Le Concours International Long-Thibaud, fondé il y a plus de 80 ans par la pianiste Marguerite Long et le violoniste Jacques Thibaud, est reconnu pour sa mission de révéler de jeunes talents musicaux exceptionnels. L’édition 2025, dédiée au piano, s’est déroulée du 25 au 30 mars à Paris, attirant des pianistes prometteurs du monde entier.​ Nous avons eu la chance d’interviewer la pianiste Hélène Mercier, membre du jury.

Illustration : la magnifique pianiste Hélène Mercier-Arnault © Wikipedia Commons

Les épreuves éliminatoires se sont tenues au Conservatoire Claude Debussy du 25 au 27 mars. Les 30 candidats – parmi ces derniers on a pu remarquer la présence de seulement six femmes et de quatre Européens – ont interprété des œuvres imposées dont notamment la Sonate en si bémol mineur n° 2 de Chopin, un Impromptu de Fauré ou un Scherzo de Prokofiev, ainsi qu’une pièce au choix d’une durée maximale de 8 minutes. En demi-finale, les pianistes ont pu présenter un programme libre de 40 minutes, incluant une étude imposée de Chopin (Op. 10 n° 2 ou Op. 25 n° 6).

© Concours International Long-Thibaud

À l’issue de cette étape, 5 pianistes – les Sud-Coréens Kim Seahyun et Lee Hyo, le Japonais Kambara Masaharu, le Chinois Ma Tiankun et le Canadien Guo Eric – ont accédé à la finale au Théâtre National de l’Opéra-Comique. Chaque finaliste a interprété un concerto choisi parmi une liste de huit, ils étaient accompagnés par l’Orchestre de la Garde Républicaine sous la direction de Bastien Stil. ​Le premier prix a été attribué au pianiste de 17 ans, Saehyun Kim, pour son interprétation forte et puissante du Concerto n° 3 de Rachmaninov. En plus de cette récompense, il sera invité à se produire lors du « Concert de Paris » le 14 juillet 2025 devant un public de 400.000 personnes.

Actuellement, Kim poursuit un double cursus, combinant un Bachelor of Arts à Harvard College et un Master of Music au New England Conservatory. ​Le troisième prix, a été décerné à Hyo Lee. Le second prix n’ayant pas été attribué, Masaharu Kambara et Ma Tiankun qui avait touché le public dans son interprétation sensible et musicale du concerto n°4 de Beethoven se sont partagé le quatrième prix. Enfin, le cinquième est revenu au pianiste de 24 ans Eric Guo.

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Le jury était présidé par Monsieur Gérard Bekerman et composé de personnalités éminentes du monde musical : Mikhail Rudy, François-René Duchâble, Tania Heidsieck, Marina Bower, Dominik Winterling, János Balazs, Pavel Gililov, Ewa Pobłocka, Marc Laforet et Hélène Mercier que nous avons eu la chance d’interviewer.

Quel est selon vous le meilleur moment du concours Long-Thibaud de cette édition 2025 ?

Hélène Mercier : Le concerto numéro trois opus trente de Rachmaninov, joué par le lauréat d’à peine 17 ans avec une maturité incroyable, a été un moment exceptionnel. Kim Saehyun a fait l’unanimité. J’ai aussi vraiment apprécié, le troisième prix, Lee Hyo qui a joué le concerto numéro trois de Prokofiev opus 26. Il avait un programme très personnel et différent mais peut-être trop moderne, moins dans la « profondeur » attendue, il a été un peu « sanctionné » pour ça mais selon moi c’était une preuve de personnalité. Je lui ai demandé pourquoi avoir choisi ce répertoire il a répondu « moi, je joue ce que j’aime » et sa professeure a ajouté qu’elle n’avait pas eu son mot à dire donc ça prouve qu’il a de la personnalité. Je pense que c’est pas mal que les pianistes évoluent aussi au niveau du choix de leurs programmes.  

© Concours International Long-Thibaud

Comment expliquer le faible nombre de candidats européens dans cette édition ?

