Le hasard me conduit un soir de juin dans l’arrière-cour d’une auberge landaise où je viens parfois profiter de l’air frais sous la tonnelle. Des bancs, des chaises et des coussins attendent les spectateurs face à une scène réduite à son plus strict minimum : quelques chaises, une table basse et une pile de revues. L’ambiance est festive, les villageois se connaissent et trinquent à la saison qui commence. Un homme s’agite, un téléphone à la main, incitant son interlocuteur à se dépêcher car la représentation va commencer… Je l’ignore encore mais je viens de rencontrer Alec Somoza, auteur, metteur en scène et comédien de son propre spectacle : Après moi le déluge et je ne vais pas le regretter !

Un spectacle autobiographique

Pour changer le monde, il faut susciter chez les gens le désir et la volonté de créer un autre monde. Sans quoi aucun changement n’est sérieusement envisageable. Heureusement, les germes de ce nouveau monde existent déjà tout autour de nous.

M Benasayag, Résister c’est créer.

Quelques jours plus tard, je retrouve Alec sur la terrasse de l’auberge complètement vide et pour cause, c’est jour de fermeture ! Pas grave, l’artiste descend de son vélo, sourire aux lèvres et chemise fleurie pour répondre à mes questions, on se passera du petit crème.

Alec sur scène avec son improbable pull rayé noir et jaune (il me confie l’avoir trouvé sur un trottoir parisien), celui qui patiente dans la salle d’attente de Monsieur Assahi, guide spirituel de son état, c’est aussi Alec pédalant joyeusement et maintenant assis en face de moi. Comme son personnage, il a été animateur socio-culturel dans la solidarité et le développement durable et comme lui, il a rêvé de changer le monde.

Il est donc passé de l’animation à la scène après deux années d’apprentissage à l’école de clowns « Le Samovar » à Paris et inspiré par Franck Lepage dont il a suivi un atelier de « conférence gesticulée »*, il écrit Colibri sur lit de prophéties, une recette pour changer le monde qui deviendra « Après moi le déluge. Tribulations d’un utopiste ». De la conférence gesticulée au seul-en-scène théâtral, il n’y avait qu’un pas, qu’il a cependant mis quelques années à franchir. Il passe d’un entre-soi militant associatif et altermondialiste à un public plus varié, moins impliqué peut-être mais au-devant duquel il va avec bonheur depuis déjà sept ans. 

*« C’est un outil d’éducation populaire d’un genre comico-pédagogique. Elle cherche à articuler savoirs profanes et savoirs savants, utiles pour l’action collective. Elle défend le besoin de transmission et de confrontation entre ces deux registres de savoirs avec une dimension historique et une place pour les émotions. »

Un spectacle engagé ?

Face à cette prise de conscience grandissante des classes moyennes mondiales et de certain es des classes populaires, l’oligarchie prend peur et cherche à réduire le champ démocratique. Il se peut qu’une partie d’elle-même, tout du moins, veuille même nous conduire au désastre économique, social et écologique… 

Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète.

Sept ans qu’il évoque les différents modèles qui ont jalonné l’ adolescence et la vie de jeune adulte de son Candide, qu’il fait vivre sur scène ses mentors successifs, de Bob Marley à Miguel Benasayag en passant par Hervé Kempf. Il les fait converser (le philosophe-psy et le journaliste-écrivain ont tous deux volontiers accepté que des extraits de leurs textes soient utilisés même si leurs propos sont rapportés avec la distance et l’ironie nécessaires pour laisser le spectateur se forger son propre point de vue), il analyse leurs discours respectifs et nous met face aux incohérences de notre système et de ceux qui nous gouvernent. Auto-dérision et facéties clownesques se conjuguent pour provoquer sourires et rires mais aussi prises de conscience et même petits moments d’émotion.

Et le spectacle n’a malheureusement pas pris une ride, les préoccupations environnementales d’Alec ont acquis de plus en plus de résonance au fil des années et de l’aggravation de l’état de notre planète. Ses réflexions socio-éco-politiques sont plus que jamais d’actualité et Alec continue de planter ses petites graines dans les festivals de théâtre, dans ses rencontres avec les lycéens et dans les arrière-cour des bistrots qui l’accueillent. 

« M’sieur, vous y croyez vraiment à votre truc du développement durable, vous pensez sérieusement que signer des pétitions sur internet et tirer la chasse tous les quatre pipis ça va être suffisant pour changer le monde ? »

Mais Alec n’est pas un donneur de leçons, il assume les paradoxes que nous partageons tous, notre désir de préserver les beautés de la terre – mère et nos envies de l’explorer, notre tri sélectif fièrement revendiqué et nos voyages en avion mal assumés. Parfois découragé, il suffit d’un merci lancé par un jeune futur agriculteur convaincu à la fin du spectacle de vouloir travailler autrement pour raviver les espoirs de l’utopiste au pull rayé. Et c’est la force de son spectacle, mettre le doigt sur nos faiblesses et nos comportements dangereux sans nous faire la morale et sans nous culpabiliser ; chacun se reconnaîtra à un moment ou à un autre et chacun se promettra peut-être de changer quelques petites choses chez lui avant de vouloir changer le monde.

Les tribulations d’Alec  

Changer le monde
Changer les choses
Avec des bouquets de roses
Changer les femmes
Changer les hommes
Avec des géraniums

Laurent Voulzy, Le pouvoir des fleurs.

Alec a créé la compagnie : « La cie Avec des géraniums », nom issu d’une chanson d’un autre utopiste, doux rêveur aux accents mélancoliques et produit en 2016 Après moi le déluge dont je viens de vous parler et que je vous invite à découvrir cet été si votre route croise la sienne notamment du 23 au 26 août au Festival international de Rue à Aurillac (programmation en lien dans le bas de l’article). « De l’humour mais sérieux » comme il qualifie lui-même le ton de sa performance qui vous emmènera dans une quête hilarante même si elle peut sembler ardue !

Il élabore un autre seul-en-scène quelque temps plus tard : Foulowers, l’histoire d’ un marionnettiste dont les marionnettes se rebellent, refusant de jouer une saynète romantique véhiculant tous les poncifs misogynes habituels. Le plus urgent est en effet de sauver l’humanité car si les hommes disparaissent, qui pourra continuer à les manipuler ? Elles convainquent leur créateur de mener campagne pour la présidence avec la complicité du public… Mais quel genre de présidence ?

On retrouve dans ce deuxième spectacle en cours de remaniement les thématiques sociétales chères à Alec et on attend avec impatience ses prochains écrits.

J’ai adoré son spectacle et les deux heures que j’ai ensuite passées avec lui pour pouvoir vous le présenter ont conforté mon sentiment que ce drôle de bonhomme à la robe de guêpe (il préfère l’image de « l’abeille qui butine ici et là, cherchant à changer le monde ») pourrait bien faire parler de lui dans les années à venir !

Agenda 2023 de La Compagnie avec des géraniums.