Hypnotic, le nouveau film de Robert Rodriguez avec Ben Affleck, Alice Braga et William Fichtner nous entraîne dans un thriller psychédélique de manipulation par hypnose. Que vaut ce film, et peut-on réellement contrôler notre cerveau ? Petit tour des techniques de manipulation mentale.

Une histoire intéressante qui évolue en délire

C’est l’histoire d’un policier (Ben Affleck) qui perd un jour sa fille de sept ans, kidnappée dans une plaine de jeux quasi sous ses yeux sans qu’il ne se rende compte de rien, comme s’il avait été hypnotisé. Il ne s’en remet bien sûr pas mais continue à travailler pour oublier. Un jour, lors d’un braquage particulièrement bizarre, il découvre une piste concernant l’enlèvement de sa fille. Le braqueur (William Fichtner) est un « hypnotique », c’est-à-dire un maître hypnotiseur aux pouvoirs bien au-dessus de celui des hypnotiseurs cliniques. Le policier va le prendre en chasse en se faisant aider par une médium très douée (Alice Braga).

C’est un début intéressant, mais très vite le film de Robert Rodriguez bascule dans de grandes complications. Accrochez-vous pour suivre car on entre dans un système de poupées russes imbriquées les unes dans les autres. Il semblerait que nous soyons face à un complot d’une agence de l’Etat américain, et que rien ne correspond à ce que l’on s’imagine. On nous cache tout, on ne nous dit rien. Sans divulgâcher l’histoire du film, je peux dire que tout est illusion, tout est manipulation autour de ce pauvre Ben Affleck.  Le message final est que rien ne compte autant que la Liberté et l’Amour. Beau message auquel je souscris, mais le chemin de Robert Rodriguez pour y aboutir est très tortueux. Je conseille néanmoins le film à ceux qui ont une appétence de l’esprit aux rebondissements sans fin, les autres risquent de lâcher en cours de route et de s’ennuyer un tantinet.

William Fichtner, le méchant dans HYPNOTIC de Robert Rodriguez © Solstice Studios

Ne sois pas si sérieux, Robert Rodriguez

Robert Rodriguez déclare dans Allociné le 27 mai 2023 : « Ce film est né de mon amour des films de Hitchcock. À l’époque, il venait d’y avoir une ressortie de Sueurs Froides (Vertigo en anglais) et j’ai voulu proposer quelque chose dans cette veine. J’ai toujours adoré ce genre de films, même quand j’étais gamin. Très généreux, beaucoup de rebondissements et un titre en un mot, Vertigo. J’ai immédiatement pensé à Hypnotic. »

Vertigo est considéré comme l’un des 100 meilleurs films de l’histoire du cinéma, c’est placer la barre bien haut. Pas sûr qu’Hypnotic y arrive. Dans cette veine le film Trance (2013) de Danny Boyle est plus réussi. Pourtant le scénario n’est pas mauvais, mais le problème c’est que Robert Rodriguez le prend au sérieux. Oui, la grande manipulation hypnotique existe et je vais le prouver. Eh bien, non Robert Rodriguez, le film serait super s’il ne prétendait pas à la vérité mais juste au divertissement.

Robert Rodriguez a prouvé son talent génial avec un film comme Une Nuit en Enfer, dans lequel il y a deux temps : d’abord un excellent road movie, classique mais très bien fait. Puis une seconde partie dans laquelle le film bascule de manière totalement inattendue et jouissive dans un film de vampires complètement déjanté. Le réalisateur se fait plaisir et il nous fait plaisir, on est là pour passer un bon moment avec un pur délire. On s’amuse avec l’absurde. Malheureusement dans Hypnotic Rodriguez veut nous faire croire à la réalité de l’histoire. C’est dommage parce que l’hypnose ce n’est pas ça. Mais alors, les hypnotiques, est-ce que ça existe ?

Wolf Messing, un « hypnotique » dans la vraie vie ?

Voici une histoire qui est probablement vraie car beaucoup documentée. Le petit Wolf Messing naît en 1899 dans une famille juive habitant au Sud de Varsovie, alors dans l’Empire russe. Il émigre en Allemagne après la révolution de 1917 où il se produit dans des spectacles d’hypnose et de mentalisme. Il devine ce que les gens pensent, mais il a besoin d’un contact physique avec eux. En leur touchant les mains il fait de la « lecture de muscles » dit-il. Puis il développe son don sans devoir toucher les autres, devenant un télépathe reconnu internationalement. Après la victoire des nazis en 1933 il quitte l’Allemagne pour la Pologne. Lors d’un de ses spectacles il prédit la mort d’Hitler, ce qui ne plaît pas au Führer, aussi quand les Allemands envahissent Varsovie ils ont ordre d’arrêter Messing. Ils le trouvent et l’emmènent en prison au poste de police central de Varsovie. Ca se présente mal pour lui, Juif et ennemi déclaré des nazis.

