“Le tableau volé” et le marché de l’art, le film de Pascal Bonitzer avec Axel Lutz et Léa Drucker aborde ce sujet rarement traité au cinéma.

C’est l’histoire d’un ouvrier dans l’industrie chimique (Arcadi Radeff), un jeune homme qui trouve dans la maison qu’il a achetée en viager à un vieux monsieur un tableau, vendu avec les murs. Le vieux est mort, et il semblerait que le tableau soit une œuvre d’Egon Schiele. Ca devrait valoir un peu d’argent. Avec l’aide de la notaire de la famille interprétée par Nora Hamzawi, ils contactent la salle de vente Scottie’s de Paris pour une expertise. C’est la chance de sa vie pour André, le commissaire-priseur (Alex Lutz) qui va expertiser ce tableau avec son ex-femme Bertina (Léa Drucker). Les passions vont se déchaîner, et les millions pleuvoir.

Léa Drucker et Alex Lutz, les experts de chez Scottie’s © Pyramide Distribution

Ce film est annoncé comme une comédie dramatique, j’y verrai plutôt un drame drôlatique. Le réalisateur Pascal Bonitzer nous montre une opposition évidente entre les bourgeois des villes et les ouvriers de province. Mais à mieux y regarder c’est la misère partout. Certes à Mulhouse on est dans la misère sociale. Mais on a des valeurs, on sait se tenir droit. Par contre à Paris… quelle misère morale, et à mieux y regarder, c’est aussi une misère sociale. Et ce n’est pas parce qu’on roule en Aston Martin qu’on n’est pas un pauvre type.

Louise Chevillotte, la stagiaire mythomane © Pyramide Distribution

Il y a l’expert en art Alex Lutz qui est mauvais comme une teigne avec ses inférieurs, mielleux et lâche avec ses clients et ses supérieurs, prêt à tout pour faire oublier sa province d’origine en échange d’une montre de luxe en plus ou de deux mètres carrés supplémentaires dans son appartement parisien.  Il y a sa stagiaire Aurore (Louise Chevillotte), menteuse et mythomane pathétique, les directeurs de la salle de vente, de pitoyables « tueurs » dénués de sentiments, obsédés par l’avancement. Tout un monde veule d’arrivistes, pas un pour racheter l’autre. Finalement c’est en province que l’on retrouve des personnes plus humaines, simplement normales.

Nora Hamzawi, la notaire honnête © Pyramide Distribution

Ce côté dur, violent, inutilement sec et aux dialogues agressifs des personnages à Paris, est fatiguant. J’avoue que je n’ai pas accroché à ce cliché sur les Parisiens, même s’il est parfois vrai. Toute cette misère malgré les millions qu’on manipule, on se croirait plutôt dans un film des frères Dardenne, qui ne sont pas ma tasse de thé non plus. Heureusement que certains personnages évoluent un peu au fil de l’histoire, et se bonifient. Tout espoir n’est pas perdu.

« Comparaison n’est pas raison », dit-on, mais il faut dire que nous sommes tout de même loin de La Femme au Tableau, le superbe film de Simon Curtis avec Helen Mirren dans le rôle d’une femme qui se bat pour récupérer un portrait de sa tante Adèle Bauer peint par Klimt et également spolié par les nazis. Encore une histoire vraie qui a débouché sur la vente de ce tableau chez Christie’s en 2006 pour 108 millions d’euros, en faisant à l’époque de ce Klimt le tableau le plus cher du Monde.

Arcadi Radeff interprète le personnage le plus sympathique et le plus équilibré de l’affaire: l’ouvrier © Pyramide Distribution

« Le Tableau Volé », basé sur une histoire vraie

Cette phrase, «basé sur une histoire vraie », est à la mode, et ce n’est pas plus mal car cela nous permet de découvrir certaines réalités. Ce film se base sur l’histoire d’un célèbre tableau disparu d’Egon Schiele, peintre autrichien considéré comme dégénéré par les nazis. Ce tableau intitulé Les Tournesols en hommage à Van Gogh est exposé pour la dernière fois publiquement au Jeu de Paume en 1938, puis il disparaît pendant la guerre. On pense le tableau perdu sans laisser de traces car il appartenait à une famille juive, les Grünwald.

Karl Grünwald était un marchand d’art viennois qui avait tout fait pendant la Première Guerre mondiale pour que Schiele ne parte pas au front, afin de préserver ce génie de la peinture. Lors de l’Anschluss en 1938, Grünwald réussit à quitter l’Autriche avec un camion contenant 50 des tableaux les plus précieux de sa collection. Il doit laisser le tout dans un garde-meubles en France et s’enfuir aux États-Unis. En 1942 les nazis trouvent cette collection et la vendent pour trois francs six sous. Aujourd’hui, sur les cinquante tableaux perdus, seuls trois ont été retrouvés. De nombreux autres dorment encore chez des particuliers, de simples dépositaires innocents comme notre Alsacien, ou des collectionneurs malhonnêtes.

Les fameux Tournesols d’Egon Schiele, le tableau volé © Christie’s

Avant 2006 on imaginait le tableau détruit par les bombardements. Sa réapparition chez une simple ouvrier d’origine alsacienne à Mulhouse suscite le plus grand scepticisme. Les experts ne se dépêchent pour l’expertiser, l’histoire est trop invraisemblable. Pas de temps à perdre en hypothèses quand on travaille. Mais l’avocat de l’ouvrier insiste, il envoie des photos, un descriptif de l’œuvre qu’il a sous les yeux. L’intérêt s’éveille, mais le scepticisme demeure. Deux experts analysent les photos : Thomas Seydoux, spécialiste de l’Art Moderne chez Christie’s France, et Andreas Rumbler, le directeur de Christie’s Allemagne et expert en art allemand et autrichien. Le choc est violent, on dirait un vrai Egon Schiele ! Quelle émotion !

Mais aussi quelle déception pour le jeune Alsacien, car on peut retracer la propriété du tableau, et en tant que tableau spolié à des Juifs il doit être rendu aux descendants des propriétaires. Cela ne dérange pas le moins du monde le jeune ouvrier qui tient à ce que le Schiele retourne chez ses propriétaires légitimes. Le tableau sera finalement vendu par Christie’s pour 17 millions d’euros. Ce tableau sombre de Schiele, ces tournesols tristes, je ne les aurais pas achetés pour 10 euros. Mais des goûts et des couleurs, on ne discute pas.

Bande-annonce du film en FR :


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