« Woman of the Hour » : Certaines personnes ne veulent (tout simplement) pas mourir
Alors que la plateforme de streaming Netflix regorge d’œuvres audiovisuelles sur les tueurs en série, il était étonnant que l’incroyable histoire de Rodney Alacala n’ait jamais été portée sur les écrans de manière générale. C’est maintenant chose faite avec « Woman of the Hour », et c’est plutôt réussi.
Le pitch
Basé sur l’histoire vraie de Sheryl Bradshow, jeune aspirante actrice qui galère à percer dans sa petite bourgade à Los Angeles, pensant pouvoir toucher les étoiles en habitant juste à côté des stars d’Hollywood. Son agente la pousse à participer au Dating Game sur ABC qui n’est autre qu’un Blind Date en direct. Appuyant sur le fait que Sally Field, Michael Jackson ou Arnold Schwarzenneger y ont participé (sans vraiment marquer leurs carrières respectives), Sheryl hésite longuement, puis accepte et participera donc à l’émission du 13 septembre 1978.

« Une Femme de l’Instant », 2024 © Photo Leo Gallo / Netflix
Les 3 concourants du Dating Game sont Jade, Armand et finalement Rodney Alcala. Au moment où nous assistons à la première scène du Dating Game, nous sommes à la trentième minute du film et nous savons déjà qui est Rodney Alcala. Pour les néophytes, Rodney Alcala est un tueur en série qui, lors de sa participation au Dating Game a déjà une bonne dizaine de victimes à son actif, viol et meurtre compris.
Histoire de Rodney Alcala
D’origine mexicaine, il naît à San-Antonio, Texas en 1943. Il a une enfance classique, pas de torture d’animaux, pas de violence intrafamiliale. Très proche de sa grand-mère, elle décide dans les années cinquante de retourner au Mexique pour qu’elle puisse mourir sur ses terres d’origines. C’est en 1951 que son père l’abandonne définitivement pour refaire sa vie ailleurs, ils ne se reverront jamais, et la famille Alcala s’installe à Los Angeles.
Son adolescence se passe normalement, il a plusieurs petites amies sans la moindre anicroche. Bon élève, il est même mis en avant à l’école pour ses talents de pianiste amateur et sa participation à des compétitions sportives. Sa photo se retrouve même dans les premières pages du très sélectif Year Book Commity.

Le vrai Rodney Alcala, le tueur en série au regard inquiétant © Hurlington Beach Police Department
Par patriotisme, il s’engage dans l’armée en 1961 et y reste jusqu’en 1963, année où il doit passer un test de psychologie. Le diagnostic est lourd, les psychiatres militaires sont formels, le qualifiant de pervers narcissique au comportement déviant (jugement hélas prémonitoire). Ce rapport arrive au même moment que l’annonce du décès de son père, qu’il n’avait jamais revu depuis son départ, la synchronisation de ces deux événements le perturbent au point de faire un burn-out.
C’est en 1968 qu’il commet son premier crime, il kidnappe et moleste la petite Tali Shapiro âgée de seulement huit ans, un bon samaritain le voit embarquer l’enfant, et trouvant cela suspect appel la police. Lorsqu’un agent de police sonne à la porte, Alacala se présente nu et demande de pouvoir se changer avant d’ouvrir Suivant son instinct, le policier enfonce la porte et retrouve la petite fille inconsciente sur le sol, avec de graves traces de sévices physique et sexuel. Il décide de réanimer la victime plutôt que de poursuivre Alcala qui s’enfuit et quitte Los Angeles. La petite Tali Shapiro survivra à cette attaque et sa famille déménagera définitivement au Mexique, effaçant complètement cet incident. Ce crime odieux et sa fuite, pousse la police de Los Angeles à demander au F.B.I. de le mettre dans la liste des dix hommes les plus recherchés du pays.

