Goya à Bordeaux, 200 ans déjà
À l’occasion du bicentenaire de l’arrivée de Francisco de Goya à Bordeaux, où l’artiste a passé les quatre dernières années de sa vie, le musée des Beaux-Arts de Bordeaux célèbre l’un des maîtres les plus influents de l’art occidental.
Cette présentation rassemble 20 œuvres du Cabinet d’arts graphiques du musée, dont 15 estampes de Goya, enrichies de cinq estampes de l’album Hommage à Goya d’Odilon Redon, admirateur fervent de l’artiste, et d’un portrait peint par André Brouillet en 1894 d’après l’original réalisé en 1826 par Vicente López (Madrid, musée du Prado). Cet accrochage est une mise en bouche à une exposition plus ambitieuse, qui sera consacrée au maître espagnol en 2028, à l’occasion du bicentenaire de sa mort !
Francisco de Goya, « Sébastian de Morra », d’après Vélasquez, 1778-1779 © Photo : F. Deval, mairie de Bordeaux
Les œuvres exposées sont issues du riche fonds du Cabinet d’arts graphiques du musée des Beaux-Arts, qui conserve plus de 5 000 pièces, dont 3 400 dessins, 1 600 estampes et 30 livres illustrés. Ces œuvres, sensibles à la lumière, ne peuvent être montrées que temporairement avec un éclairage adapté, ce qui donne un caractère exceptionnel à cet accrochage, rendant cette exposition exceptionnelle.
Un artiste moderne et visionnaire
Peintre, dessinateur et graveur, Francisco José de Goya y Lucientes (1746-1828) est l’un des plus célèbres et fascinants artistes de l’époque moderne. Apparu sur la scène artistique espagnole dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, il a su incarner à lui seul les richesses et les contradictions d’une Espagne qui abandonne son ancien monde dominé par l’aristocratie et l’Église au profit d’un nouvel ordre social incarné désormais par une bourgeoisie industrielle et commerçante et au sein duquel le peuple commence à faire entendre sa voix.
Francisco de Goya, « Taureaux de Bordeaux « (n° 1) – Le renommé américain Mariano Ceballos, 1825 © Photo : F. Deval, mairie de Bordeaux
La diversité de son art s’étend sur une longue carrière de soixante-six ans : né le 30 mars 1746 à Fuendetodos, près de Saragosse, Goya peint ses premières œuvres à l’âge de seize ans et travaille jusqu’à sa mort à Bordeaux en 1828.
Après un voyage en Italie et des succès de jeunesse à Saragosse, il est appelé en 1775 à se joindre, comme peintre de cartons de tapisserie, à l’équipe d’artistes dirigée par les artistes Mengs et Tiepolo, au service de la cour du roi d’Espagne Charles III, pour l’aménagement du nouveau palais à Madrid et des résidences royales autour de la capitale. Il y côtoie la haute aristocratie et d’illustres personnalités. Peintre talentueux bien qu’encore décoratif à ses débuts, Goya devient par la suite un témoin engagé des événements de son époque : son style et ses sujets d’inspiration auront ainsi constamment évolué au fil de sa vie. Considéré comme un précurseur de l’art moderne, il rompt rapidement avec la tradition de la peinture officielle par sa proximité avec le peuple qui en fait l’un des artistes les plus populaires en Espagne. On a coutume de placer le moment décisif de sa carrière autour de 1792. Cette année-là, une très grave maladie l’oblige en effet à une longue convalescence et le laisse définitivement sourd.
À quarante-six ans, Goya prend alors pleinement part aux mutations de la société espagnole qui voient le jour au tournant du siècle. Le mariage de son fils Javier en 1805 lui permet de bénéficier des réseaux d’influence d’une belle-famille active et bourgeoise. Cette dernière lui ouvre les portes des salons à la mode qui contribuent à sa notoriété et au succès de ses caricatures. Exécutées à l’aquatinte et repiquées à l’eau-forte, ces estampes satiriques sont d’une grande finesse et jouent savamment du clair-obscur.
Odilon Redon, « La fleur de marécage », une tête humaine et triste. Planche II de la série « Hommage à Goya », 1885 © Photo : F. Deval, mairie de Bordeaux
Goya reconnaît très tôt sa dette à l’égard des maîtres du passé : « J’ai eu trois maîtres : Rembrandt, Vélasquez et la nature ». Parmi eux, son compatriote Vélasquez occupe une place particulière dont témoigne la série des tableaux rassemblés au Palais royal – les portraits équestres de la famille royale entre autres – dont Goya entreprend la copie.
Par la longévité de sa vie et de sa carrière, Goya est à la fois un homme du XVIIIe et du XIXe siècle. Son œuvre novatrice et visionnaire le rattache ainsi déjà au siècle de Delacroix, de Baudelaire et de Manet, qui tous trois ont rendu hommage à son génie.
Goya à Bordeaux : une période d’exil néanmoins prolifique
C’est à l’été 1824 que Goya arrive à Bordeaux où il rejoint toute une colonie d’artistes, d’hommes politiques, d’artistes et d’écrivains espagnols, comme le poète Moratin, et de magistrats espagnols, condamnés eux aussi à l’exil politique au lendemain de la restauration de la monarchie autocratique de Ferdinand VII. Acquis aux idées des Lumières et profondément progressistes, ces « Afrancesados » gagnent alors la France, notamment Bayonne et Bordeaux, ville cosmopolite et tolérante.
Après un court séjour à Paris, Goya revient en septembre à Bordeaux, où il résidera jusqu’à sa mort en 1828. Son séjour en France n’a été interrompu qu’en 1826 par une brève escapade à Madrid : le temps d’assister à des séances de pose pour la réalisation de son Portrait officiel par Vicente López et de finaliser les papiers administratifs de sa retraite, assortie d’une rente royale.
Mariano Benlliure y gil, « Goya », 1902, place du Chapelet à Bordeaux © Photo : Wikicommons
L’artiste meurt à Bordeaux à l’âge de quatre-vingt-deux ans, le 16 avril 1828, vieux, triste et oublié. S’il ne séjourna que quatre années à Bordeaux, il n’en fut pas moins prolixe. Malgré son âge avancé et sa santé déclinante, il continue à produire des œuvres graphiques marquantes, notamment les Taureaux de Bordeaux et des dessins lithographiques témoignant de scènes urbaines locales.
On lui doit ainsi une multitude de dessins qui – au-delà de l’intérêt documentaire d’un véritable reportage urbain – témoigne de sa parfaite maîtrise, au crépuscule de sa vie, de l’art du dessin lithographique. Au sein de cette abondante production graphique, on trouve quelques œuvres réalisées à quatre mains, en collaboration avec Rosario Weiss, sa fille présumée, qui l’accompagne dans ses déambulations à travers la ville et s’initie à la lithographie à ses côtés.
Au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, jusqu’au 13 avril 2025