Dernier long-métrage de Nabil Ben Yadir, Animals retrace le dernier jour de Brahim (Soufiane Chilah), un jeune homme de 30 ans qui sera victime d’un meurtre homophobe. La finalité de Brahim, nous la connaissons avant même de commencer le film puisque son histoire est inspirée d’un fait réel qui a fortement marqué les esprits belges en 2012 : le meurtre d’Ihsane Jarfi, premier meurtre homophobe reconnu juridiquement en Belgique.

Un film en trois parties

Lorsque l’écran nous présente pour la première fois Brahim, une ambiance angoissante s’installe tout de suite. Brahim est stressé, il essaie de joindre quelqu’un par téléphone, en vain. Une fois que nos yeux et la caméra se posent sur lui, il ne quitte plus notre champ de vision durant les deux premières parties du film.

Suivi de près, nous en apprenons plus sur ce personnage principal. Aujourd’hui, Brahim et toute sa famille fêtent l’anniversaire de sa mère dont il semble très proche. Ses parents sont aimants, pleins de bonnes intentions, mais ils ignorent finalement qui est véritablement leur fils. Ils ne savent pas que Brahim est homosexuel et que celui qu’il compte leur présenter comme son ami Thomas est en vérité son compagnon de cinq ans. Pour l’instant, seul son frère est au courant, mais il empêche Thomas d’assister à la fête et de rejoindre Brahim.

Une scène de confrontation entre les deux frères marque alors le début des violences pour Brahim, dans ce cas-ci surtout psychologique : Brahim ne pourra jamais vivre son amour au grand jour. Son frère lui demande de se taire, au nom de leur famille et surtout de leur religion, l’Islam. Les mots échangés sont durs, mais rien ne nous prépare à la violence qui va suivre.

©Cinéart

Brisé par les mot de son frère, Brahim quitte la fête et part à la recherche de Thomas qu’il pense trouver dans un bar en ville. En aidant une jeune femme à se débarrasser de quatre hommes dans une voiture, Brahim se retrouve à les guider vers un meilleur endroit pour fêter l’anniversaire de l’un d’eux. La malveillance des quatre nouveaux personnages se ressent dès le début de leur échange et la violence verbale se transforme vite en physique. Commence alors l’enfer. Brahim sera battu, torturé pendant des heures, puis abandonné dans sa lente agonie.

Dans la troisième et dernière partie, Nabil Ben Yadir nous fait suivre l’un des meurtriers dans sa journée post-meurtre.

La violence, du réel à la fiction

Animals est un film brutal. Il m’a retourné l’estomac comme aucun autre n’a encore pu le faire, et ce pendant encore des heures après la séance. La violence nous est présentée frontalement, presque en temps réel. Nous sommes en présence d’une caméra qui ne cache rien, ne se détourne pas et ne nous préserve pas. En connaissant les faits, on pense savoir à quoi s’attendre, on pense être préparés à la violence, mais je doute que quiconque le soit réellement. On dit souvent que la réalité dépasse la fiction, ici la fiction se hisse au plus proche de la réalité, même si les images insoutenables d’Animals sont certainement une fraction de ce que le jeune Ihsane Jarfi et d’autres ont vécu.

©Cinéart – Soufiane Chilah dans le rôle de Brahim

Des formats d’image anxiogènes

La première partie du film est tournée en caméra épaule et suit Brahim de très près dans de longs plans séquence, nous sommes proches de lui, dans son intimité, dans ses pensées et ses questionnements. Le format 4/3 véhicule une ambiance extrêmement angoissante et claustrophobe : Brahim est prisonnier de son secret autant qu’il l’est du cadre, il étouffe, tente de fuir mais n’y parvient pas.

Puis brusquement, alors que l’on pensait le format d’image déjà assez immersif, il change au moment de la lente mise à mort. Les meurtriers filment leur scène de torture et nous assistons à ces images en direct, avec très peu d’ellipses. Nous sommes amenés encore un pas plus proches de la réalité. Il s’agit là d’un véritable choix de réalisation dans lequel le réalisateur lui-même ne filme plus, mais passe la main aux acteurs et un téléphone.

De la nécessité du film

Animals pose évidemment de nombreuses questions : Comment représenter la violence au cinéma ? La violence a-t-elle besoin d’être si explicite ? Mais alors comment faire pour ne pas minimiser les faits réels ? Comment ne pas tomber dans un voyeurisme spectaculaire ? On peut alors se demander si ce film est nécessaire, si la pure violence qu’il contient est vraiment utile et aura l’impact nécessaire. Ce que Nabil Ben Yadir a voulu faire, c’est ouvrir un questionnement sur la nature humaine et la société et comment cette dernière peut créer de tels monstres, encore aujourd’hui. Avec Animals, le parti pris est de ne pas contourner la violence, la seule manière pour lui d’entièrement représenter cette nuit d’horreur était dans la frontalité. Selon lui, c’était la seule manière de remettre l’histoire d’Ihsane Jarfi au centre des questionnements sociétaux. (Entrez sans frapper, 09/03/22, La Première)

Animals est un film à voir, à condition d’être préparé. Il faut être prêt à se confronter à des images réellement dérangeantes et très difficiles à encaisser. Des semaines plus tard vous y repenserez encore. Très souvent.