soir découvrir la grande Piaf à l’Olympia. Pour Michel Jonasz, la Môme était une chanteuse de blues à sa manière.

Michel Jonasz et le blues

Et s’il vénère la musique tzigane hongroise, de ses racines, ainsi que les grands de la chanson française (Piaf, Brel, Brassens, Ferré etc.), il nous rappelle que pour les jeunes de sa génération, c’est le Rock and Roll, et aussi pour lui le Blues, qui l’ont inspiré et l’ont incité à faire de la musique.

Le choc Ray Charles : What’d I Say, entendu dans une salle de jeux pour ados d’une station balnéaire -il ne se souvient plus de laquelle. Il entend le futur classique dans un juke-box, et c’est une épiphanie… Parmi les autres chansons du Cirque royal, il ressuscite un autre titre déjà chanté à cette fameuse consécration scénique de 1977 du Théâtre de la Ville : J’Suis Dans L’Coton. On pourrait plaisamment remarquer que ce titre est judicieux, en pensant aux champs de coton où les esclaves arrachés à leur terre d’Afrique entonnaient des chants qui sont la matrice de la musique populaire afro-américaine : le negro spiritual, le gospel et le blues…

Mais il s’agit plutôt d’une allusion à une expression un peu désuète : «c’est coton» (que Nougaro utilise dans le sublime Bidonville), ou : filer un mauvais coton… Aucune incohérence : les plus anciennes chansons se marient impeccablement aux nouvelles. Rien n’est décousu, tout est fluide. Aller-retour passé-présent… Le passé : Les Objets Perdus, C’est La Nuit… Puis une des nouvelles : Fais Du Blues Fais Du Rock And Roll, à l’irrésistible refrain catchy en diable qui s’imprime instantanément dans la mémoire.

Fin du show au Casino de Paris, 2023 © photo Jean-Louis Rancurel

Et une chanson de scène idéale, pour un public qui peut la reprendre en cœur. Une chanson comme une profession de foi. Partagée avec les autres : tel est le vrai but, que l’artiste atteint, ô combien : pan dans le mille !

Si Tu N’Veux Plus Que La Vie

Te Prenne Pour Un Punching-Ball

Fais Du Blues

Fais Du Rock and Roll

Parmi les grands moments, une merveille : Les Fourmis Rouges, avec un petit passage à l’orgue de Jonasz. Cette chanson dont il a parfois déclaré qu’elle est sa préférée, un hymne à l’amour absolu, indestructible… Tel qu’on en rêve (sauf si le cynisme a gagné : le blues est l’antithèse du cynisme). Le vibrato si particulier, inimitable du chanteur fait merveille tout du long, et particulièrement dans les moments les plus chargés d’émotion.

Influences tziganes et drame familial

Sa tonalité vocale est à son image : sensible, parfois douloureuse mais forte, jamais larmoyante. Comme un roseau qui plie mais ne rompt pas. La résilience de l’artiste provient peut-être de son histoire familiale, tout comme son talent artistique. Un grand-père maternel qui chantait dans des synagogues de Budapest. Il ne l’a jamais connu : déporté par les nazis…

Pourtant Mme Charlotte Jonasz, sa mère, qui a perdu son père et quatre frères dans ces circonstances tragiques, chantait tout le temps ! Elle est arrivée en France à l’âge de seize ans et elle comme son mari étaient des fous de musique tzigane hongroise, mais qui se sont enflammés pour la chanson française. Les racines de Jonasz sont d’une qualité exceptionnelle et il partage cette richesse non matérielle mais essentielle avec une générosité totale.

L’industrie culturelle a pu l’honorer à certains moments mais l’essentiel est évidemment dans l’Art de Jonasz. Qui se situe à des années-lumière de l’industrie culturelle mondialisée et formatée sous toutes les coutures. Jonasz est totalement libre.  Parmi les autres chansons de ce spectacle hors pair -on ne les citera pas toutes ici -encore une nouvelle, le titre de l’album : Chanter Le Blues.

Alexander “George” Lightfoot © Photo Steve LaVere / Living Blues Magazine, via “Blues Who’s Who” de Sheldon Harris

Pas un pur blues mais plutôt une ballade bluesy avec mention de quelques grands noms : John Lee Hooker, T- Bone Walker et le mythique Robert Johnson. Jonasz évoque même, dans une adresse au public, un titre -pas vraiment glamour – de ce dernier : Dead Shrimp Blues (1937), donc le Blues de la Crevette Morte ! Extraite de l’album, une autre nouveauté : Mon Père Écoutait Du Blues Toute La Journée…il y est question d’un bluesman connu des seuls initiés : Papa Lightfoot !

Michel Jonasz interpelle son public

Parfois il interroge la foule… Qui connaît Papa Lightfoot ? Pas grand-monde ! Qui a vu Piaf sur scène ? Une seule voix a crié : «Moi» (pas moi-CN) ! Anecdote amusante : il demande la même chose lors d’un spectacle en France. Un spectateur a vu Piaf… Ce soir-là, Jonasz lui demande : «Et Otis Redding, vous l’avez vu ?» Réponse du quidam : «Je ne peux pas être partout !»…grand éclat de rire à travers le Cirque royal.

On a droit à un classique dû à Jean-Claude Vannier, mais qui sonne comme du Jonasz pur jus : Super Nana. Un petit manque dans les succès, qui aurait parfaitement pu convenir : Lucille, bien évidemment…

Otis Redding sur scène © Domaine public

Joueurs De Blues ne peut manquer à l’appel. Une remarque du chanteur… Lorsque l’on vient au monde, que fait-on tous ? La première chose que l’on fait sur la Terre -cette planète que l’on surnomme parfois : la Vallée de larmes -eh bien…on pleure ! Alors serions-nous tous des joueurs de blues, finalement ?

Puis vient le temps des rappels face à une salle conquise depuis le début. Guigui, et fatalement : La Boîte De Jazz avec le décor qui tout à coup en figure une… Et une anecdote de plus : Jonasz a tenté de se faire engager, dans une boîte de jazz, comme pianiste. On l’a jeté et il reconnaît qu’il n’était pas vraiment au niveau. Mais de cet échec, il a tiré un succès flamboyant, chanté mais aussi écrit et composé par lui : La Boîte De Jazz ! En rappelant l’erreur courante d’associer ses racines musicales au jazz : faux, c’est le blues et le rock and roll.

Dernier rappel de circonstance : J’Veux Pas Qu’Tu T’en Ailles… Mais il reviendra, dont en Belgique: Forum de Liège donc le 22 mars. Et à Chaumont le 7 mars, aux Folies Bergère de Paris le 26 mars (les dix ans -et même un peu plus -du spectacle en duo avec D’Angelo), etc. Voir son site et on célèbre ensemble la Musique teintée Blues et Rock and Roll, celle des entrailles et du cœur avec un Grand Maître toujours sur la brèche ! Merci à Caroline Liborio de MJM.

La photo en noir et blanc qui illustre l’article est de Joseph Bagur.


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