Wolf Messing, un « hypnotique » authentique?

C’est là que les choses deviennent incroyables, presque surnaturelles, et que l’on a affaire à un « hypnotique ».  Wolf Messing réussit à hypnotiser tout le commissariat pour qu’on ne fasse pas attention à lui, et cela marche. Il sort de prison par la porte d’entrée du poste de police, au nez et à la barbe des nazis. Il s’enfuit en URSS pour échapper aux Allemands. Là il vit de spectacles d’hypnotisme, et ses talents attirent l’attention de Staline. Il le fait amener au Kremlin et lui ordonne de prouver ses capacités en attaquant une banque d’Etat à Moscou. Wolf Messing réussira à le faire. Il se présente au guichet et hypnotise le guichetier. Il lui remet un papier blanc et lui demande le contenu du coffre disant que c’est une autorisation officielle. Et le guichetier s’exécute, Messing repart avec l’argent !

Ensuite Staline lui demandera de venir dans sa villa de campagne, sans invitation officielle, persuadé que personne ne peut tromper sa garde rapprochée. Messing passe tous les contrôles de sécurité et entre dans le bureau de Staline, médusé.

_ Comment avez-vous fait pour pénétrer jusqu’ici sans être arrêté?

_ J’ai hypnotisé tous vos gardes et je me suis fait passer pour Beria, le chef des services secrets !

Wolf Messing meurt à Moscou en 1974, emportant dans la tombe le secret de ses dons hypnotiques. Il fait partie de ces phénomènes inexpliqués de la science. Voyons maintenant d’autres techniques de contrôle de l’esprit.

Mon sentiment est que les patients ne devraient pas entrer en transe plus profondément que ce qui leur est utile.

Milton Erickson, L’Hypnose Thérapeutique

L’hypnose peut-elle nous contrôler ?

Si c’est, comme dans Hypnotic, faire que des policiers se tuent en se tirant mutuellement dessus, la réponse est non. Les spécialistes de l’hypnose l’affirment : on ne peut pas, par hypnose, vous obliger à faire des choses que vous ne voulez pas faire, des actes qui vous mettent en danger ou qui vous sont préjudiciables. Vous devez être volontaire.

Cela peut marcher sur une scène de spectacle pour amuser le public, mais pas pour commettre des crimes. L’hypnose de spectacle est par ailleurs interdite par la loi en Belgique ce qui a posé des problèmes au célèbre Messmer en 2017 à Colfontaine.

Le terme hypnose vient du grec, « hupnoein » qui signifie endormir, c’est un état modifié de conscience également appelé « transe » au cours duquel l’individu est entre l’état de veille et de sommeil. La personne se retrouve dans un état modifié de conscience. Si en général la personne est hypnotisée par un hypnotiseur, il arrive que l’on se mette en état d’autohypnose. Elle a un effet analgésique, ce qui fait qu’elle peut être utilisée comme méthode d’anesthésie, l’hypnosédation, pour des interventions mineures.

De même c’est une technique qui peut aider à arrêter de fumer. Une de mes amies a arrêté du jour au lendemain de fumer grâce à l’hypnose conversationnelle. C’est une technique au cours de laquelle le patient parle avec l’hypnotiseur, mais ne dort pas. Au bout de quatre séances elle a été amenée à abandonner la cigarette, et cela depuis plus de vingt ans maintenant. Sigmund Freud l’utilisait pour retrouver l’événement traumatique supposé à l’origine du trouble de ses patients. Milton Erickson l’utilisait en psychothérapie, la considérant comme une relation vivante entre deux individus. C’est une technique connue et bien encadrée, loin de folklore du film Hypnotic. Impossible d’être exhaustif en la matière dans cet article, ce n’est pas le but.

Existe-t-il toutefois d’autres manières de manipuler le cerveau de quelqu’un pour l’obliger à faire des choses qu’il ne désire pas? La réponse est oui.

Chaque individu doit se forger ses propres outils, ses propres valeurs, s’il ne veut pas se transformer en zombie.

