Le complot contre Marie-Madeleine
Dans son superbe livre intitulé « Marie-Madeleine ou La Quête de l’Âme », Christian Doumergue nous emmène dans une passionnante enquête sur les traces de la véritable Marie-Madeleine et de l’image injurieuse qui lui a été collée à dessein, celle d’une prostituée qu’elle n’était pas.
Christian Doumergue étudie depuis longtemps les sujets en rapport avec la spiritualité, le symbolisme et les énigmes liées à l’histoire occulte, ou occultée. Diplômé en histoire des arts, en archéologie et en littérature, il est à la fois un chercheur de documents anciens dans les bibliothèques, et un homme de terrain, car l’un ne va pas sans l’autre. Passionné par des sujets aussi éclectiques que complémentaires, comme les Templiers, l’auteur fantastique H. P. Lovecraft, ou même l’aspect magique des chats auquel il a consacré un livre, il est reconnu comme un spécialiste des mystères de Rennes-le -Château et de Marie-Madeleine.
Christian Doumergue, auteur et chercheur © La Dépêche
Son étude des enseignements de Jésus et de la vie de Marie-Madeleine procèdent d’un désir de revenir aux sources premières du christianisme et à l’enseignement originel du Christ. Dans un monde désenchanté et matérialiste, la « Quête de l’Âme » dont il est question dans ce livre est aussi la quête personnelle de l’auteur. Il est certain que cette quête trouvera un écho dans les cœurs des nombreux lecteurs qui aspirent à s’élever dans leur vie et ressentent eux aussi, en toute humilité, la nécessité de dépasser leur condition vers plus de spiritualité.
« La conversion de Marie-Madeleine », par Véronèse, vers 1547, National Gallery de Londres © Wikipedia Commons
Qui était Marie-Madeleine ?
Elle est une jeune femme issue d’un milieu privilégié, une grande famille de la ville de Magdala au bord du lac de Tibériade, une ville d’une certaine importance à l’époque. Marie-Madeleine est une Juive hellénisée, un milieu intellectuel parfois critiqué par certains Juifs traditionalistes comme étant trop moderne. Il est probable que Marie de Magdala tenait aussi le rôle de « sponsor » du groupe de disciples qui suivaient Jésus, car il fallait bien financer tout ce monde.
« Ne me touche pas! » ou « Noli me tangere! », en latin, par Anton Raphael Mengs © Palais Royal de Madrid
Occupant une place très importante dans le récit de la vie de Jésus à différents moments, c’est Marie-Madeleine qui découvre l’absence du corps du Christ dans le tombeau, puis le voit. Celui-ci lui interdit de le toucher. Elle court annoncer la Bonne Nouvelle de sa Résurrection aux autres disciples. Elle est la première à répandre cette information capitale dans toute l’histoire du Christianisme.
« Les Mirophores au Sépulcre », icône orthodoxe de Kidji, Russie XVIIIè siècle © Wikipedia Commons
Marie-Madeleine disciple du Christ ?
On parle de plusieurs Marie dans les évangiles, c’est un prénom très répandu en Judée à l’époque. Deux d’entre elles ne peuvent pas être confondues, c’est Marie la mère de Jésus, et Marie de Magdala, appelée par la suite par déformation Marie-Magdeleine, puis Marie-Madeleine, qui nous occupe ici. Il en existe d’autres sur lesquelles les spécialistes ne se mettent pas d’accord, comme Marie de Béthanie.
Le Christ dans la maison de Marthe et Marie, Jan Vermeer, 1654 © Scottish National Gallery
Christian Doumergue nous suggère que Marie de Béthanie et Marie de Magdala ne sont qu’une même personne, tout comme le faisaient en leur temps le pape Grégoire le Grand, la Légende Dorée ou la tradition provençale. C’est important au vu de l’épisode dit de « La meilleure part ». Pour rappel, Jésus arrive chez deux sœurs, Marthe et Marie. Pendant que Marthe s’affaire à préparer le repas, Marie est « aux pieds du Christ » et n’aide pas sa sœur. Marthe se plaint de l’inaction de sa sœur, à quoi Jésus répond que Marie aura « La meilleure part ». Cela veut dire que Marie n’est pas inactive mais qu’elle écoute l’enseignement du Christ, raison pour laquelle elle est « à ses pieds ». En vérité elle se tient dans la position du disciple qui est enseigné. Pour rappel, Marthe et Marie sont les sœurs de Lazare de Béthanie, celui que Jésus a ressuscité.
