On nous prend pour des bananes ?
Le nouveau record mondial du marché de l’art établi par la banane scotchée de Maurizio Cattelan, 6,2 millions de dollars, a justement scotché beaucoup de monde. Nous prend-t-on pour des bananes ?
L’œuvre de l‘artiste conceptuel italien Maurizio Cattelan a de nouveau défrayé la chronique après son adjudication cette semaine pour la somme de 6,2 millions de dollars américains. L’œuvre en question est une vraie banane scotchée sur un mur avec un papier collant épais et argenté. Le nom de cette œuvre est « Comedian », un nom plutôt bien choisi pour un concept rigolo.
Justin Sun, il a la banane © Wikipedia Commons
L’heureux nouveau propriétaire de la chose n’est autre que Justin Sun, le fondateur trentenaire d’une plateforme de cryptomonnaies appelée Tron. Gageons que son tronc est bien garni, surtout avec l’envol actuel des cryptomonnaies, et que la somme ne doit pas lui faire trop de mal. Amateur d’art, Justin Sun s’était déjà offert en 2021 une œuvre de Giacometti intitulée « Le Nez » pour la somme de 78,4 millions de dollars. Il est vrai que « Le Nez » est une création plus traditionnelle, bien qu’assez énigmatique. De quoi plaire au jeune milliardaire. D’ailleurs celui-ci a déclaré être prêt à manger la banane, ce qui est normal vu que c’est de l’art vivant et éphémère, et que la banane peut être remplacée, selon le créateur de l’œuvre.
« Le Nez », de Giacometti, 1947 (version 1949) © Succession Giacometti (Fondation Giacometti, Paris et ADAGP, Paris
Au-delà du fait qu’une partie importante du public est choquée par l’indigence du concept de banane scotchée, et par le prix déboursé pour cela, il est bon de rappeler que le duo Cattelan-Sun n’a rien inventé. Car si l’art contemporain est coutumier de ce genre de concept, il faut dire que c’est le marché qui fixe le prix. Et qu’est-ce que le marché de l’art ? C’est la rencontre d’une offre avec un prix. Si quelqu’un veut payer un prix pour un objet, ou un concept, rien ne l’en empêche. On peut penser que c’est de l’argent mal dépensé, mais chacun fait ce qu’il veut de ses sous. Le claquer au casino est-il plus intelligent ? Au moins dans le cas présent on peut manger la banane…
« Speziato », une œuvre qui a du piment, et qui pourrait enflammer vos papilles en attendant d’enflammer le marché © Photo Grégoire Tolstoï
Au XVIIe siècle le marché a connu la Tulipomanie, une spéculation effrénée sur les bulbes de tulipes dans les Pays-Bas de l’époque. Le prix d’un bulbe pouvait atteindre la valeur de deux maisons en pierre à Amsterdam. Folie ? Pas vraiment. C’est le marché qui fixe le prix, comme celui de la banane scotchée. La monnaie papier elle-même n’est qu’un projection de la confiance que l’on a envers l’émetteur, sinon c’est juste du papier. N’oublions pas la crise de confiance envers le mark allemand au début des années 1920, lorsque plus personne n’en voulait et que les Allemands achetaient leur pain avec une brouette de billets de banque. Gageons qu’un jour la banane de Cattelan ne vaudra pas plus qu’une banane de supermarché. En attendant Monsieur Sun se sera fait plaisir, et Monsieur Cattelan aura fait une bonne affaire.