La Chine des Tang, les contemporains de Charlemagne
Il était une fois, en Chine, une dynastie qui tenait quasiment de l’utopie. Pendant qu’au Moyen Orient commençait à se diffuser une toute nouvelle religion nommée l’Islam et que sur les rives du fleuve Tigre s’érigeait Bagdad, pendant qu’en Europe l’armée omeyyade était stoppée dans son élan par un certain Charles Martel et que l’on sacrait Empereur Pépin le bref puis Charlemagne, là-bas, la lointaine Chine connaissait trois siècles de prospérité et de paix grâce aux Tang. Au musée Guimet jusqu’au 3 mars 2025.
Les Tang, ce sont en tout vingt et un Empereur, dont Taizhong qui réforma l’impôt et améliora l’agriculture, Xuanzong qui mena les arts et les lettres à leur apogée, et même Wu Zetian (690-705), qui fut et demeura l’unique Impératrice de Chine : mais il est vrai qu’en la matière, les Français sont mal placés pour donner des leçons.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
Certes, avant les Tang, l’Empire chinois avait été unifié par les Sui (581- 618) mais c’est au fondateur de la dynastie, Gao zou, que revient l’heureuse idée d’une nouvelle monnaie de bronze uniforme pour l’ensemble du pays. Ce qui, bien entendu, améliore grandement les échanges et le commerce. A partir de là, vont émerger toute une kirielle de réformes ingénieuses telles la création d’un système de fonctionnariat par concours qui perdurera mille ans, ou bien l’élaboration d’un code pénal ( 652) qui restera la norme jusqu’au début du vingtième siècle. Ou encore, en 780, celle d’une réforme fiscale à double imposition qui durera quand même jusqu’en 1581.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
La richesse se mesure, en particulier, au nombre de chevaux : les Tang, à leur apogée, en possèdent jusqu’à 700 000. Et ces farouches destriers, ils les font, en plus, représenter en terre cuite et en pierre, pour en conserver l’image et le souvenir.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
Lorsque l’économie et le commerce s’améliorent, lorsque les frontières sont sûres et que le niveau de vie des classes populaires s’améliore, on peut faire prospérer les arts et la culture. Chang’an (actuelle Xi’an) est la riche capitale d’un pays de cinquante millions d’habitants. C’est la plus grande ville au monde : à elle seule, elle rassemble un million d’âmes. Et c’est de cette capitale que s’étendent les ramifications d’un art de vivre raffiné : on peint, on sculpte, on joue de la musique, on danse, on élabore des architectures complexes.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
En témoignent les objets du quotidien : heurtoir de porte à décor de masque animalier en bronze doré, brique à décor estampé de masque animalier en terre cuite, cuillère pour la cérémonie du thé (9e siècle argent), ensemble de vaisselle en terre cuite à glaçure trois couleurs… En témoignent les représentations picturales ou sculpturales de cet univers : dame avec oiseaux et fleurs (708 peinture murale), dame de cour (742 terre cuite peinte).
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
Et dans cet univers apaisé, la culture est fondamentale. Déjà, depuis les Han occidentaux, le confucianisme avait été érigé en modèle de modération et de méditation. Mais l’empereur Taizhong va plus loin en affirmant vouloir « gouverner le pays par la littérature », c’est-à-dire éduquer la population et la rendre plus vertueuse. Si bien que les classiques confucéens étaient obligatoires.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
Pour autant, cet enseignement ne prive pas les populations de spontanéité et d’humour. Parmi les devoirs confiés aux jeunes élèves, figurait la copie des Annotations de Zheng Xuan sur les entretiens de Confucius. Un exemple de cette copie nous est présenté sous vitrine. Elle a été réalisée par un enfant de douze ans, Bu Tianshou, qui, à la fin de son labeur, exprimait sa lassitude en rajoutant, de sa propre initiative, deux quatrains irrévérencieux : « Libérez les élèves plus tôt pour qu’ils puissent rentrer chez eux ! ». On apprend, on respecte, on réfléchit, mais pour autant on n’oublie pas de profiter de l’existence.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
L’une des caractéristiques de la société Tang est son immense tolérance. Dans le pays coexistent les trois grandes religions connues en Chine : le Confucianisme, le taoïsme et le bouddhisme. De nombreux objets de culte rituel nous sont parvenus : Bouddha assis, (7-8e siècle, pierre), Guanyin à onze visages, Rois-gardiens célestes (terre cuite à glaçure trois couleurs), Vaishravana (peinture murale), statuettes funéraires des douze animaux du zodiaque (8e siècle terre cuite). Mais davantage encore, sous le règne de l’Impératrice Wu Zetian les évangiles des chrétiens furent tolérés en Chine et l’on vit construire les premières églises.
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
Une telle prospérité et une telle ouverture d’esprit ne pouvaient qu’attiser la curiosité des voyageurs européens. Ils furent de fait nombreux à visiter ce pays en paix, comme on le découvre grâce aux statuettes représentant des étrangers. En particulier dans la tombe du dignitaire Mu Tai (660-729) : personnage étranger (730 terre cuite peinte), homme noir (idem). Les matériaux et techniques chinois s’exportent, les matériaux et techniques du monde européen parviennent jusqu’en Chine, ainsi tout ce qui concerne la céramique (aiguière à décor de perles et de chaines de montagnes, 9e siècle, grès à couverte céladon, décor brun ; verseuse à anse et bec verseur en forme de tête de dragon, 9e siècle, grès à décor d’éclaboussures vertes sur fond jaune).
© photo Alain Girodet / Musée Guimet
On était alors à l’apogée de ce système d’import-export que les dirigeants chinois actuels veulent réinstaurer : la Route de la soie.
La dynastie des Tang représente une bouffée de nostalgie, celle d’une époque heureuse et qui découvrait le monde. En ces temps-là, comme le disait Confucius : « Un gentleman compare la vertu au jade ».
Cette chronique est parue pour la première fois sur le site Science Infuse.
Au musée Guimet, 6 place d’Iena, 75116 Paris, du 20 novembre 2024 au 3 mars 2025.