À la fois scénariste et cinéaste, Kenneth Branagh signe avec Belfast une œuvre personnelle. Aussi bien aux Oscars qu’aux Golden Globes 2022, il reçoit le prix du Meilleur scénario original en plus d’être nominé dans six catégories. À travers ce film, il se remémore son enfance à Belfast, alors en plein conflit nord-irlandais à la fin des années 1960.

Buddy, 9 ans, voit sa vie basculer quand des émeutes entre catholiques et protestants éclatent dans sa rue. L’armée est alors obligée d’intervenir. Au milieu de ce chaos, l’enfant est témoin de tensions familiales, tombe amoureux à l’école et se détend au cinéma. Déjà bousculé, Buddy découvre que son père souhaite déménager en Angleterre, où il travaille, pour mettre sa famille à l’abri. Mais sa vie, c’est Belfast.

Un noir et blanc évocateur

Le noir et blanc rend immédiatement un film esthétique : les détails, les contrastes et les formes s’accentuent. C’est également un choix de cinéaste pour évoquer le passé, ou plutôt ses souvenirs dans ce cas-ci. Mais Kenneth Branagh ne s’arrête pas à ces deux caractéristiques propres au noir et blanc et joue avec la colorimétrie de son film.

Le film s’ouvre sur une vue moderne de Belfast. Tout est en couleur. On se balade au rythme calme et apaisant de la caméra qui nous présente la ville sous différentes facettes. Elle arrive dans un quartier ouvrier, où elle fixe une fresque dépeignant des hommes avec une mine grave. La caméra franchit ce mur. La couleur disparait et rapidement, les émeutes éclatent. Était-ce annonciateur ? Le noir et blanc marque la dureté des événements qui s’inscrivent dans le récit. On va le voir, Buddy en souffre.

Quelques exceptions viennent interrompre ce noir et blanc constant. Quand la couleur réapparaît, la joie de vivre se manifeste. Les couleurs reviennent parfois quand Buddy se retrouve devant sa télé, au cinéma ou au théâtre. Elles se limitent uniquement à l’œuvre visionnée, le monde restant plongé dans le noir et le blanc. Mais elles vont jusqu’à se refléter sur les lunettes de la grand-mère, elle aussi spectatrice. En plus d’être un effet de style intéressant, cela marque surtout une chose : Buddy a trouvé un échappatoire et peut, un instant, laisser ses problèmes de côté.

Un choix musical murement réfléchi

La bande-son est au cœur du projet de Kenneth Branagh. Pour rendre son récit plus authentique, il a travaillé avec Van Morrison, un chanteur né à Belfast en 1945 et qui y est écouté en 1969.

Van Morison nous plonge dans les souvenirs du réalisateur. Les paroles de la musique Down to Joy, qui lance d’ailleurs le film, nous le confirment « J’ai fait une sorte de rêve … Je me sentais si bien … ». Sa musique libère nos émotions, et reflète celles du cinéaste. Dans des moments parfois difficiles et dans la culture nord-irlandaise, elle se veut réconfortante.

 Il y a une exception. À la toute fin du film, le père de Buddy chante la chanson Everlasting Love du groupe de rock anglais Love Affair. Il chante son amour à sa femme, et augure également le déménagement en Angleterre de sa famille.

Si la musique va de pair avec des moments de joie, le silence marque des phases bien plus dures et rend le récit davantage réaliste. Dans Belfast, il prend une place considérable et appuie des moments tragiques. Après avoir été en pleine euphorie, nous, spectateurs, nous nous taisons devant la violence des combats de rue.

Kenneth Branagh réussit ainsi à ponctuer des moments de détresse avec des bonheurs simples de la vie quotidienne, le tout mis en valeur par la bande-son.

Des vitres qui en disent beaucoup

L’esthétique du film est bien travaillée. Les plans sont fluides, les images construites et le jeu d’acteur rend l’histoire immersive. On se laisse porter par le récit.

Un élément qui m’a sauté au yeux tout le long du film est la place de la vitre. Elles peuvent être brisées lors des émeutes, violemment, laissant s’engouffrer la peur au sein d’une famille. Elles peuvent marquer une séparation. Quand le père s’installe dans le bus pour partir travailler en Angleterre, il pose sa main contre la vitre en direction de sa famille. Une fois que la grand-mère comprend qu’elle finira sa vie seule, elle pose sa tête contre le verre dépoli de sa porte. On peut entendre des secrets derrière la fenêtre, comme lorsque Buddy épie d’une oreille attentive ses parents et découvre qu’ils veulent déménager. Bien sûr, on peut être en quête de plus de liberté derrière une vitre, comme lorsque Buddy rêvasse derrière son bureau à l’école et observe le vent dans les arbres.

Ce motif autour de la vitre est d’autant plus réussi qu’il permet de symboliser la quête identitaire vécue par Buddy au sein d’une guerre civile.

Buddy, un témoin de l’Histoire

Buddy porte un regard innocent sur les événements tragiques qu’il traverse. Tellement innocent qu’il tombe amoureux d’une jeune catholique, un détail que l’on apprend par hasard à la toute fin du récit.

Ce n’est pas pour autant que ces événements ne l’affectent pas. Il ne sait plus qui il doit être. Un bon catholique, un bon protestant, un bon fils ? Comment savoir ce qui est juste ? S’en suit une quête identitaire. Si le montage, les plans et la bande-son soutiennent ce questionnement intérieur, l’humour est également crucial dans de pareilles situations. Au moins pour nous, spectateurs, qui avons besoin de respirer. Heureusement, le récit n’en manque pas.

La place de l’Histoire reste subtile. Elle est en arrière-plan. Des archives radios ou de journaux télévisés viennent consolider l’authenticité du récit. Belfast est un travail de mémoire. Kenneth Branagh ne veut pas donner un cours d’Histoire, mais préfère mettre en avant son ressenti personnel. Il sensibilise avec justesse sur la dureté d’un conflit qui a bouleversé de nombreuses vies, comme celle du jeune Buddy.

Pour conclure, la performance des acteurs mérite d’être salué, en particulier celle de Jude Hill, interprétant Buddy. Belfast est un film complet, je ne peux que vous inviter à le visionner.