Claude Michelet
Le premier film de zombies, 1932

La zombification

C’est une tradition haïtienne qui consiste pour un houngan (prêtre vaudou) à s’emparer de la volonté d’une victime (le zombie) en le plongeant dans un état cataleptique par l’administration d’une puissante drogue. Celle-ci est préparée à base d’ossements humains en poudre, de lézards, de carcasses séchées de crapauds et de certaines plantes. On fait avaler le filtre à la victime ou bien on l’en frictionne. La personne perd son libre arbitre et devient l’esclave de son maître. Le premier film qui aborde ce sujet est Le Zombie Blanc de 1932 avec l’inquiétant Béla Lugosi (1882-1956), l’inoubliable interprète de Dracula qui finit à la ville par se croire réellement vampire.

Malgré le fait que les prêtres vaudou fassent peur en raison de ces drogues, il s’agit bien de chimie plutôt que de sorcellerie. Le mot zombie veut dire en créole esprit ou revenant, car on dit que le houngan peut faire ressusciter les morts. Il n’en est rien évidemment, la personne est d’abord plongée en état de catalepsie et présente l’aspect extérieur d’un mort, mais elle est toujours vivante. Elle est ensuite « ramenée à la vie » pour servir son maître dans des travaux de forces pour lesquels le zombie est corvéable à merci. Il s’agit donc bien d’une exploitation criminelle de l’homme par l’homme. Ceci n’a bien sûr rien à voir avec les films gore de zombies, des mort-vivants incontrôlables et faussement effrayants qui n’ont aucune utilité pour le travail.

Malheureusement la zombification chimique est toujours d’actualité et elle opère sous nos latitudes en des termes plus modernes : le GHB.

La drogue du viol, le GHB

Le viol n’est pas une recherche de sexe, c’est une recherche de totale domination.

Andrea H. Japp, docteur en biochimie et romancière

La drogue du viol

C’est le surnom donné au GHB (acide Gamma-HydroxyButyrique), un psychotrope et puissant dépresseur du système nerveux principal. Il est utilisé depuis les années 1960 comme anesthésique hypnotique, surtout en obstétrique, du fait de sa toxicité nulle sur le cerveau de l’enfant à naître. En médecine on l’utilise aussi pour la prévention du syndrome du sevrage chez les alcooliques. Hélas il est aussi utilisé à des fins illicites.

Le GHB sous forme de liquide ou de poudre, s’il est mélangé à de l’alcool, voit son pouvoir augmenté et crée un état d’euphorie et de désinhibition. On l’appelle aussi à tort ecstasy liquide. La victime qui n’a pas surveillé les manipulations sur son verre, le boit sans savoir qu’il est empoisonné et tombe dans une profonde somnolence, un état inconscient souvent suivi d’amnésie. Ayant abandonné ses défenses psychologiques normales, la victime tombe sous l’emprise de l’empoisonneur et est généralement violée.

La télé c’est une drogue dure, tu l’as, tu la regardes.

Blanche Gardin
Patrick McGoohan dans la série culte Le Prisonnier

La liberté est une peau de chagrin qui rétrécit au lavage de cerveau.

Le lavage de cerveau

Le lavage de cerveau est une expression d’origine chinoise, appelée aussi Réforme de la pensée, technique de rééducation politique mise en œuvre après la victoire du Parti Communiste Chinois en 1949. Méthode de persuasion secondée par des violences verbales et physiques, elle a un taux de réussite assez faible en raison même de sa violence. C’est une technique utilisée en temps de guerre pour faire changer d’opinion les prisonniers, mais aussi dans les dictatures communistes pour contrer les dissidents politiques. Une des techniques pour briser l’intellect des victimes est la privation de sommeil.

Cette méthode se retrouve dans certaines sectes et mouvements religieux extrémistes. En brisant la résistance psychologique des victimes on peut s’approprier leur possessions matérielles. Dans le cas des services secrets on tente de s’emparer des renseignements détenus par les agents ennemis. La série culte des années soixante Le Prisonnier avec Patrick McGoohan est un bon exemple des multiples techniques, sournoises ou agressives, utilisées pour faire parler un espion prisonnier. Ce genre de méthodes est aussi à l’œuvre dans le film Orange Mécanique dans lequel le meurtrier, considéré comme un asocial, est soumis à un lavage de cerveau en l’obligeant à regarder des images sensées le rééduquer.

De nombreux film utilisent ce ressort psychologique de scénario. De manière générale et plus douce, la télévision a un effet hypnotique sur nous, il suffit de s’asseoir devant et de zapper en comatant.

