L’album Chanter Le Blues paru le 27 janvier 2024, sur sa structure MJM (Michel Jonasz Musique), est le troisième volet d’une trilogie consacrée aux musiques qui l’ont marqué et forgé l’immense artiste qu’il est devenu.

Cet album est réalisé et arrangé par Jean-Yves d’Angelo et Manu Katché. Cela après Chanson française (2007) et Abraham-une pièce où il chante et joue le rôle de son grand-père maternel- pour les musiques tziganes hongroises (2009). Ici l’artiste rend hommage au blues et au rock and roll, qui le propulsèrent vers sa vocation de musicien puis rapidement de chanteur. Et auteur-compositeur.

Chanter Le Blues : L’album

Les douze titres fourmillent d’allusions à ces musiques, à ces artistes mais aucune reprise. Tous écrits et composés par lui et enregistrés en une semaine dans les conditions du direct, comme à l’époque. En 2022 au studio La Fabrique à Saint-Rémy-de-Provence. Ce qui crée une ambiance musicale naturelle, organique, chaleureuse. À des millions d’années-lumière des produits ultraformatés destinés à une industrie culturelle mondialisée. Un peu l’équivalent musical des produits du terroir préférés aux plats industriels ultratransformés…

Premier pressage français Rip It Up © DR

La crème de la crème

Michel Jonasz s’entoure toujours des meilleurs pour l’accompagner. Certains fidèles qui l’accompagnent sur scène : les fidèles Manu Katché (batterie), Jean-Yves D’Angelo (piano et claviers divers et chœurs occasionnels), la section cuivres : Michel Gaucher, Pierre D’Angelo et le trompettiste Eric Mula… Mais aussi de prestigieux invités comme le bassiste des Stones, Darryl Jones ; le guitariste de Portishead Adrian Utley ou encore le guitariste américain Dean Parks. Qui débuta en 1970 avec le duo mythique Sonny and Cher et qui a accompagné une palanquée de grands noms, jusqu’à Michael Jackson… De Michael à Michel, quoi !

Et puis…M, invité spécial sur un titre bonus final qui résume tout : Fais Du Blues Fais Du Rock And Roll… ! Un morceau irrésistible, joyeux, repris bien entendu sur scène (voir l’autre article -Jonasz en concert) et qui résume parfaitement toute cette affaire… ! La chanson- titre, Chanter Le Blues, se situe dans le registre de la complainte. Il est question du mal que font les hommes, d’enfants bêtes de somme, de femmes qui pleurent et de ce satané manque d’amour qui rend fou…

Avec Vigon et Les Lemons au Golf Drouot, 1965 © Photo Jean-Louis Rancurel

Cela en y glissant quelques sommités du blues : John Lee Hooker, T-Bone Walker, Robert Johnson. Comme Jonasz l’a maintes fois exprimé, dans ses spectacles et interviews, il chante en général du blues «élargi» bien au-delà des structures rythmiques et harmoniques établies de ce genre. Donc en s’écartant du canevas de base : il ne s’agit point de blues à la lettre, mais l’esprit en est respecté, chanté, célébré.

Le blues, c’est un besoin de s’exprimer avec les tripes, sans tricher, en oubliant les codes sociaux, les barrières de l’intellect pour toucher les vérités universelles de l’être humain. Ensuite on trouve une première version de Fais Du Blues…

Avec ces deux morceaux successifs, judicieusement juxtaposés, Michel Jonasz expose les deux versants opposés et complémentaires du blues. La complainte, la tristesse d’abord -mais celle qui engendre de la création, de la beauté. Les chants désespérés sont les chants les plus beaux, pour paraphraser Nougaro… Mais Fais Du Blues…nous fait nous redresser, nous rend joyeux et nous galvanise ! J’Avais Mis « Rip It Up » Sur La Platine est un hommage en filigrane à Little Richard, le créateur de cet immense classique du rock.

Vigon et les Lemons, 1965, Jonasz au troisième rang à droite © Photo Jean-Louis Rancurel – Henri-Bernard Klonjkowski

Il s’agit d’une sorte de rêve éveillé, avec des souvenirs comme les cris des voisins, ou une boulangère imaginaire qui frappait le comptoir avec une baguette… Cela se termine par une mèche tombée sur le blouson clouté -sa chevelure disparue, peut-être…-et le saphir plein de poussière. Il fallait des sous pour écouter des disques avec un diamant plutôt qu’un saphir qui s’usait à une vitesse grand V !

