Il est des choses qu’on ne peut pas pardonner au destin. Le décès de Jodie Devos, à l’âge de 35 ans et en pleine ascension, en est certainement une. La soprano belge la plus talentueuse de ce XXIème siècle nous a quittés. Fauchée par un cancer foudroyant, elle est partie rejoindre les étoiles, elle qui en était déjà une sur terre.

En couverture : Jodie Devos © V. Bianchi-ORW-Liège

Jodie Devos est née à Libramont en 1988. Elle ne faisait pas un mystère du fait qu’elle est venue à l’opéra assez tard. Enfant, elle a grandi avec le rock classique et au départ, elle voulait d’abord être chanteuse de variété. C’est à 16 ans qu’elle a pris ses premiers cours de chant, d’abord à Ciney, puis à l’Institut Royal Supérieur de Musique et de Pédagogie (IMEP) de Namur, où elle a étudié le solfège, l’histoire de la musique, etc. Lors d’une master class au Danemark, Noelle Barker, professeur de Sophie Karthäuser et de mon propre professeur à Namur, Benoît Giaux, l’a encouragée à partir travailler à la Royal Academy of Music.  Elle y a approfondi chaque style de chant (oratorio, lied, opéra). C’est là aussi qu’elle a pris des cours de comédie assez poussés et qu’elle est tombée amoureuse de la scène.

© Agence Intermezzo

En 2014, c’est le grand tournant de sa carrière. Elle rentre en Belgique pour présenter le Concours Reine Elisabeth. Après un début qu’elle-même avait jugé assez calamiteux, puisqu’elle avait fait un malaise vagal et s’était évanouie devant la Reine Mathilde, elle a pu néanmoins reprendre le concours, et heureusement, puisqu’elle a reçu le deuxième prix, ainsi que le prix Musiq3 du Public. En une soirée, sa vie a changé. Les plus belles maisons d’opéra françaises, mais aussi européennes et même mondiales, lui ont ouvert leurs portes. C’est le début d’une belle carrière puisqu’elle a pu se produire à La Monnaie (Bruxelles) à New-York, en passant par l’Inde, l’Italie ou encore le Canada et le Brésil.

Mais c’est en France qu’elle s’installe, puisqu’elle a intégré dès 2014 l’Académie de l’Opéra Comique à Paris. Humble, elle était habitée par le désir de s’améliorer sans cesse.

Jodie Devos et P. Talbot © J. Berger-ORW-Liège

Jodie Devos, maîtrisais à la perfection les plus grands rôles de soprani coloratures du répertoire. Elle a été Adèle dans La chauve-souris de Strauss, Lakmé dans l’opéra éponyme de Delibes, Eurydice, dans Orphée aux enfers d’Offenbach, ou encore Olympia, dans Les contes d’Hoffmann, ou encore Gabrielle, la gantière de la Vie Parisienne, toujours d’Offenbach. La saison dernière, elle a été Ophélie, dans Hamlet, d’Ambroise Thomas, aux côtés d’un autre talent belge qui s’était distingué comme elle au concours Reine Elisabeth Lionel Lhote. C’est d’ailleurs à ses côtés qu’elle avait chanté dans Lakmé en 2022-2023, à l’Opéra Royal de Wallonie.

Jodie Devos © J. Berger-ORW-Liège

Bien que sa carrière ait incontestablement décollé, Jodie Devos était restée très attachée à l’ORW, qu’elle considérait un peu comme « sa maison », puisque c’est en 2015 que Stefano Mazzonis lui avait confié le rôle de Rosine dans Le barbier de Séville, la faisant ainsi entrer par la grande porte dans la cité ardente. On a dit de Jodie Devos qu’elle était une « soprano colorature aux aigus stratosphériques ».  Il est vrai qu’elle avait une amplitude vocale remarquable, une maîtrise technique étonnante.  La souplesse de ses vocalises était quasi surnaturelle, et elle lui permettait les plus beaux ornements vocaux.

© Marco Borggreve

Mais Jodie Devos, c’était aussi une personnalité lumineuse, attachante. Proche de son public, elle était généreuse, aussi bien sur scène qu’en dehors. Belle, elle était aussi le charme incarné. Sa présence sur scène était époustouflante. D’ailleurs, elle avait dit dans une interview « Moi, c’est le théâtre qui m’a plu tout de suite à l’opéra ».  Elle pouvait tout jouer, la joie, la passion, ou la mélancolie la plus profonde, aucune émotion ne lui semblait étrangère.  Sa voix semblait virevolter sans fin sur les partitions les plus exigeantes.

Jodie Devos et P. Talbot © J. Berger-ORW-Liège

Mais Jodie Devos, c’était aussi une femme qui s’impliquait beaucoup dans la société. Elle qui avait grandi à une heure trente de voiture du plus proche opéra, elle savait que le public devait se conquérir, puis se garder. Elle était une fervente ambassadrice de la diffusion des opéras vers un public le plus large possible, par tous les vecteurs, des captations, aux opéras participatifs, et puis via Internet également, puisque c’est par ce media qu’elle avait approché le genre. « Le devoir de diffusion fait aujourd’hui partie de notre job » aimait-elle à rappeler. Grande spécialiste du répertoire français, elle a joué un rôle important dans sa défense durant sa trop courte carrière.

© Laurie Diffembacq / Belga

Pendant la pandémie de Covid, elle s’impliqua dans le Fonds Unisson pour venir en aide aux tout jeunes chanteurs lyriques privés de scène. Chez nous, elle s’est également engagée en parrainant plusieurs associations culturelles et artistiques, se dépensant sans compter autant que son agenda lui permettait.

Tout comme Mozart, Jodie Devos s’est éteinte à 35 ans, laissant les mélomanes et les amateurs d’opéra dans un état de sidération et abasourdis de chagrin. De sa carrière trop brève, nous gardons des vidéos où éclate son sourire communicatif et sa voix inégalable, et des enregistrements de nombreuses fois primés. Elle manquera à l’art lyrique, aux Belges et à tant d’autres, de façon permanente. Il paraît que personne n’est irremplaçable, Jodie Devos a prouvé que si !

Jodie Devos dans l’air de la Reine de la Nuit, La Flûte Enchantée (Mozart) :


Une autre grande chanteuse nous a quittés cette semaine, qui chantait dans un genre différent mais tellement sensible : Françoise Hardy.