« Marie-Madeleine pénitente », Le Tintoret, vers 1598-1602, Musées Capitolins, Rome © Wikipedia Commons
Damnatio Memoriæ, ou la damnation de la mémoire
Autant le dire tout de suite, Marie-Madeleine n’était pas la fornicatrice, la prostituée, la pécheresse que l’Église a voulu nous présenter. Cette image faussée est due à la position proéminente qu’elle occupait dans l’entourage du Christ et qui attisait les jalousies. Déjà de son vivant des voix s’élevaient, notamment celle de Pierre, contre le fait d’enseigner à une femme. Qu’un rabbin comme Jésus prenne pour disciple une femme était contraire aux habitudes du temps. D’autant plus une femme libre comme l’était Marie-Madeleine.
« Marie-Madeleine à la bougie », représentée comme souvent avec un crâne symbolisant la finitude humain, le memento mori. Tableau de Georges de La Tour, vers 1640 © Musée du Louvre
Pourquoi libre ? Parce que souvent en ce temps-là les femmes étaient nommées en fonction de leur mari ou de leur père : Sarah de Josué par exemple, ce qui pourrait dire que Sarah est la fille de Josué, ou sa femme, selon le contexte. Mais Marie n’est désignée que selon le lieu d’où elle est originaire, Magdala. Elle ne doit pas rendre de comptes à un mari, possède une fortune personnelle, et est élevée spirituellement.
« Marie-Madeleine pénitente », par Pedro de Meno, 1664, Musée du Prado © Wikipedia Commons
Après la mort du Christ, les textes apocryphes, c’est-à-dire non reconnus comme canoniques, racontent le trouble des disciples. Certains ont peur d’être mis à mort comme leur Maître. Mais Marie-Madeleine redonne courage à tout le groupe. Elle les éclaire aussi sur la pensée de Jésus. Pierre le prend très mal, et demande à ce qu’elle partage avec tous l’enseignement privé, ésotérique, qu’elle a reçu du Christ. Elle s’exécute bien volontiers mais Pierre et certains disciples rejettent cet enseignement, probablement spirituellement inaccessible pour eux.
« Marie-Madeleine », en rousse flamboyante, par Rogier de La Pasture, triptyque de la famille Braque, autour de 1450, le Louvre © Wikipedia Commons
Deux groupes se forment : les supporters de Marie-Madeleine et ceux de Pierre. Ce sont deux visions du message christique qui diffèrent. Cette opposition ira jusqu’à la violence et au meurtre. Par la suite elle aboutira à deux courants opposés et irrémédiables. L’un donnera naissance à l’Église de Rome, celle de Pierre. L’autre s’achèvera dans l’épopée cathare et par l’éradication complète de ses adeptes dans des meurtres de masses d’une monstruosité absolue.
« Ne jetez pas des perles aux cochons ». Jésus Christ
La Croisade contre les Albigeois, les hérétiques sont brûlés vifs © DR
Le pape lança une croisade contre d’autres chrétiens, qui ne professaient pas la même doctrine que lui. Des hérétiques. Rappelons que lors du Sac de Béziers, sur plus de 20 000 habitants, à peine 1 % étaient des Cathares, les autres étant de « bons catholiques ». Ne voulant pas livrer leurs amis et parents aux troupes d’Arnaud Amaury venu les brûler, toute la population de la ville fut exterminée : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! ». Même les familles réfugiées dans l’église Sainte-Madeleine furent brûlées vives. C’était le 22 juillet 1209, jour de la Sainte-Marie-Madeleine…
L’épouvantable massacre de tous les habitants de Béziers en 1209 © DR
L’auteur nous dit : « L’origine de la damnation memoriæ lancée contre Marie-Madeleine est donc à situer bien au-delà de la question de la place de la femme dans la société. Elle est un épisode de la guerre menée par le matérialisme (fût-il déguisé sous le voile du religieux) contre le spiritualisme. Marie-Madeleine, et son enseignement, fut longtemps poursuivie par la haine de l’Église de Rome, jusqu’à ce que tous ses adeptes disparaissent et que leurs écrits soient brûlés.
« La Sainte-Baume », c’est-à-dire la « Sainte Grotte » en Provençal, sur des hauteurs escarpées et désertiques © Linternaute.fr
Alors seulement son image fut récupérée, totalement travestie en celle de la mauvaise femme, la femme libre donc prostituée, évidemment agenouillée aux pieds du Christ, mais non pour recevoir son enseignement, mais pour se repentir de ses « péchés ». L’Église exalta sa beauté tentatrice, l’assimilant même à la déesse Vénus. On instaura son culte à la Sainte-Baume en Provence, lieu supposé de sa retraite et de sa mort. Pour l’auteur il serait plus intéressant de chercher la sépulture de Marie-Madeleine du côté de Rennes-le-Château ou de Rennes-les-Bains.