Et allusion à Eddy et S’il N’en Reste Qu’Un, Je Serai Celui-Là…que Michel souhaite être aujourd’hui ! Mitchell dont le chemin artistique prestigieux a croisé celui de Jonasz jadis, on s’en souvient… Le tempo de la chanson, très réussie, n’a rien à voir avec la frénésie incroyable du Little Richard des années glorieuses. Cette folie-là, celle du Rock and Roll des origines, est comme intériorisée, digérée par Michel qui nous la restitue avec son traitement groove, et ce chant envoûtant. De la belle ouvrage !

Jonasz et Alain Goldstein (guitare) au Golf Drouot, 1965 © DR

Mon Pote Le Blues est un blues plus traditionnel. Petite remarque en passant : rien à voir avec la chanson homonyme d’Henri Salvador (1967).

Ça Tombe À Pic Qu’il Vienne Me Voir / Mon Pote Le Blues / Ça Tombe À Pic Qu’il Vienne Me Voir / Mon Pote Le Blues / Qu’il Me Dise Allez Vas-Y Pleure / Allez Viens Dans Mes Bras Chanteur / Pour Fuir Ma Peine L’Échappatoire C’est Mon Pote Le Blues

Bo Diddley est un hommage à cet immense roi noir du Rock et du Rhythm and Blues, mais de façon détournée en s’appuyant sur des souvenirs. Précis ou un peu fantasmés, on l’ignore et c’est très bien. Aucun lien avec le premier disque et plus grand tube de Bo (1955). L’artiste dansait avec sa petite copine sur du Bo Diddley…

Mais stylistiquement, la création de Michel ne doit rien au rythme saccadé, heurté avec des staccatos sauvages de Big Bad Bo. L’Unique Idole est une sorte d’hymne inspiré…à notre planète Terre ! Entrecoupé par des vocalises sans paroles de toute beauté, ambiance un peu kletzmer, envoûtante… Ni blues ni rock and roll, mais du Jonasz pur jus et absolument haut de gamme.

Premier disque comme chanteur, 1967, Jonasz au premier rang, avant-dernier à gauche © DR

Le Livre Des Records exhale une autre ambiance : plus funky, avec une teinte New Orleans dès l’intro au piano de Jean-Yves D’Angelo. Notre Artiste regrette un grand amour disparu avec des mots si beaux…

Nous avions fait de notre lit le plus sûr des moyens d’transport / Et du bonheur une spécialité / Et tous ces milliards de «je t’aime allez dis-le moi encore » / Ma vie mon âme mon prince ma beauté / Notre histoire méritait très largement le livre des r’cords / À la rubrique intensité

Génération yéyé est un clin d’œil affectueux à ces premières années soixante qu’il a vécu avec une intensité qui elle aussi, pourrait figurer à la rubrique des records ! Une autre forme d’amour et celui-là, on peut le garder si on le décide : il ne nous quitte pas. Michel a connu « …lala ces années-là où on twistait le yaya»…

Pour draguer on faisait les clowns / Le cœur qui commence à faire boum boum / Johnny l’idole des surboums / La génération yéyé

Mais pas vraiment de son ni de rythme rétros ici. Manu Katché a suggéré de l’enregistrer sur un tempo plutôt…reggae, ce que Jonasz n’avait pas imaginé ! Mais cela fonctionne parfaitement.

Avec Alain Goldstein, Le Tube Aulnay-sous-Bois, années soixante © Photo Rancurel

Ma Dose d’Otis Redding, cette fois un hommage direct. Sur un rythme soul funky, avec de jolis riffs de guitare d’Adrian Utley et la section cuivres qui bien entendu -pour un hommage à Otis -intervient brillamment bien que par petites touches.

En attendant j’ai trouvé quelque chose pour chasser le spleen / Et l’envoyer ad patres / Je m’sens mal si j’ai pas ma dose d’Otis Redding / Quand il chante son Try A Little Tenderness

Pour Mon Père Écoutait Du Blues Toute La Journée, on a droit à du name dropping parfois étonnant : le premier nommé étant un bluesman connu des seuls aficionados, Papa Lightfoot ! Mais aussi Big Bill Broonzy et un titre particulièrement important pour Jonasz : Hoochie Coochie Man. On y revient plus bas.

Intro à la guitare acoustique par Dean Parks. Une ballade bluesy avec l’une ou l’autre trouvaille… Oui, une touche d’humour ! Quand ma mère partait faire les courses il lui chantait «Baby Please Don’t Go !» Elle criait : c’est pas ton Big Joe Williams qui va remplir le frigo !

