Chardin : vous reprendrez bien quelques fraises à 24 millions d’euros ?
Un très beau tableau du peintre Chardin qui risquait de partir pour les États-Unis, restera finalement en France. Les Français se sont mobilisés pour aider le Louvre à l’acquérir.
A vue de nez il devrait y avoir deux kilos de fraises sur cette peinture, cela fait environ douze millions d’euros le kilo. C’est vrai que c’est cher, mais quand on aime on ne compte pas. Non, je ne suis pas en train de sucrer les fraises, c’est simplement le prix de la passion, qui par définition n’en a pas. Ne soyons donc pas mesquins et félicitons tous ceux qui ont aidé le Louvre à garder ce beau tableau en France.
Il faut dire que la société LVMH a fait le plus grand effort en mettant les deux tiers de la somme, il ne restait que quelques millions à trouver. De l’argent bien dépensé, certes autrement que dans des fraises Tagada pleines de sucre. Attention aux kilos à l’approche des vacances d’été ! Mais d’où vient cette passion pour Le Panier de Fraises (1761), ce tableau de taille relativement modeste ?
Laurence des Cars © Franck Ferville / Elle France
Laurence des Cars est la première femme à avoir été nommée présidente-directrice du Louvre en 2021. Formée, entre autres, à la prestigieuse École du Louvre, elle fut avant cela directrice du Musée d’Orsay et aussi de celui de l’Orangerie. Une belle carrière aux plus hauts postes culturels en France pour cette fille de l’écrivain Jean des Cars, et petite-fille d’un autre romancier, Guy des Cars. Son aura traverse les frontières puisqu’elle a aussi été nommée en 2023 au Conseil de surveillance du Musée Van Gogh d’Amsterdam. C’est elle qui a lancé cette idée de récolte de fonds pour ce beau tableau de fraises.
La raison en est que le peintre Jean Siméon Chardin (1699-1779) est considéré comme un des plus grands peintres du XVIIIème siècle. Véritable Parisien de Paris, né et mort dans la capitale, il est mondialement connu pour ses scènes de genre et ses natures mortes, comme celle qui nous occupe ici.
Chardin à 72 ans, Autoportrait aux bésicles, 1771, Musée du Louvre © Domaine public
Il a fallu sauver le soldat Chardin, d’autant plus que les Américains ont déjà de nombreuses œuvres du maître, comme ce très beau Château de Cartes qui est à Washington à la National Gallery of Arts, et qui représente le fils de Monsieur Le Noir s’amusant à faire un château de cartes. À l’époque on vendait des gravures qui représentaient les tableaux à la mode, accompagnées de petits épigrammes comme celui-ci :
« Vous vous moquez à tort de cet adolescent
Et de son humble ouvrage
Prest à tomber au premier vent
Barbons dans l’âge même où l’on doit être sage
Souvent il sort de nos serveaux (sic)
De plus ridicules châteaux. »
Le Château de cartes, tableau de Chardin (1737 ?) © Domaine public
Cette nature morte aux fraises était précédemment la propriété de François Marcille (1790-1856), riche marchand de grains, propriétaire en son temps de 4500 tableaux dont 40 Boucher, 30 Chardin, et 25 Fragonard. Elle était restée dans la descendance de ce collectionneur depuis. Le 23 mars 2022 le tableau a été mis en vente chez Artcurial à Paris, avec une estimation à 15 millions d’euros. Elle bat finalement tous les records en partant à 24 millions au marteau, auxquels il faut ajouter les frais, achetée par un marchand d’art new-yorkais pour le compte du Musée Kimbell Art de Fort Worth au Texas.
L’appel aux dons des Amis du Louvre © Louvre
Mais coup de théâtre, l’État français décrète après cette vente que le tableau est un trésor national, et il laisse 30 mois au Louvre pour s’en porter acquéreur. LVMH se montre très généreux, ainsi que la Société des amis du Louvre. Ce 29 février 2024, moins de deux ans après la vente, la somme a été réunie de la manière suivante : les grandes entreprises mécènes ont donné 17 millions, le Louvre lui-même 6 millions, et 10 000 donateurs individuels ont offert 1,6 millions.
Tout est bien qui finit bien, et vous pourrez bientôt admirer ces magnifiques fraises tant au Louvre que lors de la tournée triomphale de ce tableau au Louvre-Lens, au Musée des Beaux-Arts de Brest et au Musée d’Art Roger-Quillot.