J’avais lu le pitch du film intitulé Une femme effacée, de Sylvia Guillet, dans la programmation de La Smalah, une association culturelle de mon village landais. Le titre m’avait attirée et l’histoire de l’enquête de la réalisatrice pour retrouver une femme gommée d’une photographie avait encore davantage attisé ma curiosité.

Quelques tapas, un verre de vin et comme d’habitude beaucoup de bonne humeur dans La Grange, le café associatif, siège de La Smalah; des habitués entourent Sylvia Guillet,une jeune femme discrète et souriante qui explique être en résidence à La Maison Bleue de Contis pour écrire son premier long métrage et nous invite à découvrir le petit film du jour qui lui tient particulièrement à coeur. Je n’ai pas regretté d’être venue car j’ai vu un film très intéressant, intriguant, émouvant,  à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. J’ai eu envie de rencontrer l’auteure pour en savoir davantage…

Entretien avec Sylvia Guillet à l’issue de la projection de son film, La femme effacée © photo Frédérique Vanandrewelt

Des débuts prometteurs

Sylvia Guillet a commencé le cinéma à trente ans: «Je n’ai pas fait d’études de cinéma, j’ai appris sur le tas.»  Elle écrivait depuis longtemps sans parvenir à accoucher du roman qu’elle avait en tête. C’est Olivier Bourbeillon, réalisateur et producteur (Paris-Brest Productions) qu’elle rencontre par hasard qui lui mettra le pied à l’étrier en lui suggérant de changer de forme d’écriture. Elle se met alors à rédiger un premier scénario et c’est une révélation: «J’entendais les personnages parler et même avec leurs accents !»

Entretien avec Sylvia Guillet à l’issue de la projection de son film, La femme effacée © photo Frédérique Vanandrewelt

Sylvia Guillet donnera alors naissance à son premier court-métrage : Le serrurier (2008) suivi de Reproduction (2009), Ô Jeunesse (2009), Le vivier (2010), From Boston (2012); des films diffusés sur Canal + ou Arte. Des réalisations qui ne passent pas inaperçues puisqu’elle obtient le Prix du Public au festival «Il paraît qu’eux» pour Ô Jeunesse et le Métrange Sonore au festival Court Métrange pour Le vivier.

Le Vivier, Sylvia Guillet © Sylvia Guillet

Le moyen métrage, Une femme effacée est également récompensépar le Prix du département au Festival Européen du film documentaire de Vannes en 2016 et il est aujourd’hui encore utilisé comme support à l’école des Gobelins, une vraie fierté pour une autrice autodidacte qui me confie « dévorer une grande quantité de films pour rattraper son retard». Ce film que je découvre au siège de La Smalah pour l’occasion associée au Festival du Cinéma de Contis, est un film charnière pour Sylvia. Son écriture est en effet précédée d’une enquête personnelle de deux ans qui se poursuivra avec un détective professionnel: «Cela devenait obsessionnel, il fallait que j’aille au bout de cette quête dont l’enjeu dépassait clairement l’écriture du scénario.»

Pourquoi peut-on pleurer devant la photo de gens que l’on ne connaît pas ?» © Sylvia Guillet

Une quête personnelle

Tout commence avec un joli cadre ancien dans lequel trône un vieux cliché en noir et blanc représentant un gamin entouré de deux autres garçons juchés sur leurs bicyclettes. Sylvia ne connaît pas ces enfants, elle a chiné le portrait pour le cadre et n’a finalement pas remplacé la photo … Lorsque sa fillette fait tomber le cadre dont le verre se brise, elle s’aperçoit que la photo a été modifiée et discerne une ombre derrière les enfants. Il ne lui en faut pas plus pour échafauder les différents scénarios qui auraient conduit quelqu’un à gommer la silhouette dont elle est persuadée d’emblée qu’il s’agit d’une femme : « Une femme est entrée chez moi par effraction ».

Autoportrait, Sylvia Guillet © Sylvia Guillet

Et cette femme va hanter la réalisatrice qui rencontrera divers spécialistes des techniques de la photographie, du costume ou de la recherche généalogique pour résoudre cette énigme dont elle  envisage petit à petit de faire un film. Un semblant d’adresse griffonné derrière le cliché entraîne aussi des repérages sur le terrain qui ne donnent rien de probant. Elle réalise après plusieurs mois d’enquête personnelle que si elle a réussi à redessiner la silhouette du personnage manquant, elle ne parvient pas à retrouver son identité. Elle décide alors de faire appel à un détective à la personnalité digne de celle d’un personnage de polar qui va se prendre au jeu et lui ouvrir de nouvelles perspectives.

