Bill Viola au cœur du contemporain
Les affiches tape-à-l’oeil qui jonchent Liège et ses alentours ne tarissent pas d’éloge sur l’exposition de l’artiste américain Bill Viola. Le « Sculpteur du Temps », Viola et Michel-Ange,
« Pionnier de l’art contemporain »… Vous l’aurez compris, tout est fait pour que le curieux moyen se rende à La Boverie contempler les étrangetés issues de la matière grise de ce rêveur d’outre- Atlantique.
Commençons par parler des lieux : La Boverie, ce musée où la Jet Set de l’art contemporain liégeois se donne fréquemment rendez-vous, un bâtiment aux aspects classiques et à l’intérieur résolument moderne. Des galeries immenses, d’une hauteur de dix mètres sous plafond, aux murs d’une blancheur irréprochable. Un canvas, en somme, pour les projections étranges qui donnent aux lieux un air de rêve éveillé.
La première rencontre avec l’Art Vidéo a de quoi surprendre. Ce courant, apparu courant 1950-1970, tourne autour de l’emploi de sons et de vidéos dans le contexte artistique. Il est difficile de définir mieux cette veine étrange de l’art contemporain tant elle a connu d’approches et de projets, expérimentaux pour beaucoup. Viola, pour sa part, a adopté une démarche basée sur la contemplation et l’animation de portraits. Trônant dans le noir tels des fenêtres sur un autre monde, les métrages exposés attirent le regard grâce à leur scénographie toute particulière et leurs dimensions variées.
Première caractéristique notable, les œuvres de Viola sont toutes exposées dans le noir complet. Rien d’étonnant jusque-là ; il est nécessaire de projeter des vidéos dans un espace clos et une obscurité totale pour bien en profiter. Les immenses pièces du musée ont ainsi été aménagées façon salle de cinéma, afin de donner leur pleine mesure aux productions présentées. Le spectateur erre donc dans le noir, naviguant d’un lieu à un autre -sans pop-corn, hélas- pour le plus grand déplaisir des malvoyants. Une manœuvre simple et habile, car les œuvres ne sont guère nombreuses, et ‘supprimer’ les lieux attire toute l’attention du passant sur les seules zones de lumières.
En cette ère du numérique, tout le monde sait combien cette disposition suffit à hypnotiser et contraindre au silence. Poussée à l’extrême, elle engendre sans peine une atmosphère méditative, hypnotique même, permettant de profiter pleinement du contenu exposé. Un contenu perturbant, tant au niveau du contenu que de son impact sur les sens.
Des odeurs étranges, des ralentis, des figurants figés sous l’eau…On observe cette recette à plusieurs reprises. L’esthétisme de l’élément aquatique et l’écoulement particulier du temps dans ces vidéos isolent et figent les gestes, les expressions, le moindre petit détail saisi par la caméra. On comprend mieux ce qui vaut son surnom publicitaire à Bill Viola, le « Sculpteur du Temps ».
L’un des procédés les plus marquants est celui utilisé dans Going forth by day, un tryptique format porte d’entrée où des silhouettes grisées surgissent du fond de l’image et brisent le quatrième mur avant de reprendre une « résolution 720p » avec couleurs. Au ralenti, les figurants errent un instant dans la qualité graphique de 2023 et quémandent des yeux l’attention du spectateur avant de s’en retourner dans leur plan de l’Ombre (Stranger Things pour ceux qui ont la référence).
L’effet n’est pas sans rappeler cette scène culte du film japonais The Grudge (2004), où le spectre de Kayako surgit d’un vieil écran télé pour poursuivre ses victimes. Dans le cas présent, nulle agression ; le visiteur se contentera d’échanger un regard au poids quasi surréel avec le figurant. Un regard qui peut mettre mal à l’aise dans cette atmosphère proche du thriller. C’est aussi à ce stade de la visite que l’on réalise que, depuis le début, les images prennent vie, s’animent au lieu de rester figées. Going Forth by the Day n’est que la plus animée, à la façon d’une série d’études artistiques que l’on aurait condensées en une seule.
Une exploration méticuleuse de la gestuelle et des expressions est présente dans chaque œuvre; visages, mains, corps… L’attitude des personnes figées dans les « peintures vidéos» de l’artiste est une véritable banque de données sur la physionomie humaine.
Et puisqu’il est question de banques de données, abordons finalement le cas du cerveau derrière tout ce dispositif, Viola lui-même.
Né en 1951 à New-York, notre installateur-performeur s’est intéressé de bonne heure au sonn et à l’image. Dès les années 70, il surfe avec d’autres artistes au creux de la vague déclenchée par l’application artistique du signal électronique, des moniteurs et des effets lumineux. On le retrouve meublant les galeries aux côtés de Bruce Nauman, Vito Accondi ou encore Wolf Vostell, tous inspirés par le performance art en pleine essor.
Bill Viola poursuit sans arrêt son exploration du support audiovisuel depuis lors, passant progressivement de l’emploi d’images populaires (CITER) à celui de photographies de plus en plus intimes : famille, proches, lui-même, tout en étudiant des sujets auxquels l’humain attache sa fascination depuis toujours : la vie, la mort, le sommeil, l’eau, le feu, l’obscurité…
The Passing, une bande vidéo parue en 1991, sera l’une des « œuvres-phare » de sa production. On peut y voir, accompagnées de sons sourds angoissants, des images de son fils, de sa mère agonisant sur son lit d’hôpital, de paysages déserts, de Viola se réveillant en sursaut dans son lit, d’objets tombants au ralenti ou dans l’eau, etc…
Fait amusant, la plupart des productions exposées par ce cher Bill dans l’exposition de La Boverie datent du début de ce millénaire ou presque ; 1991, 1995, 2002, 2005…
La quantité de la production exposée à la Boverie n’est pas bien grande, heureusement compensée par une grande qualité graphique et une mise en atmosphère immersive au point de frôler l’hypnose. Afin de proposer à mon aimable lectorat un « after » plus qualitatif que mes images, laissez-vous tenter par la visite des liens youtube indiqués ci-dessous. Après tout, le net n’est-il pas, à sa façon, une autre exposition à laquelle l’Art Vidéo se prête volontiers ?
Vidéo de Bill Viola : Ascension
Vidéo de Bill Viola : The Raft (2004)