Le biopic « Niki » est dans les salles obscures et nous plonge dans les ténèbres du viol de l’enfance et de la résurrection par l’art. Un bijou sur pellicule.

Pour son premier long métrage, la réalisatrice Céline Sallette s’attaque à un sujet à la fois grand et lourd. Grand, car Niki de Saint-Phalle est une géante de l’art du XXe siècle. Lourd car parler d’inceste est sensible et douloureux. Céline Sallette se sort de cet exercice par le haut, nous offrant un magnifique film tout en délicatesse. La Bordelaise Céline Sallette a commencé sa carrière comme actrice sous la direction de Sofia Coppola dans Marie-Antoinette en 2006, excusez du peu. Les grands réalisateurs apprécient son talent, elle joue par exemple durant la même année 2012 dans De rouille et d’os de Jacques Audiard, et dans Le Capital de Costa-Gavras. Ce n’est que le début d’une belle carrière d’actrice qui la verra occuper de nombreux premiers rôles.

Niki, un film tout en finesse à voir de toute urgence © Wild Bunch Distribution

Forte de cette expérience, elle se lance en 2024 dans la réalisation ; Niki est son premier long métrage. Pour un coup d’essai c’est un coup de maître, le film est sélectionné dans la catégorie Un certain regard du Festival de Cannes 2024. Ce film rencontre sa sensibilité à la cause de l’égalité, la réalisatrice étant membre du collectif 50/50 qui a pour objectif de promouvoir l’égalité des hommes et des femmes, ainsi que la diversité, dans le cinéma et l’audiovisuel.

La vie de Niki de Saint-Phalle n’est pas un long fleuve tranquille

Marie-Agnés, (dite Niki), Fal de Saint-Phalle est née à Neuilly-sur-Seine le 29 octobre 1930. Son père est un banquier dont la famille d’origine française est très active aux États-Unis depuis que les frères Saint-Phalle ont créé en 1919 la banque d’investissement Saint-Phalle & C°. Cette banque disparaîtra finalement au début des années 1970, entraînant avec elle les économies de bon nombre de familles françaises. La mère de Niki est une Américaine, très rigoriste et violente. Les cinq enfants Saint-Phalle seront élevés à la dure, deux d’entre eux se suicideront à l’âge adulte. Quant à la pauvre Niki, elle avouera seulement en 1994 dans son autobiographie Mon secret, avoir été violée par son père pendant des années à partir de l’âge de onze ans.

© Wild Bunch Distribution

Elle dira plus tard être fière d’être une descendante de Gilles de Rais, un violeur et tueur en série d’enfants. Bien que ce soit plutôt un parent qu’un ancêtre, il est étonnant de la part de cette jeune femme abusée de se réclamer d’un tel personnage. Syndrome de Stockholm ? Volonté de choquer ? Ne dira-t-elle par dans l’interview qui suit : « C’est une personne que j’admire parce qu’il est allé au bout des choses. C’est un vrai criminel, pas un criminel mesquin. Il a mis le paquet. Dès qu’on met le paquet, je suis admirative. D’ailleurs c’est le seul ancêtre dont je suis …(fière ?) C’est lui, et après il y a moi. Tout le reste ne compte pas. »

Une magnifique interview de Niki de Saint-Phalle en 1965 où elle parle de Gilles de Rais :

Je vois plutôt dans cette déclaration choc plusieurs niveaux de lecture. Premièrement Niki explique qu’elle a un ancêtre pédophile, manière détournée de parler de son père sans le nommer. C’est un message subliminal que presque personne ne peut décoder à ce moment-là, mais qui sera mis en lumière 30 ans plus tard. Ensuite elle défie son père en affirmant qu’elle admire ceux qui vont au bout des choses, qui ne sont pas mesquins, pas comme le père Saint-Phalle qui se cachait pour violer son enfant. Niki veut-elle pousser son père à avouer publiquement ses crimes ? Enfin elle crache au visage de son père, affirmant que, entre Gilles de Rais (XVe siècle) et elle, il n’y a rien, tout le reste ne compte pas. Là, le message est clair.