En 1971, Alcala est à New York sous le pseudonyme de John Berger et suit des cours de cinéma à la fameuse NYU, avec parmi ses professeurs un certain Roman Polanski. Il décroche son Bachelier en Photographie et il sera décoré du titre d’étudiant d’honneur, son côté charmeur lui vaut la sympathie de ses camarades et professeur qui lui donnent volontiers le « bon Dieu sans confession ». Sa seconde nature refait surface la même année lorsqu’il assassine une hôtesse de l’air de la Transcontinental Worldwide Air du nom de Cornelia Crilley, âgée de 23 ans. Son petit ami la retrouve étranglée dans son appartement de Manhattan, Alacala n’est pas suspecté sur le moment, le meurtre étant attribué au Fils de Sam (David Berkowitz) un autre tueur en série, ayant sévi à New York pendant les années 1970.
Pendant les vacances d’été 1971, il s’inscrit dans un camp au New Hampshire comme professeur d’art, toujours sous le pseudo de John Berger. Il a des relations romantiques et sexuelles avec la propriétaire du camp ainsi que des pensionnaires. Alors que deux adolescentes partent en ville pour déposer un colis, elles le reconnaissent sur un avis de recherche du F.B.I. présent au bureau de poste. Elle en informent l’un des encadrants du séjour qui appelle la police. Il sera embarqué par les fédéraux et extradé le soir même pour être jugé en Californie pour l’agression de la petite Tali Shapiro. Hélas, la cour fut empêché de prononcer une lourde peine en raison de l’exil de la famille Shapiro au Mexique depuis l’incident. Le tribunal lui propose de plaider coupable pour agressions sexuels et non pour agressions sur mineurs, ce qu’il accepte, il sera donc condamné à perpétuité au lieu de la peine capitale. Après seulement 34 mois de prison, un psychiatre déclare qu’il ne représente plus un danger pour la société, il est donc relâché sur parole en 1974.

David Berkowitz (Son of Sam), interprété par Oliver Cooper dans Mindhunter Saison 2. Épisode 2, David Fincher, Août 2019 © Netflix
Il récidive moins de deux mois après sa libération, est de nouveau arrêté et condamné pour avoir perverti une préadolescente de 13 ans, enregistré sous le nom de Julie J. qu’il réussit a entraîner dans sa voiture prétextant être un ami de ses parents, et lui proposant un lift vers l’école. Il la forcera à consommer de la marijuana. Il purge une peine de seulement deux ans et demi et est à nouveau relâché sur parole, mais il est définitivement inscrit sur la liste des agresseurs sexuels présents sur le territoire américain.
Alors qu’il est libéré sur parole, il est autorisé par son Officier de Parole à retourner à New York en 1977. Une fois sur place, il tue Ellen Jane Hover, 23 ans, aspirante chanteuse et fille du puissant propriétaire du Night-club Ciro’s à Hollywood. Elle était également la filleule de Sammy David Jr et de Dean Martin. Malgré le tapage médiatique autour de sa disparition (vu sa classe sociale), son corps ne sera retrouvé qu’un an plus tard et le meurtre sera encore une fois attribué au Fils de Sam comme pour celui de Cornelia Crilley,survenu huit ans plus tôt. Alcala quitta la ville une semaine après le crime d’Ellen Jane Hover pour regagner Los Angeles. Lors de son trajet vers la Côte Ouest, il assassine Christine Thornton (28 ans)dans le Wyoming, mais ne sera jamais reconnu coupable de ce meurtre fautes de preuve tangible, malgré la présence de photos de la victime trouvé au domicile d’Alcala.

Ellen Jane Hover, 23 ans, une des nombreuses victimes d’Alcala © DR
De retour à Los Angeles dans le courant de l’année 1977-1978, Rodney Alcala est engagé comme photographe pour le prestigieux Los Angeles Times, pour lequel il fait principalement des photos d’événements ou de mariages. Il profite de son statut de photographe et de son côté charismatique pour alpaguer des inconnus dans la rue pour leur tirer le portrait, leur faisant croire qu’ils et elles feront la une des journaux ou débuteront une carrière de mannequinat. Les photos retrouvées à son domicile deux ans plus tard, montrent l’extrême vulnérabilité de ces sujets (majoritairement mineurs) dans des poses lascives, voire complètement nues, dont plusieurs seraient de potentielles victimes. Les inspecteurs chargés de l’enquête se mettent d’accord sur le fait qu’il y avait visiblement consentement au début et que les personnes ayant été épargnées furent extrêmement chanceuse.
C’est lors de cette année de 1978 qu’il participera au Dating Game, ce qui lui valut par la suite le sobriquet de Dating Game Killer, parfois rebaptisé le The Killing Game. Au moment de l’enregistrement de l’émission, Alcala a déjà commis 4 meurtres, et personne dans l’équipe n’a pensé à vérifier son casier judiciaire alors qu’il participe sous son vrai nom (et non celui de John Berger) et qu’il est inscrit sur la liste des agresseurs sexuels à surveiller.
Autour du film
Le projet du film est resté dans les cartons pendants près de 7 ans, le script de Ian McDonald sobrement appelé au début Rodney & Sheryl, fut longtemps placé sur la fameuse liste noire des meilleurs projets cinématographique qui n’ont pas encore été portés à l’écran.
Il faut attendre 2021 pour que Netflix achète le film et décide de le produire, avec la quasi-inconnue Chloe Okuno à la réalisation et Anna Kendrick (Twilight, Pitch Perfect, Up in the Air, The Accoutant) comme actrice principale pour interpréter Sheryl Bradshaw. Un an plus tard, Netflix se retire du projet, le film est vendu au Festival de Cannes 2022, et Kendrick endosse le rôle de productrice, mais également réalisatrice, ce projet lui tenant particulièrement à cœur.