Ce que nous vendons c’est du temps de cerveau disponible.

Patrick Le Lay, PDG de TF1
Orange Mécanique, scène de lavage de cerveau

A l’insu de mon plein gré.

Richard Virenque, coureur cycliste

Les images subliminales

Ce sont des images qui sont insérées de manière secrète dans un film. Le temps d’exposition à notre regard est trop court pour que nous en soyons conscients, mais le cerveau lui, cette super-machine, le détecte et l’enregistre. On peut ainsi faire passer un message en toute discrétion et influencer les spectateurs. Ca marche vraiment ?

En 1957 une expérience fut tentée par James Vicary, un directeur marketing, sur les spectateurs du film Picnic. Il inséra des images subliminales d’une durée de 0,03 secondes sur lesquelles il était indiqué : Drink Coca-Cola, ou bien Eat Pop-Corn. Il annonça une hausse très importante des ventes de ces produits à l’entracte, jusqu’à + 50 % pour le pop-corn. Cette incroyable manipulation incita la CIA à s’intéresser à l’affaire, et elle publia en 1958 un rapport intitulé The operational potential of subliminal perception. A la suite de quoi les messages subliminaux furent officiellement interdits aux USA. En 1962 Vicary avoua avoir truqué les résultats de l’étude et donnant des chiffres beaucoup plus élevés que la réalité.

Image subliminale en 1957

Cela n’empêche pas la presse de s’en faire régulièrement l’écho. L’image du démon Pazuzu est insérée de manière subliminale dans le film L’Exorciste pour augmenter l’angoisse. C’est aussi le thème d’un épisode de Columbo. Même les Simpsons en rient avec un message subliminal en faveur de Al Gore, candidat à l’élection présidentielle américaine. Et en France on accusa à tort François Mitterrand en 1988 d’y avoir eu recours. L’image subliminale peut aussi être un détail au second plan d’une image, détail a priori insignifiant mais qui transmet tout de même une information. Voir un son subliminal. Tout est bon pour tenter d’influencer l’auditoire.

Les Simpsons et l’image subliminale de Al Gore

La manipulation consiste à construire une « image » du réel qui a l’air « d’être » le réel.

Philippe Breton, anthropologue, psychologue, sociologue.

La manipulation mentale extérieure et l’intrusion physique dans le cerveau

On trouve beaucoup d’exemples de manipulations mentales, que ce soit dans les discours de vente des bonimenteurs professionnels, ou même dans les rapports sentimentaux . Elle est multiforme et se distingue des autres techniques par le fait qu’il n’y a pas d’usage de substances chimiques, mais essentiellement de techniques mentales. On peut les appeler : influence sociale, ingénierie sociale, soumission librement consentie, domination, propagande, harcèlement moral, etc…  la liste est très longue. Le mensonge, les sophismes, tout est bon pour aboutir au consentement fabriqué. Le conditionnement, développé par Pavlov, en fait partie. Depuis les formes douces de publicité, jusqu’à la propagande bête et méchante en passant par la désinformation, le conditionnement, les vérités alternatives, l’endoctrinement, tout est bon pour s’emparer de votre cerveau sans que vous vous en rendiez compte. Tout est bon pour soumettre votre libre arbitre par la ruse. A ce titre, l’expérience de Milgram en 1963 en est une illustration effrayante.

A l’inverse de ces techniques qui vous travaillent de l’extérieur, il existe des techniques de pénétration physique de votre cerveau. Historiquement il y avait la tristement célèbre lobotomie, une opération chirurgicale qui consiste à sectionner ou altérer la substance blanche d’un lobe cérébral. Opération irréversible qui transformait souvent les patients en légumes, un crime enrobé dans des considérations scientifiques. Une manière de « soigner » les schizophrènes, épileptiques, et même des personnes dérangeantes comme par exemple des femmes trop indépendantes. Aujourd’hui cette pratique est heureusement interdite dans la plupart des pays. Un cas célèbre est celui de la sœur du président Kennedy, Rosemary Kennedy (1918-2005), dont la lobotomie l’a rendu handicapée mentale. Le beau livre de Kate Clifford Larson, Rosemary, l’enfant que l’on cachait (2016) retrace son tragique destin.

Et dans le futur on nous promet l’implantation de puces dans le cerveau reliées à des ordinateurs qui nous transmettront des informations, nous permettront d’avoir une encyclopédie dans notre tête. On nous promet des lendemains qui chantent, mais qui en écrira la musique ?

Bande-annonce HYPNOTIC :