Les Cinq Diables, l’odeur des souvenirs enfuis
Retour sur le nouveau film de Léa Mysius interprété par Adèle Exarchopoulos et la jeune Sally Dramé : Les Cinq Diables.
Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de l’édition 2022 du festival de Cannes, Les Cinq Diables est le deuxième film de Léa Mysius, qui succède à Ava, paru dans les salles obscures en 2017. En parallèle de sa casquette de réalisatrice, Mysius officie également comme scénariste, collaborant avec des grands noms du cinéma français, tels qu’Arnaud Desplechin (Les Fantômes d’Ismaël et Roubaix, une lumière) ou encore André Téchiné avec L’Adieu à la nuit et récemment, Les Olympiades de Jacques Audiard.
Tourné en 35 mm, Les Cinq Diables, nous emmène dans la vallée de l’Oisans, où les chaînes de montagnes des Alpes encerclent un lac, où croupissent de l’eau glacée et des souvenirs mal enfuis. C’est dans ce village de province à la mentalité arriérée que Joanne- jouée par Adèle Exarchopoulos– semble coincée. Sa fille, Vicky -jouée par la touchante Sally Dramé– est un génie olfactif. Elle reconnaît toutes les odeurs, qu’elle compartimente dans des bocaux, étiquetés avec application. Une taxinomiste du sentir.
Un rituel lie les deux femmes : après avoir tartiné sa mère d’un gel réchauffant, celle-ci chronomètre son bain au sein du lac à l’eau noire. Avec un maximum établi à vingt minutes, sous peine de risquer l’hydrocution. Une routine que vient briser la sœur du mari de Joanne, ramenant avec elle un paquet de non-dits, à demi refoulés, qui viennent percer la surface, comme des bulles d’air qui s’agitent dans de la vase. Le paysage doux et monotone se morcèle en fractures temporelles, que le don surnaturel de Vicky vient intensifier.
La caméra de Mysius tourne lentement autour d’un secret, les relations entre les personnages grincent : on est implanté dans les sentiers de l’angoisse plus que dans ceux du drame. La dimension surnaturelle est légère, s’immisce naturellement à l’intérieur du récit, sans pour autant le précipiter dans un univers parallèle.
Le directeur de la photographie, Paul Guilhaume est également crédité comme scénariste. Cette double casquette est intéressante par les questions entre le texte et l’image, celui-ci indiquait chez AFC : « Quand on s’aperçoit que quelque chose ne va pas dans une séquence, ou même à l’image, c’est très souvent lié au scénario. » Ce décloisonnement des métiers du septième art, dans une tradition toute française, et on pense ici à Jean Renoir, qui pouvait presque endosser tous les postes sur un même film, offre une vraie plus-value à l’image et au récit, qui se retrouvent ici parfaitement unifiés.
Les Cinq Diables poursuit l’éclosion d’un nouveau cinéma de genre, féministe et queer, éloigné de toute forme d’explicitation critique et morale -qui par ailleurs est également tout à fait légitime -, nouvelle narrativité qui amène le débat sur le plan esthétique pour défendre, par le sensible, des idées politiques, c’est-à-dire une nouvelle sensibilité commune.