Fred Jimenez : « Johnny H. et moi »
Encore des souvenirs sur le géant de la chanson et du rock à la française… ? Oui mais un vrai témoignage honnête, crédible, instructif et profondément humain, celui de Fred Jimenez !
Fred Jimenez est un bassiste genevois arrivé à Paris à la fin du siècle dernier qui commence sa carrière française au sein du groupe A.S. Dragon, comme bassiste de Bertrand Burgalat et de Jean-Louis Murat. Il compose et arrange un album du barde auvergnat disparu lui aussi… Mais un destin plus fracassant frappe à sa porte quand il se retrouve bassiste du groupe Black Minou, le groupe de Yarol Poupaud, bientôt guitariste et directeur musical d’un certain Johnny Hallyday !
Avec Johnny
Il existe deux sous-catégories de livres musicaux français dans le domaine de la musique populaire. Les souvenirs liés spécifiquement à des stars, et ceux de musiciens de haut niveau qui relatent leurs souvenirs en général, avec de nombreux et nombreuses artistes ayant fait appel à leurs services.
Le livre de Fred Jimenez se situe à l’intersection de ces deux tendances : c’est l’histoire de son expérience de musicien lancé dans les méandres -parfois même la jungle -du show-business français. Mais presque tout le récit est basé sur ses quatre années comme bassiste de Johnny Hallyday ! Donc il ne s’agit pas de son autobio complète, loin de là.

Avec Johnny © DR
Le projet naît lors d’un repas au restau avec Bertrand Burgalat. Burgalat qui incite le musicien à réunir dans un livre les souvenirs qu’il raconte depuis longtemps. Le récit est remis aux éditions du Cherche Midi fin décembre 2023 et publié le 21 mars 2024. Les histoires qu’il relatait souvent ici et là se trouvent enfin à la disposition du public et on ne peut que s’en réjouir vu la légitimité indiscutable de l’auteur. Ce qui est loin d’être le cas de tout le monde au sein de la bibliographie (trop) pléthorique de Johnny Hallyday.
Jimenez de Yarol à Johnny
Yarol Poupaud est un multi-instrumentiste qui en 2012 se voit bombardé guitariste et directeur musical de la star, rencontrée en 2006 sur le tournage du film Jean-Philippe. L’aventure commence en avril 2011 sur un coup de dés du destin de Frédéric Jimenez… Johnny devant assurer une promotion dans l’émission The X Factor, M refuse de l’accompagner et le groupe Black Minou le remplace au pied levé.
Avec Poupaud et à la basse, un Jimenez qui, à l’improviste, se trouve propulsé dans la cour non des grands mais carrément du plus grand… Puisque la star est enchantée de leur apport et garde le groupe pour des promos avant d’en faire son groupe de tournées. Jimenez fait partie des musiciens qui l’accompagnent le 3 décembre 2011 pour le concert privé au premier étage de la tour Eiffel, où Hallyday dévoile un titre disponible en téléchargement gratuit, Autoportrait.
Les places sont chères…
Bien entendu, le récit fait parfois penser au titre du livre de Long Chris, À La Cour Du Roi Johnny (éditions Filipacchi, première édition 1986). Des intrigues et pressions -pour les détails, lire le livre !-pour l’écarter, au début, au profit d’un bassiste plus prestigieux -carrément celui des Stones, Darryl Jones -font chou blanc. Jimenez est très franc.

Un anniversaire Rock and Roll le 15 juin 2013 au théâtre de Paris, avec Brian Setzer et Yarol Poupaud © DR
Il ne porte pas spécialement dans son cœur le directeur artistique qui n’a droit qu’à un nom : Lamblot (Bertrand de son prénom). On apprend que ce personnage doit faire un pré-tri parmi des centaines de chansons proposées à l’idole. Six cents (!), selon Jimenez, pour l’album L’Attente (2012)…
Le choix final revient à Johnny bien entendu mais cet immense tri en amont confère un rôle d’une importance extrême à ce collaborateur du tout premier rang. Le responsable des parties symphoniques, pour certains concerts, est le fameux Yvan Cassar, rebaptisé…Berlioz ! L’auteur rappelle à certains lecteurs et apprend à d’autres -moins bien informés -qu’il s’agit de parties pré-enregistrées. D’autres musiciens ne sont désignés, on ne sait trop pourquoi, que par leur prénom comme «Greg» (Zlap, harmoniciste) ou «Philippe»(Lanty, claviers) ou par leurs prénom et patronyme, comme feu le guitariste anglais Robin Le Mesurier.
Anecdotes en pagaille
Le livre regorge d’anecdotes en pagaille qui nous permettent de jeter un coup d’œil prolongé et joyeusement indiscret dans les coulisses de cette vie hors norme. Y compris pour l’essentiel, les spectacles. Lors de la tournée américaine de 2014, Born Rocker, l’auteur note l’influence française toujours bien présente à New Orleans. Le 13 mai, lors d’un show à la très prestigieuse House of the Blues de la Crescent City, il constate que…même les portiers sont bouleversés !