Avec Wanda Jackson à la Locomotive, 11 octobre 1965 © Photo Rancurel

Il faut encore savoir que ce classique est associé à Williams, certes… Avec Pleurez Les Hommes, le chanteur se fait grave. Un peu dans l’esprit de la chanson-titre, Chanter Le Blues. Mais en pire encore, peut-être, avec l’enfant que l’on tue, l’enfance volée, l’enfance assassinée…la compagne que l’on tue, la femme violée, la femme tabassée…

Entre ces couplets désespérants, une courte stance poignante de Jonasz, doublée. Et que vos larmes forment un fleuve qu’il nous inonde Mais pour la reprise finale de cette phrase énoncée comme une malédiction, Jonasz ajoute à la toute fin… Et que se dévoile enfin la beauté du monde. Cependant après le tragique, on termine avec la version en bonus de Fais Du Blues Fais Du Rock and Roll avec M à la guitare !

À propos de l’album de Michel Jonasz

Je n’ai pas l’édition en vinyle mais le CD est doté d’un joli livret incluant toutes les paroles. On aura compris que cela se justifie pleinement avec un tel auteur !Une belle idée : on y a ajouté de nombreuses photos des premières années de Jonasz dans la musique, de 1965 à 1968. Certaines sont dues à Jean-Louis Rancurel et Henri-Bernard Klonjkowski. Notamment avec Alain Goldstein, le premier guitariste soliste qui ait joué avec lui. D’abord avec les Lemons de Vigon à partir de 1965 (03) (04) puis le King Set : les premiers 45 tours (05) avec Michel en chanteur, 1967 et 1968.

L’édition originale historique avec petite faute, 1954. Le tout premier chanté sur scène par Michel © DR

Un cliché montre Michel , Vigon et la légende Bo Diddley à l’Olympia de Paris. Lors du show Musicorama d’Europe n°1 du 19 octobre 1965. Bo en est la star mais Vigon est l’artiste de la première partie qui remporta le plus de succès.  Cette date est importante également puisque Michel, visiteur si fréquent à l’Olympia depuis un certain soir où son père l’emmena voir Piaf, monte pour la première fois sur la scène mythique pour y jouer avec Vigon en première partie de Big Bad Bo ! Huit jours plus tôt, le 11 octobre 1965, les Lemons avec Michel à l’orgue accompagnent carrément une grande pionnière du rock and roll à la Locomotive : Wanda Jackson.

Un lieu devenu à l’époque un autre chaudron parisien du rock and roll, avec le Golf Drouot.

Épilogue et miscellanées

C’est avec un jeune chanteur marocain venu de Rabat à Paris en septembre 1964, surnommé Vigon par ses nouveaux amis français, que Jonasz -qui quitte l’école en plein cours de maths à l’âge de quinze ans sur un coup de tête ! -fait ses débuts comme pianiste et organiste. Puis comme chanteur amateur, pressé de chanter sur scène par son boss. Le premier titre qu’il chante étant I’m Your Hoochie Coochie Man, créé par  «Muddy Waters and his guitar» (sic) début 1954.

Ray Charles, une inspiration © Domaine public

Titre cité donc dans Mon Père…(voir plus haut) -et dans Miss Molly, en 2000. Le futur Vigon découvre le rock et le rhythm and blues à Rabat, et les premiers rudiments d’anglais, grâce à un certain Ray Charles. À la même époque, dans un établissement de jeux balnéaire quelque part en France, Michel craque comme un fou en découvrant son  What’D I Say, dans un juke-box, la rutilante machine à rêves !

Une rencontre Michel-Vigon comme imposée par le destin. Jonasz mentionne Bo dans Triste Et Bleu, 1992. Hommage crypté mais évident à Little Richard dans Lucille, 1983. Pour Michel, c’est le Rock and Roller ultime dont il célèbre cette fois Rip It Up. Autre hommage avec Miss Molly (pour Good Golly Miss Molly, un autre classique de Richard) -en 2000.

Et encore un à Richard et d’autres-dont Larry Williams et même Vince Taylor -dans cette perle : Le Rhythm And Blues (2002). Des noms d’artistes comme titres, avant ce Bo Diddley.

Golden Gate avec la participation du Golden Gate Quartet -1978. Ray Charles, 1985. Léo (Ferré), 2007. Armstrong (de Nougaro), 2007.

Mais Taj Mahal (1992) ne fait référence qu’au monument et non au chanteur et musicien !

Pour finir avec un sourire… Deux albums : 1977 sur Atlantic : titre : Michel Jonasz. 2005 sur MJM : titre : Michel Jonasz ! Deux albums homonymes ! Mais tous sont à recommander, d’un fleuron de la musique française : notre irremplaçable Michel Jonasz !


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