Anna Kendrick sur le plateau de « Une Femme de l’Instant », 2024 © Photo Leo Gallo / Netflix
Le tournage aura lieu entre octobre et décembre 2022 aux Etats-Unis et au Canada, avec des masques en raison du Covid-19. À la fin du tournage, le projet se retrouve sous les feux de la justice pour raison de droits d’auteur. Afin d’éviter tout problème, Anna Kendrick et Netflix change le nom de The Dating Game en Woman of the Hour.
Le film Une femme de l’Instant, démarre sur l’assassinat de Christine Thornton, puis suit le parcours de Sheryl Bradshaw, de ses castings infructueux, jusqu’au fameux Dating Game.
La scène d’ouverture nous présente Alcala comme quelqu’un de charismatique qui arrive à attirer ses proies dans des lieux isolés en les mettant en confiance, des personnes vulnérables qui ont envie qu’on leur dise que tout ira bien.
Choix artistiques versus réalité
Anna Kendrick prend de nombreuses libertés avec les faits, particulièrement sur le temps passé entre Rodney et Sheryl juste après avoir franchi les portes du studio de télévision.
La vraie Sheryl Bradshaw ayant complètement disparu de la vie publique et ayant timidement témoigné lors d’un documentaire consacré à Alcala en 2010, Kendrick ne pouvait donc qu’enjoliver le tout. Alcala étant donc plus proche de la réalité que la protagoniste.

Anna Kendrick et l’acteur Daniel Zovatto © Photo Leo Gallo / Netflix
Elle prend également plaisir à faire croire qu’une spectatrice a reconnu Alcala pendant l’émission alors que seul un policier fut frappé de le voir tranquillement participer à un blind date sans alias lors d’une rediffusion de l’émission dix mois plus tard, lors de la disparition de Robin Samso, une de ses nombreuses -futures- victimes. Volonté assumée par la réalisatrice, qui se concentre sur le ressenti des femmes et leurs difficultés (encore trop actuelles) à témoigner des violences physiques ou sexuelles qu’elle ont subies. Elle arrive également à dépeindre avec brio cette sensation (Ô combien vécue par les femmes) de passer de « je me sens en sécurité » à « je me sens en danger » en seulement 30 secondes.
Par respect tant pour les victimes que pour les autres membres du Dating Game, la totalité des noms des personnages ont été modifié, seuls Sheryl et Rodney gardent leur identité.

Le véritable Rodney Alcala avec Jed Mills et Armand Cerami lors du Dating Game de 1978 © Photo IMDb
Les deux autres véritables bachelors du Dating Game, l’acteur Jed Mills (apparu dans Casino et Twin Peaks) considéraient Alcala comme effrayant. L’autre bachelor Armand Cerami (apparu dans The Blues Brothers) se souvient qu’Alcala était pour le moins étrange, mais n’a pas beaucoup interagi avec lui en dehors du plateau. Dans le film, les deux bachelors sont rendus anonymes et dépeints, l’un comme un benêt, et l’autre comme un macho.
Ce qui est étrange, c’est que la modernisation de l’émission fait prononcer à Sheryl des questions féministes qui paradoxalement la poussent dans les bras d’Alcala, alors que dans la véritable émission, les questions étaient beaucoup plus sensuelles. Ce qui lorsque l’on connaît le passé d’Alcala, rend le tout particulièrement malsain, on comprend donc le choix de Kendrick de les changer.
Narration
Le Dating Game de 1978 est entrecoupé par les exactions d’Alcala, entre le meurtre deCornelia Crilley en 1971 et sa longue histoire avec Monique Hoyt (15 ans) en 1979. Depuis ce type de narration popularisé par Fincher et surtout Nolan, il est devenu monnaie courante de structurer son récit de manière « désordonnée ». C’est une habitude hollywoodienne que de déstructurer la linéarité du récit, mais comme disait le scénariste Robert McKee, les spectateurs répéterons toujours l’histoire de manière linéaire à leur entourage, sauf qu’ici, c’est difficile. Au lieu d’avoir un huis clos permanent sur l’émission, nous avons de fréquentes piqûres de rappel sur les méfais d’Alcala, l’idée de prendre le temps de le « connaître » avant sa présence au Dating Game nous fait craindre pour la sécurité de Sheryl Bradshaw. Sauf que le constant retour à sa mésaventure avec la jeune Monique Hoyt, survenu un an après l’émission, brouille les pistes.