Bercy, 16 juin 2013 © Photo DR
Des souvenirs totalement inédits maintiennent l’attention en haleine, qui serpente rapidement au sein d’un récit fluide, enlevé et très agréable à lire. Notamment de nombreuses anecdotes liées aux shows eux-mêmes et toutes les interactions entre la star et le bassiste dont Johnny n’apprécie pas trop, au début, la coupe de cheveux trop Beatles : il préfère les Stones ! Et puis, des choses de la vie édifiantes…
Par exemple à la fin de la tournée américaine, au Texas -l’auteur ne précise pas si c’est Houston ou Dallas -le directeur de l’hôtel prévient qu’il ne faut pas monter dans un ascenseur si on est un homme seul, avec une dame inconnue. Certaines femmes peu scrupuleuses se faisant une spécialité d’entrer dans l’ascenseur avec un touriste isolé pour l’accuser ensuite d’agression sexuelle… Selon le directeur de l’hôtel.
Eh oui, on se pince mais je ne fais que répéter ce que l’auteur relate -en 2014, donc aucun lien avec la vague MeToo qui n’allait déferler que trois ans plus tard ! On peut être sceptique ou y croire, mais il faut avouer que lire une telle mise en garde cause un choc… Même si ce témoignage précis et inattendu n’a rien à voir avec le statut de star ni la musique de Johnny Hallyday.
Mais une autre petite histoire est, elle, révélatrice de la personnalité de Johnny et des nombreux et incessants mouvements en sens divers autour de lui. Beaucoup de flatteurs bien entendu, de gens plus ou moins intéressés, des démonstrations d’amitié et d’attachement à la sincérité variable voire parfois changeante. Jimenez apparaît lui comme quelqu’un d’intègre, de pas dupe et qui ne connaissait même que très peu Johnny et son répertoire avant d’entrer à son service.

Fred Jimenez © DR
Ce qui ne correspond pas du tout, pour lui, à un quelconque rêve de fan… On se trouve dans un véhicule que conduit son chauffeur et garde du corps de haute volée, avec Clinton et Madonna à son palmarès. Nous sommes le 8 mai 2014, Johnny vient de se produire en un lieu aussi historique et prestigieux, le Lincoln Theatre à Washington… Il n’est pas content et cela arrive également à d’autres moments de cette tournée américaine qui ne semble pas vraiment conforme à ses rêves.
Le chauffeur-garde du corps arrête la voiture et…passe un savon à son employeur ! En lui reprochant de se plaindre depuis une heure, de mal parler à son équipe etc. ! Voilà une situation pour le moins inhabituelle pour quelqu’un qui attire beaucoup plus de déférence, de respect voire de servilité et de crainte qu’autre chose, mis à part les vrais amis de très longue date.
Un vrai coup de poker… Gagné ! La parole vraie triomphe des artifices du show business et de la comédie sociale particulièrement obséquieuse lorsque ceux qui sont au centre de l’attention sont comme un soleil autour duquel des petites planètes tournoient sans arrêt… Puisque le lendemain, Johnny se pointe aux balances, tout souriant et avec un mot gentil pour chacun ! Cela grâce à un collaborateur occasionnel à la forte personnalité, qui ne se laisse pas impressionner et Johnny l’a apprécié.
Jamais seul
Une autre très grande année, 2012 et la tournée au titre qui en deux mots résume totalement la vie d’homme et d’artiste de notre légende… Jamais seul, en effet. Pour le meilleur et parfois pour le pire, mais jamais longtemps dans ce dernier cas. Une année marquante notamment avec les trois mégashows au Stade de France dont celui du 15 juin, pour les soixante-neuf ans de l’ex-idole des jeunes devenu le Patron ou (bof… !) le Taulier…
Jimenez se souvient de soixante mille personnes au Stade de France ! Lors de cette tournée 2012, un moment fort est le duo sur Fils de Personne, l’adaptation de Fortunate Son du Creedence Clearwater Revival, écrite par un des deux ou trois plus grands auteurs de Johnny : le très regretté Philippe Labro. Avec parfois Poupaud assurant ce duo, parfois Bertignac. Soixante mille personnes, le record absolu pour cette tournée ?

