Présidence américaine et Rock and Roll
Donald Trump s’apprête donc à rempiler pour un second mandat présidentiel en janvier 2025 -ce que l’on ne commentera pas ici. Voici une petite chronique sans prétention sur les liens existant entre des élections présidentielles américaines remontant à la glorieuse époque des Trente Glorieuses, et le rock. Dans les deux cas, il s’agit d’une réélection également d’un président républicain.
Rock And Roll President
Le 6 novembre 1956, Eisenhower est réélu président. Le monde du Rock and Roll en pleine explosion n’est pas du tout politisé encore comme il le deviendra la décennie suivante sous l’influence de nombreux artistes comme Dylan. Même si ce dernier s’est toujours défendu d’être un leader d’opinion. Dès le mois d’août, deux petites percées de la politique américaine néanmoins dans la musique des teenagers. Un sensationnel combo noir, the Treniers, enregistre le 7 août à New York une sorte d’hymne pour jeunes : (We Want A) Rock and Roll President.
The Treniers © DR
Avec le vocal assuré par un des chanteurs du groupe, également guitariste, Milt Trenier. Un rock bien balancé agrémenté par le saxophoniste frénétique du groupe, Don Hill. « We want a rock and roll president, A president who rocks and rolls ! » Et le titre se termine par ce conseil : « Vote for me ! » Pour un article futur lié au Rock and Roll, on aura sûrement l’occasion de se pencher plus avant sur ce groupe connu surtout pour un jeu de scène absolument sensationnel. D’authentiques pionniers du Rock and Roll et Rhythm and Blues, dont les débuts remontent à 1950.
Ce groupe pourri de talents -au pluriel – fut une inspiration pour Bill Haley and his Comets et même…pour un titre en particulier par Cliff Richard and the Shadows qui les virent aux States en 1960 ! On a vu les Treniers dans quelques films dont le très fameux The Girl Can’t Help It –La Blonde et Moi en cette même année 1956 et même à l’Expo 58 en juillet 1958.
Rock and Roll President © DR
Pour un show télévisé retransmis par la future RTB(F) soit l’I.N.R. Mais tout cela sera donc évoqué plus tard. Le titre (We Want) A Rock And Roll President ne semble pas avoir été adoubé par les teenagers, sauf peut-être dans leurs shows. Ce 45 tours n’est pas un succès. Il paraît sur le label Vik, une sous-marque de RCA Victor. Et en 1956, RCA est associé au succès sans précédent d’un certain…Elvis Presley ! Qui aurait fait un sacré président Rock and Roll, dans une autre dimension… !
Presley for Prexy !
Le 16 août 1956, venant de Memphis, celui qu’on ne surnomme pas encore le King arrive au LAX. L’aéroport de Los Angeles. En ce mois d’août, il vient assurer son rôle dans la préproduction du film Love Me Tender. Mais en réalité, le film doit encore s’appeler The Reno Brothers.
Ce n’est que le 2 septembre que le titre est changé pour devenir Love Me Tender, suite à l’immense succès de cette chanson. Et Elvis chante dans le film, un changement par rapport au projet initial. Ce que tout le monde a oublié : les vedettes principales sont -ou sont censées être –Richard Egan et Debra Paget !
Mais depuis toujours, on considère Love Me Tender comme un film avec Elvis. Qui éclipse son monde. Et l’élection présidentielle dans tout cela ? Eh bien, il en est question sur ce calicot réclamant Elvis comme président –Presley for Prexy !
Elvis Presley à l’aéroport LAX de LA, le 16 août 1956 © DR
Elvis est alors un artiste résolument apolitique. Sans doute par absence d’intérêt personnel, la frénésie de sa vie d’idole occupant tout son temps. Et on imagine que le colonel Parker ne souhaite pas que son poulain -voire poule aux œufs d’or, si on accepte cette féminisation fictive !- se déclare en faveur du camp démocrate ou républicain…
Ce qui risque de lui aliéner les faveurs de la partie du public sympathisant du camp opposé au sien ! Les convictions d’Elvis sont sans doute républicaines. Si on en veut pour preuve la (trop) fameuse rencontre d’Elvis avec l’ex-vice-président d’Eisenhower, à savoir avec le président Nixon, le 21 décembre 1970. Elvis souhaitant aider le gouvernement à lutter contre les ravages de la drogue, et Nixon pensant naïvement que cette rencontre renforcerait son image auprès de la jeunesse !
Un film de Liza Johnson est même tiré en 2016 de ce meeting plutôt surréaliste. Elvis and Nixon, en version française Elvis & Nixon. Avec Michael Shannon dans le rôle du Presley de 1970 (qui s’en souvient ?). Mais retour encore en 1956. Un autre artiste plus âgé prend le train (rapide) en marche. Lou Monte, un de ces très nombreux chanteurs américains d’origine italienne-calabraise, bien que né Louis Scaglione à Manhattan.
