Raymond Moretti, l’homme qui peint (chroniques azuréennes 2)
A elle seule, la signature de Raymond Moretti était une œuvre d’art : les lettres, souvent de couleur vive, s’y élançaient au ciel avec une élégance de cygnes fiers, composant une façon de feu d’artifice de caractères typographiques, un peu à la façon de cette « envolée de guitares » qu’il avait conçue pour le Django d’or, trophée destiné depuis 1992 aux meilleurs musiciens de jazz de l’année.
L’existence tout entière de Raymond Moretti était placée sous ce signe majeur de l’élévation. Issu d’une famille d’immigrés italiens aux lointaines racines juives, Raymond connaît les difficultés de l’intégration et de la gêne financière. Son apprentissage de la boulangerie, à l’âge de treize ans, lui apprend l’importance du labeur et les nuits sans sommeil. Comme il a, en parallèle, suivi des cours de dessin et de peinture, il s’exerce en secret et avec ardeur : Raymond Moretti n’a pas encore seize ans lorsque, dans un coin de la cuisine familiale, sur un drap de lit en coton grand teint dérobé à sa mère, il peint un « Moïse brisant les tables de la loi ». Seize ans : la peinture, le travail obstiné et la judaïté ! L’œuvre va lui valoir son premier contrat d’artiste et un riche collectionneur en fera l’acquisition pour l’exposer dans le musée de l’Université de Jérusalem.

Le zélote, de la série Massada, 1982 © Espace culturel départemental Lympia / Frédéric Joncour / Adagp, Paris, 2025
Moretti est, de l’avis général, des plus doués. Une Marine de 1948 atteste de la rigueur déliée du trait d’encre ; une gouache sur papier de 1961, Nice 1, témoigne de l’émouvante efficacité de son emploi de la couleur : la baie des Anges, la promenade des Anglais et la luminosité du ciel azuréen traduits par deux courbes vertes et noires sur un fond bleu intense.
En 1962, le voilà qui peint à quatre mains, avec Jean Cocteau, la grande toile intitulée L’âge du verseau : durant plusieurs semaines, au cours de longues séances d’improvisation picturale sur le modèle de ces jam sessions qu’adorent autant Moretti que Cocteau, le jeune homme de trente-et-un ans et le vieil artiste de soixante-treize ans composent un éblouissement visuel. Tandis que deux diagonales fractionnent l’espace, les visages, masques et silhouettes explosent de couleur et d’inventivité.

Jean Cocteau et Raymond Moretti, L’Âge du Verseau, 1963 © Adagp / Comité Cocteau, Paris, 2025 / photo Marc Lapolla
Et, sa vie durant d’ailleurs, Moretti démontrera qu’il avait retenu la grande leçon de Cocteau : savoir, à l’aide d’un simple trait, créer l’ombre et la lumière (Jument et poulain 1960, Portrait 1960).
Les projets s’enchaînent, dont un bon nombre sont liés, chez l’artiste, à la découverte et l’exploration de sa judaïté : l’illustration de la Haggadah (1979) qui lui vaut l’admiration du Grand Rabbin d’Israël, l’exposition Massada (1982) consacrée aux derniers résistants juif opposés à Rome, la création de la « Yona » à l’occasion du jumelage entre la Grande Synagogue de la Victoire et la Grande Synagogue Hekhai-Schlomo de Jérusalem, le mémorial Rashi en 1990…

Etudes préparatoires, tapis de l’hôtel Le Negresco, 1999 © Espace culturel départemental Lympia / Frédéric Joncour / Adagp, Paris, 2025
Le peintre, sculpteur, graveur et architecte Raymond Moretti eut sans doute le tort de passer, un temps, pour l’artiste officiel de la Vème République française (timbres, billet de banque, médailles commémoratives, événements médiatiques, etc.). D’où le relatif oubli dans lequel il a pu tomber depuis.
Mais aujourd’hui, avec le recul des années, il est opportun de rendre à Moretti un véritable hommage posthume. A l’image de sa signature, son œuvre s’élevait et s’hypertrophiait : telle cette sculpture monumentale, intitulée Le Monstre par Joseph Kessel, qui naquit en 1965 dans l’un des studios désaffectés de la Victorine à Nice, grossit jusqu’à devoir être déménagé en 1971 sous le pavillon Baltard numéro 6 des Halles de Paris, et, de nos jours, continuer à hanter les entrailles du quartier de la Défense dans les Hauts de Seine.
Le Monstre : trente mètres de long, sept de large et un poids de vingt tonnes. Le Monstre, sans aucun doute, c’était lui : Raymond Moretti.
« Berthe Morisot à Nice, escales impressionnistes » au Musée des Beaux-Arts