Johnny H. et moi © Editions du Cherche Midi
Eh bien non…nonante mille (quatre-vingt-dix mille pour nos amis français !) le 10 juillet 2012, aux Plaines d’Abraham de Québec au Festival d’été ! Johnny, une star pas du tout seulement franco-française, contrairement à un cliché bien trop répandu… Mais après ce sommet, une cata trois jours plus tard. Tout le monde se souvient du désespoir de Johnny et de son producteur de l’époque Jean-Claude Camus, le 4 septembre 1998. Lorsque des trombes d’eau entraînèrent l’annulation du show gigantesque qui devait se tenir au Stade de France… Mais il fut simplement postposé au 11 septembre.
On se souvient beaucoup moins du même immense coup du sort survenu au Mans le 13 juillet 2012 : annulation pour les mêmes raisons, des intempéries tellement fortes que le spectacle n’a pu avoir lieu ! D’autres souvenirs de l’an de grâce 2012 captivent le lecteur, notamment en des endroits vraiment peu habitués à accueillir la méga star française : comme Moscou (et ses conditions techniques antédiluviennes !) et Tel- Aviv.
Jimenez révèle que pour être bien sur scène, il s’agit de se mettre dans un état très particulier, fait d’abandon, de lâcher-prise intégral en se sentant porté. La magie de l’art, de la musique, de la représentation… Et quelle grande année également, 2013 avec notamment les trois concerts au Palais Omnisports de Bercy, les 14, 15 et 16 juin et ce fabuleux anniversaire puisque le 15, après Bercy, des privilégiés ont droit à un anniversaire de pur Rock and Roll au théâtre de Paris avec Brian Setzer. Du bonheur à l’état pur, du vrai Rock and Roll sans fioritures !
Épilogue
On l’aura compris, cette critique ne présente qu’une infime partie de tous ces souvenirs si intéressants et attachants. Livrés avec un angle de vue très personnel et particulier. On peut encore savourer les explications de notre bassiste sur les dynamiques entre Johnny et les musiciens et bien sûr le public. L’intérêt soudain de la star pour…la contrebasse dont il souhaite même, à un moment, apprendre à jouer avec Jimenez comme professeur !

Johnny H. et moi © Editions du Cherche Midi
Frédéric Jimenez a la joie d’apprendre en septembre 2014 que sa femme est enceinte. Ce qui correspond au plus cher désir du couple. Il veut annoncer son départ mais les carottes sont cuites car Johnny renouvelle régulièrement son entourage musical… Dont tous les Américains remerciés, en gardant l’Anglais Le Mesurier. Cependant Jimenez assure encore quelques promos de l’album Rester Vivant en décembre 2014 avant que l’aventure se termine définitivement. Sans aucune amertume, sans sentiment d’injustice.
Aujourd’hui un autre Jimenez est lié à la perpétuation de l’œuvre et de la légende de Johnny : le cinéaste Cédric Jimenez, censé réaliser le seul biopic de Johnny qui passe la rampe après d’autres projets désormais abandonnés. Cela devrait arriver sur les écrans en 2027 pour les dix ans de la mort de la superstar mais c’est une toute autre histoire. Frédéric Jimenez tire un bilan totalement positif de ses quatre années avec Johnny. Qui lui apportèrent des rencontres avec de belles personnes et d’autres un peu moins reluisantes.
Une histoire de malaise de Johnny dans un restaurant avec de nombreuses huiles de son entourage professionnel -dont plusieurs se sont pointées sans attendre la moindre invitation ! -est édifiante. Quant aux réactions de ces personnes face à l’artiste qui semble passer un très mauvais moment avant de se remettre… Alors que certains masques viennent de tomber devant le regard perçant de Jimenez.
L’image qu’il donne de Johnny est très originale et fait sourire et réfléchir… Il pense à Johnny comme à «un carrosse rempli d’or filant à toute allure et perdant des pièces en chemin» ! Vraiment bien vu et ce sera le mot de la fin… Concernant une authentique légende qui, en dépit des époques et des modes radicalement différentes, survivra et restera à l’épreuve du temps.
Fred Jimenez , Johnny H. et moi, Éditions du Cherche Midi 2024, 154 pages.
Johnny, d’où viens-tu vraiment ?