Lou Monte © DR
Il débute un an avant Elvis : en 1953 et sans balayer sa carrière ici, on rappelle un titre de 1962 : Pepino, The Italian Mouse. Un succès de 1962 manifestement inspiré de l’ultracélèbre Speedy Gonzales. Pepino, The Italian Mouse, cela ne vous dit rien ? Mais je suis sûr que beaucoup parmi vous -je pense à celles et ceux qui sont jeunes depuis longtemps ! -connaissent le très fameux tube d’Henri Salvador Minnie Petite Souris, son adaptation de ce titre de Monte !
En octobre 1956, à l’approche du grand jour électoral, Monte sort le 45 tours Elvis Presley For President, avec l’orchestre et les chœurs de Joe Reisman. Et cela sur le label d’Elvis : RCA Victor, ce qui tombe bien !
Elvis Presley for President, par Lou Monte © DR
Sauf que ce disque ne se vend pas plus que celui -bien plus convaincant -des Treniers, lié à l’élection à venir… Le titre commence par les lettres du prénom magique épelées une à une : E-L-V-I-S ! Et une belle définition du jeune cador qui enflamme la jeunesse et scandalise beaucoup d’adultes : It’s The Hottest Thing That’s Cool !
Deux succès du susdit sont mentionnés : «Don’t Be Cruel et Hound Dog. Mais Reisman, arrangeur vétéran connu après avoir été un saxophoniste et clarinettiste de jazz -est un orchestrateur totalement décalé avec les sons modernes du Rock. Le disque est vraiment ce qu’on qualifie en anglais de corny -pompier, ringard (terme inexistant en 1956), tout ce que vous voulez. Pas crédible.
Une démarche purement opportuniste qui fait plouf mais un court solo de guitare qui relève un peu l’ensemble. Les musiciens de Reisman non crédités mais il est très probable qu’il soit dû à un cador de la guitare, adoré des spécialistes : Billy Mure. Une petite remarque visuelle en passant ! Il est fait mention de Hound Dog or à l’époque, les disques RCA Victor représentent un chien devant un gramophone, sur le label !
© DR
Écoutant son maître, soit La Voix de son Maître -His Master’s Voice. Au départ une peinture correspondant à une idée vraiment géniale (vers 1898) du peintre britannique Francis Barraud. Cette œuvre inspirée -oui, magnifique et qui me ramène de délicieux souvenirs d’enfance !- devient à partir de 1909 un logo utilisé par la Gramophone Company, futur géant E.M.I.
J’avoue ne pas savoir quelle transaction a permis -et quand -à RCA Victor d’arborer le même logo que le groupe industriel rival ! Barraud avait vendu ce tableau et les droits pour la somme ridicule de cent livres sterling en 1899 !
1972 Elected
On revient à Nixon, président républicain réélu en 1972, comme Eisenhower en 1956, et comme Trump aujourd’hui. Qui nous a donné l’idée de cette petite évocation ! Un succès, pour changer. Elected par Alice Cooper. Qui se vend très bien aux States, en Angleterre et même en Autriche au moment de l’élection du 7 novembre 1972 qui permet à Nixon de rester au pouvoir.
Un morceau sauvage, frénétique mais qui est basé sur le tout premier morceau de l’artiste -qui est un groupe : Reflected, paru en mai 1969 sur un petit label de Los Angeles : Straight Records. Reflected étant crédité au seul Cooper ; mais Elected au chanteur et aux quatre autres membres du groupe soit une cosignature à cinq, trois ans plus tard donc ! Reflected ne reflète pas encore le style sauvage et outrancier, voire kitsch qui ferait bientôt la gloire de l’artiste.
Du rock bien dans l’esprit encore des années soixante finissantes. Les paroles d’Elected vont dans le sens du souhait que les élections s’occupent de la jeunesse. Et pourquoi pas Cooper comme président ! On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Kids want a savior, They don’t need a fake, I wanna be elected, We’re all gonna rock to the rules that I make
Elected paraît deux fois en 45 tours aux States en 1972, chez le géant Warner Bros, d’abord en face A en septembre puis en face B d’un autre succès, plus tard dans l’année : School’s Out.
Elected, par Alice Cooper © DR
Un autre succès. Puis encore en 1973 sur l’album Billion Dollar Babies. Cooper est devenu une star. Même si son jeu de scène déjanté et extrême emprunte à certains grands excentriques qui l’ont précédé, comme le phénomène Screamin’ Jay Hawkins et Arthur Brown…
On précise encore qu’Elected a fortement inspiré un titre des Ramones de 1978. Et cela de l’aveu même de Joey Ramone : I Wanna Be Sedated (1978). Pourtant crédité aux seuls Ramones ! Je n’ai pas connaissance d’embrouilles juridiques par rapport à cette similitude artistique…
Voilà pour ce petit inventaire qui ne concerne les présidents américains que sous l’angle électoral, sous l’angle musical. Un gros article pourrait être consacré aux nombreux disques enregistrés dans la foulée de l’assassinat de JFK, par exemple mais l’élection du 5 novembre 2024 a livré son verdict et nous en resterons là.