Charlotte Le Bon très convaincante dans le rôle de Niki © Wild Bunch Distribution

L’art brut pour se sauver

Le film montre les débuts artistiques de Niki, lors de son enfermement en hôpital psychiatrique. Elle ressent ce besoin viscéral de s’exprimer par l’art, un besoin qui ne supporte aucune contrainte. Lorsque les infirmières lui refusent des couleurs, de la toile ou du papier, elle s’empare dans la décharge de l’hôpital de tout ce qui peut lui servir, elle cueille dans la nature ce qui l’aidera à créer. C’est cela l’art brut, qui vient du fond de la personne et ne se rattache pas à un mouvement artistique ou à une école. Une manière de ne pas sombrer totalement, une bouée de sauvetage poétique.

Niki de Saint-Phalle (1930-2002) © DR

L’horreur de ces « soins » psychiatriques que l’on administrait dans les années 1950 est un véritable cauchemar. Ce ne sont que tortures, électrochocs, maltraitences. On s’étonne que les malheureux soumis à ces traitements n’en ressortent pas plus perturbés encore que lorsqu’ils sont arrivés à l’hôpital. C’est l’époque à laquelle, aux États-Unis, la sœur du président Kennedy, Rosemary Kennedy, est soumise à une lobotomie qui la transforme en légume, un assassinat de la personnalité. Heureusement pour elle, Niki s’est mariée à dix-huit ans, ce qui lui a permis de fuir l’emprise de son père et de s’installer en France. Si elle était restée aux États-Unis peut-être son père l’aurait-elle faite définitivement  « soigner » avec une bonne lobotomie… Le film montre bien cette bien-pensance à l’œuvre, orchestrée par un médecin-chef lâche et veule.

La mode charmante et féminine des années 1950 très bien rendue dans le film © Wild Bunch Distribution

Charlotte Le Bon magistrale dans le rôle de Niki

L’actrice québécoise Charlotte Le Bon née le 4 septembre 1986 à Montréal est bluffante dans son interprétation de Niki. Je ne peux que conseiller à ceux qui iront voir le film de regarder d’abord des interviews de Niki de Saint-Phalle sur YouTube pour se faire une idée de la qualité de son travail d’incarnation du personnage. Elle réussit à rendre le phrasé particulier de Niki, imprégné d’accent américain, ses mimiques, ses regards, son allure. Ce n’est pas évident car Niki possédait un charme très particulier, mais le pari est gagné. À l’instar de Niki, Charlotte a débuté sa carrière comme mannequin. Mais trop petite pour défiler, elle se lance en tant que comédienne. Il faut dire qu’elle a de qui tenir, sa mère est l’actrice Brigitte Paquette et son beau-père est aussi comédien. Elle est parfaitement à l’aise en anglais américain.

Niki fera un carton plein © Wild Bunch Distribution

Après avoir tourné des publicités pour les parfums de Lolita Lempicka et pour le café Carte Noire, on a pu voir Charlotte Le Bon présenter la météo sur Canal+ en 2010 et 2011, puis devenir chroniqueuse dans Le Petit Journal sur la même chaîne. Elle fait ses débuts au cinéma la même année dans Astérix et Obélix : Au service de Sa Majesté. Elle poursuit depuis lors une belle carrière de comédienne mais aussi de réalisatrice depuis 2018, ayant réalisé son premier long métrage, Falcon Lake, en 2022. Charlotte Le Bon est aussi une illustratrice de talent qui a exposé plusieurs fois. En fait, personne d’autre qu’elle n’aurait pu mieux incarner la talentueuse Niki de Saint-Phalle.

Depuis le 9 octobre 2024 dans les salles.

Bande-annonce de Niki en FR :


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