© Sylvia Guillet

« Fascinée par les photos anciennes, la réalisatrice Sylvia Guillet a mené une enquête modianesque à la recherche d’une inconnue effacée sur un cliché ancien. » Télérama

Un « docu romanesque »

Sylvia nous raconte trois histoires qu’elle alimente à la manière des romans-photos avec des clichés anciens glanés dans de vieux albums. Chaque histoire est vraisemblable et on se dit à chaque fois qu’elle détient la vérité mais c’est sans compter sur l’efficacité du détective qui finit par lui donner le numéro de téléphone de celui qui serait au centre de la photographie, devant la femme effacée. Le spectateur est tenu en haleine pendant les quarante-neuf minutes de la projection et on se sent très vite concerné par le mystère de cette photo qui rappelle à chacun les interrogations qui nous assaillent lorsque nous tournons les pages de vieux albums de famille reçus en héritage.

© Sylvia Guillet

A travers son film, Sylvia interroge la maternité et les liens familiaux, on la sent touchée par le sort de «la femme effacée» comme s’il lui fallait conjurer le sort et éviter d’être oubliée elle-même : «Qui était cette femme ? Son être a été purement et simplement renié et cette négation me bouleverse.». Un moulin à vent comme ceux avec lesquels jouent les enfants, des cerisiers en fleurs, quelques grains de pollen prisonniers d’une toile d’araignée et des feuilles mortes viennent ponctuer les séquences comme pour souligner le caractère éphémère des instants saisis. La réalisatrice «joue» son propre rôle dans le film, elle s’inscrit ainsi dans la durée et brigue peut-être une petite part d’éternité. Et si elle ne se livre pas vraiment, elle a pourtant atteint un but qu’elle ne percevait pas au départ, rendre à un fantôme son identité de femme libre pendant qu’elle-même affirmait sa propre identité artistique.

© Sylvia Guillet

Les projets

Lorsque j’ai rencontré Sylvia, elle terminait sa deuxième période de résidence à La Maison Bleue de Contis, un lieu d’écriture mis à disposition d’artistes, scénaristes et auteurs-réalisateurs par le Conseil départemental des Landes. Les auteurs sélectionnés bénéficient de deux périodes de quinze jours en mars et en septembre pour écrire un scénario de long métrage inspiré des décors landais. La jeune-femme me dit en sirotant son café combien elle a apprécié ces deux parenthèses entre pinède et océan loin de la frénésie de la capitale et des contraintes de la vie de famille. Elle s’apprêtait après notre entrevue à relire la première version de sa production menée à terme au prix d’un travail continu interrompu seulement par de longues courses et promenades à pied ou à vélo le long de l’océan et sur les chemins forestiers.

« Je rêve de tourner une scène au Grand Hôtel Splendid de Dax où je situe le colloque des ufologues, c’est un lieu extraordinaire ! » © DR

Sylvia m’a confié le sujet du film à venir dont le titre n’est pas encore définitif, il mettra en scène une communauté quelque peu mystérieuse, celle des ufologues c’est à dire des personnes qui s’intéressent à l’étude des objets volants non identifiés. Le goût de la jeune-femme pour le surnaturel n’est pas nouveau, plusieurs de ses films flirtent avec la science-fiction et elle affectionne le fantastique. Daniel, un ufologue désabusé découvre donc quelque part dans une tourbière Landaise un objet au comportement étrange qui pourrait bien être la preuve qu’il cherche depuis si longtemps : un artefact qu’il pense être d’origine extraterrestre. Mais personne ne le croit…

© Sylvia Guillet

Si tout se déroule comme elle l’espère, le tournage du film devrait avoir lieu courant 2026 sur les terres landaises qui auront vu sa genèse aux printemps et été derniers.

En attendant, Sylvia travaille sur plusieurs projets dont une série fantastique et fait partie de l’équipe technique de La Grande Librairie, l’émission littéraire phare de France 5, il n’y a pas de hasard ! Quelque chose me dit que l’on retrouvera le nom de Sylvia Guillet au palmarès d’un prochain festival du film à Contis ou ailleurs, elle a la petite touche littéraire qui donne à son cinéma un souffle poétique que je vous invite à découvrir très vite !

© Sylvia Guillet

Les petits plus :

Postuler pour une résidence à « la maison bleue » (avant le 28 novembre) 

En savoir plus sur le travail de Sylvia Guillet 

Regardez le film « Une femme effacée » sur le lien ci-dessous :

CADEAU ! Et spécialement pour les lecteurs privilégiés de CULTURIUS, retrouvez ici le film « Une femme effacée » sur ce lien Viméo.


« Petit éloge des cafés » de Léa Wiazemsky