L’affiche du film © Vertigo Entertainment
En effet, après le Dating Game, Sheryl Bradshaw refusa le magnifique voyage offert par le studio à Carmel avec Rodney Alcala, car elle le trouvait louche, mais elle se sentait très embêtée d’annuler l’offre. La production n’émettra aucune objection et ce rejet blessa fortement l’égo d’Alcala qui commis donc quatre meurtres après l’émission. Il nous est impossible de savoir si le crime commis envers Monique Hoyt a un lien quelconque avec son rejet post-Dating Game ou si Alcala continue sa prédation comme si de rien n’était.
Mais c’est une volonté particulière de la part d’Anna Kendrick, qui voulait terminer le film sur l’une des arrestations d’Alcala et donc, sur une note positive et ne pas s’étendre sur les meurtres particulièrement brutaux de Jill Barcomb (18 ans) Georgia Wixted (27 ans) Charlotte Lamb (32 ans) et surtout la regretté Robin Samsoe (12 ans) survenu pendant les deux années suivant l’émission.
Accueil critique
D’un point de vue technique, le film est parfaitement réussi même s’il est loin de devenir instantanément un classique (certains lui reprocheront ont coté trop académique). Le site de critique en ligne Rotten Tomatoes souligne l’habilité de Kendrick, le journal The Observer déclare que le film est un très bon premier film d’Anna Kendrick, pour qui c’est la première fois qu’elle porte la casquette de réalisatrice. Elle fut d’ailleurs nommée et récompensée par de nombreux festivals et cérémonies. D’un point de vue moral, ce projet était très important aux yeux d’Anna Kendrick, ayant elle-même vécu une relation abusive pendant près de sept ans.

Woman of the Hour © Vertigo Entertainment
Moralité oblige, Kendrick insuffle donc au film un point de vue féministe, que beaucoup considéreront comme anachronique, mais que certaines critique applaudiront tel qu’Alison Wilkinson du New York Times, citant la fameuse phrase de l’autrice Margaret Atwood (La Servante Écarlate) : « La plus grande peur des hommes reste que les femmes se moquent d’eux, la plus grande peur des femmes est d’être assassinée par un homme ». Cette idée plane pendant la totalité du long-métrage, Kendrick décidant de se focaliser sur les victimes plutôt que de rendre glamour le tueur en série comme l’on fait tant de projets Netflix.
Pensée pour les victimes
On ne peut qu’applaudir la volonté de la réalisatrice de respecter en tous points les familles des victimes, la quasi-totalité des recettes du film furent d’ailleurs reversées aux associations du Rape, Abuse & Incest National Network, ainsi qu’au National Center for Victims of Crime, ce qui parut normal aux yeux d’Anna Kendrick. L’acteur Daniel Zovatto qui campe le rôle d’Alcala a également tenu à rendre hommage aux familles des victimes lors de l’avant-première au Toronto International Film Festival.

L’actrice Autumn Best qui joue Amy (alias Monique Hoyt) dans les bras de la réalisatrice © Instagram de Autumn Best
Le véritable Rodney Alacla fut condamné -à plusieurs reprises- à la peine capitale, mais elle ne sera jamais appliquée. Il décédera d’une crise cardiaque à l’âge de 77 ans dans la prison d’État de Corcoran en Californie, le 24 juillet 2021. Outre les dix meurtres pour lesquels sa culpabilité est irréfutable, les inspecteurs de police estiment qu’il pourrait être impliqué dans près de 130 assassinats, de nombreux modèles pris en photo par Alacla n’ont jamais pu être identifiés.
Une femme de l’Instant, Netflix Octobre 2024, Réalisation Anna Kendrick
Bande-annonce FR :
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