Hélène Mercier : Ce n’est pas moi qu’il faut interroger sur ce point-là, mais il y a des cycles dans la vie artistique. Parfois, une région du monde produit plus de talents que d’autres, c’est une question d’énergie, ça montre la santé d’un pays. Il y a beaucoup de jeunes Asiatiques, cela reflète aussi l’excellence de leurs écoles. Avant, ces jeunes allaient étudier en Europe ou aux États-Unis. Maintenant, ils restent dans leur pays, où la qualité d’enseignement a énormément progressé. Après je n’ai pas toutes les cartes en main pour vous donner les réponses, je ne sais pas non plus le nombre de candidats européens qui s’étaient inscrits à la base. Je suis également contre toute forme de quotas à respecter, il faut prendre les meilleurs sans se soucier de leurs nationalités.

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Comment expliquer le choix de ne pas attribuer de deuxième prix ?

Hélène Mercier : Même moi, en tant que jurée, je ne l’ai pas compris ! J’ai entendu que c’était pour « distancer » le premier prix des autres. Mais ce n’était pas le mode de vote qu’on nous avait demandé.

Selon vous le métier de pianiste a-t-il évolué depuis ces dix dernières années et si c’est le cas va-t-il encore muer ?

Hélène Mercier : Oui, ça évolue énormément et pas seulement pour les pianistes en particulier mais pour les musiciens en général. Les jeunes musiciens actuels n’écoutent plus que de la musique classique, ils écoutent désormais aussi du jazz, de la pop, de la techno, ils sont nés avec ça. Ça se ressent dans leur manière d’aborder le répertoire. Je me pose toujours un peu la question aussi jusqu’à quel point le jeu de ces si jeunes pianistes sont personnels et non dans la copie ou la reproduction de tous les enregistrements qu’ils écoutent maintenant. Les maisons de disques jouent également un rôle important dans ce changement, dans cette transformation car elles ne demandent plus forcément d’intégrales, mais des singles, des morceaux plus courts et plus adaptés à la consommation actuelle (streaming, playlists…).

© Concours International Long-Thibaud

Le public aussi a évolué. A la Philharmonie de Paris par exemple il est extrêmement différent du public d’autrefois, il est très ouvert. C’est une ouverture établie par des plus jeunes, plus néophytes. Il applaudit entre les mouvements. Par exemple, l’autre jour j’étais à un concert de Lang Lang à la Philharmonie et c’était archi bourré. Le répertoire très classique et romantique, il a joué Kreisleriana de Robert Schumann et aussi la polonaise héroïque de Chopin et des mazurkas. Le public a applaudi entre chaque mouvement, c’était très surexcité, très chaleureux avec plutôt un jeune public. Enfin plus jeune par rapport à d’autres et qui rajeunit d’année en année on va dire, forcément c’est une bonne chose que ça évolue.

Outre la sortie d’un nouveau CD sur Debussy avec Louis Lortie, quels sont vos futurs projets ?

Hélène Mercier : Je travaille actuellement sur plusieurs enregistrements dont un disque chez Warner avec Daniel Zakojcic, où il y aura un mélange de pièces populaires (« Feuilles mortes », « Chanson d’Hélène ») et de répertoire plus exigeant, la sortie de ce disque est prévue autour du 30 janvier 2026. Je fais aussi une intégrale de l’œuvre de Bizet pour deux pianos et quatre mains, avec des transcriptions comme « L’Arlésienne » ainsi qu’effectivement un disque Debussy avec mon ami Louis Lortie. C’est le second album faisant suite à « Debussy : Piano Duets » sorti en 2022.

De droite à gauche : notre envoyé spécial Romain Janclaes, la pianiste Hélène Mercier, le pianiste Louis Lortie, la pianiste Eliane Reyes qui est aussi la mère de notre journaliste mélomane Romain Janclaes © Photo Romain Janclaes

Je vais aussi jouer avec Louis Salle Gaveau le 14 mai, nous interpréterons la Symphonie numéro de Neuf de Beethoven arrangée par Liszt. Le 25 mai à Dresde au Dresdner Musikfestspiele avec Renaud Capuçon, Pascal Moraguès et Jan Vogler où nous jouerons des œuvres de Ravel, Debussy et Messian. Je vais également donner des concerts avec Edgar Moreau, et Vladimir Spivakov dans plusieurs festivals, j’ai des tournées prévues notamment en Chine et en Arabie Saoudite. Le 12 juin je me produirai en quatre mains avec Khatia Bruniatishvili à Londres au Barbican Centre.

Le site du Concours International Long-Thibaud


Dialogue intime avec le pianiste Evgeny Kissin