« Arrivée de Sainte Marie-Madeleine à Marseille », Giotto di Bondone, vers 1320, basilique Saint-François d’Assise, à Assise, Italie © Wikipedia Commons
Car selon de nombreuses sources, Marie-Madeleine aurait quitté la Terre Sainte après la mort du Christ et se serait réfugiée dans le Sud de la France, alors province romaine, où elle se serait réfugiée dans la solitude et le dépouillement. De là viennent de nombreuses représentations artistiques d’elle nue. Ses détracteurs diront que c’est pour illustrer sa nature de pécheresse adonnée au vice. Pour ses défenseurs sa nudité symbolise son dépouillement absolu. « La solitude n’a rien à voir avec le repentir, pour l’être purifié elle est une voie ascensionnelle », dit Christian Doumergue.
Sainte Marie-Madeleine, souvent représentée comme une belle rousse, couleur diabolique, par Frederick Sandys,vers 1858-1860 © Delaware Art Museum, Wilmington
Rehabilitatio Memoriæ, merci Christian Doumergue
Dans ce passionnant ouvrage, que je vous engage à lire pour découvrir tous les détails d’une incroyable enquête que cet article ne peut résumer en quelques lignes, Christian Doumergue réhabilite l’image intentionnellement flétrie de Marie-Madeleine, et la remet à sa juste place qui était probablement celle du disciple préféré du Christ. Il laisse à Dan Brown la fantaisie d’imaginer une descendance à Jésus et Marie-Madeleine, idée provenant peut-être des écrits anciens qui affirment qu’elle était sa « compagne ». Terme probablement mal interprété à l’aune de nos valeurs d’aujourd’hui, « compagne » devant être mieux compris dans le sens de « disciple » que de couple charnel.
« Mon Royaume n’est pas de ce Monde. » Jésus Christ
« Le Christ et Marie-Madeleine », par Alexis Yegoroff, 1818, Galerie Tretyakov, Moscou © Wikipedia Commons
La Quête de l’Âme
Cette recherche de la Connaissance pour élever son âme vers le divin a été moquée par l’Église qui l’appela Gnose. Et ses adeptes les Gnostiques, c’est-à-dire « ceux qui savent », des «je-sais-tout » suffisants et supérieurs. Grave accusation de vanité qui se terminait sur le bûcher. Christian Doumergue explique : «Le sentiment d’être étranger à ce monde est le fondement même de la pensée gnostique. Pour l’expliquer, le gnosticisme a développé tout un système de croyances cristallisées autour du mythe de la chute de l’âme dans la matière. » Lamartine disait de l’Homme qu’il est « borné dans sa nature, infini dans ses vœux. »
« Marie-Madeleine pénitente », par Le Titien, vers 1531, Palazzo Pitti, Florence © Wikipedia Commons
« Nous avons une conscience qui ne semble pas issue du monde physique : c’est que cette conscience, que nous appelons généralement âme, vient d’ailleurs. D’une autre réalité d’où nous serions « tombés ». Une réalité extraterrestre, non terrestre, et donc céleste. Comment expliquer autrement l’insatisfaction de l’âme ? On ne peut regretter que ce que l’on connaît. Marie-Madeleine fut une de ces âmes endeuillées du Ciel.
« L’Homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux. » Lamartine.
Marie-Madeleine enlevée au Ciel par les anges. Sa nudité est recouverte par sa chevelure luxuriante. Cathédrale de Torùn, Pologne, XIVe siècle © Wikipedia Commons
Cette nostalgie de « l’autre monde » dépasse la simple histoire du gnosticisme et même des religions. Au fil de son histoire, l’homme n’a cessé d’inventer des échelles pour atteindre ce monde originel. La religion est une de ces échelles. La poésie en est une autre. La littérature, encore une autre. L’art également, lorsqu’il est tourné vers le beau. Car l’âme est sensible à la beauté et la beauté lui permet de croître et de se développer. Elle a sur l’âme la même action que le soleil a sur les fleurs. Les fleurs sont là, mais ne peuvent éclore que si le soleil vient leur en donner la force. L’âme est pareillement présente en chacun de nous. Mais elle ne peut s’épanouir que dans la contemplation de la beauté – laquelle lui rappelle ses origines et lui permet de se souvenir de qui elle est. »
Un livre à lire pour avancer dans une saine réflexion © Le Courrier du Livre
Une passionnante interview de Christian Doumergue sur la chaîne ARCANA de Ludovic Richer: