« Borgen, le Royaume, le pouvoir et la Gloire», une série qui se renouvelle sans se trahir
Depuis le 2 Juin dernier, la quatrième saison de l’emblématique série politique danoise Borgen est disponible sur la plateforme Netflix. Dix ans après la saison 3, on retrouve avec plaisir la protagoniste principale Birgitte Nyborg. Elle est l’ancienne première ministre danoise devenue ministre des affaires étrangères, et propulsée une nouvelle fois sur les devants de la scène politique. On vous dit ce qu’on en a pensé !
Un spin-off qui n’en est en fait pas un
À l’heure où l’on est constamment inondés de préquels et séquels aussi variés que de qualité variable, Adam Price, créateur et défenseur de la première heure de la série politique danoise Borgen nous offre une suite. Il y avait beaucoup à perdre car c’est un exercice qui peut s’avérer périlleux : il s’agit d’adapter et de renouveler son écriture, d’explorer de nouvelles facettes de personnages que l’on connaît déjà, auxquels le spectateur est attaché, et de risquer de perdre ce qui faisait l’ADN d’une série. C’est un pari tenu, et même au-delà de nos attentes.
Souvenez-vous, lors des trois premières saisons, on suivait Birgitte Nyborg, une femme politique au charme ravageur, gravir à force de travail, de talent et de beaucoup de sacrifices, les échelons politiques jusqu’au poste de premier ministre du Danemark. On découvrait, par la même occasion, les spécificités politiques de cette petite nation, méconnus jusqu’alors.
On découvrait un savoir faire typiquement scandinave, portant un propos profondément féministe, qui abordait avec finesse et pertinence les difficultés pour une femme d’accéder à un poste de pouvoir, dans un monde politique encore (et toujours) majoritairement masculin. Dans cette quatrième saison, plus sombre, plus violente, le scénario s’emploie plutôt à explorer la manière dont les pratiques du pouvoir peuvent façonner et corrompre les êtres humains.
Adam Price fait le pari de nous montrer d’autres facettes de ses personnages : ils sont moins naïfs, moins idéalistes, plus durs, mais aussi plus aguerris, plus en phase avec les réalités de notre monde. Birgitte Nyborg est maintenant ministre des affaires étrangères, et, libérée de toutes obligations familiales, prête à se dédier corps et âme à son ambition politique. Katrine Fonsmark, cette journaliste ambitieuse, une carrière brillante dans un des média les plus regardés du Danemark, n’est plus si jeune, et finit par se briser sur l’autel de ses ambitions.
Une série qui ose aborder des sujets actuels, avec une pertinence folle
Outre les thématiques classico-classique qui font les ingrédients d’une bonne série politique : crise climatique, négociations diplomatiques, collusion entre le privé et le public, avidité financière et perte de repères dans un monde où l’omniprésence des réseaux sociaux ont profondément modifié les pratiques du pouvoir. Ce volet-ci ose aborder sans trop en faire, des aspects peu évoquées dans l’offre sériel d’aujourd’hui. Il est question de ménopause, de burn-out, d’intersectionnalité des combats, de résistance aux diverses injonctions sociétales, qui modèlent nos comportements, et qui nous poussent souvent à faire des choix que l’on regrette.
On en apprend également long sur les spécificités du système démocratique danois, avec l’introduction de nouveaux protagonistes tels que les « fonctionnaires » , des hommes de l’ombre au service non pas des ministres, mais du ministère lui-même.
Adam Price est parvenu à transcender les codes de la série selon lesquels les protagonistes sont souvent présentés à leurs avantages, et malmène joyeusement ses personnages. Pour notre plus grand plaisir.
C’est une réussite : le personnage principal est maintenant devenu un véritable « animal politique ». On l’observe, dans l’exercice de ses fonctions, trahir ses idéaux, qui étaient pourtant une des caractéristiques majeures de son personnage dans les précédentes saisons. On ne la reconnaît plus: pour s’accrocher au pouvoir, elle s’autorise tout, ou presque tout. Ce qui la rend d’autant plus crédible à l’écran.
Voyage en terre inconnue et dépaysement garanti
L’une des plus grandes réussites de ce nouveau volet, c’est le théâtre de l’action, qui se déroule en partie chez ce petit frère méconnu du Danemark: le Groenland. C’est dans ce territoire lointain, auréolé de mystère, que se concentre l’essentiel de l’intrigue, puisqu’Adam Price imagine que l’on y découvre un gisement de pétrole.
Les paysages sont magnifiques, et à mille années lumières de ce qu’on a l’habitude de voir dans notre quotidien – la banquise est admirablement bien filmée et nous donne presque la sensation de voyager avec les personnages. Les relations compliquées entre le Groenland et le Danemark, encore largement considéré par la population comme « colonisateur » , sont mises en lumière, dans un contexte géopolitique délicat où tour à tour la Russie, la Chine, l’Union européenne et même les Etats-Unis sont impliqués.
Cela fait, à mon sens, état d’une véritable intelligence scénaristique, le spectateur étant littéralement happé dans un monde fictionnel, confronté à une situation qui pourrait bien arriver dans le nôtre, de monde. Cela nous interroge, nous questionne, nous interpelle et met en lumière à la manière de grandes dystopies littéraires l’ombre des dérives politiques menaçant à tout moment la bonne gouvernance d’un pays
Une direction artistique impeccable
La série est également portée par les mêmes acteurs que dans les saisons précédentes, Sidse Babett Knudsen, mais aussi Birgitte Hjort Sørensen, dans le rôle de Katrine Fonsmark, pour ne citer qu’elles. C’est d’ailleurs un exploit d’avoir réussi à tous (ou presque) les réunir dix ans après. Il manque la jolie frimousse de Pilou Asbaek qui était déjà beaucoup moins présent dans la troisième saison – que l’on a pu voir dans les dernières saisons de Game of Thrones. Mais ce n’est pas tout.
Je suis de celles qui apprécie une création audiovisuelle dans son entièreté : si la musique d’une bande originale me plait, il y a de grande chance pour que j’apprécie aussi la série/le film. Borgen n’a pas fait exception à la règle : la bande son est remarquablement orchestrée par un petit prodige de la musique danoise, Halfdan E, qui avait déjà composé la musique des premières saisons. Il faudra garder un œil sur lui, car il signe ici un chef-d’œuvre qui, dès les premières notes, nous emporte dans ce monde pas si lointain du nôtre qu’est Borgen.
Vous l’avez donc compris, nous vous recommandons chaudement ce quatrième volet, à déguster sans modération.