C’était comme une colonie de vacances…
« Paroles et dessins des enfants de la maison d’Izieu » est à découvrir jusqu’au 23 juillet 2023 au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. L’exposition rassemble près de 150 photographies, documents d’archives et dessins d’enfants réfugiés dans cette colonie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Sur les photos, on voit des enfants souriants, confiants dont on devine les journées remplies de promenades, de baignades, de siestes, d’activités manuelles et de veillées. Mais les photos sont trompeuses, ce n’était pas une colonie de vacances et presque tous ces enfants étaient orphelins ; ils avaient été sauvés de la déportation et rassemblés dans ce qui ressemblait à une maison de vacances par les époux Sabine et Miron Zlatin à partir de mai 1943.
Ces enfants étaient juifs et ils allaient, insouciants encore au-devant d’une funeste destinée. Ils faisaient de beaux dessins et écrivaient des lettres et des cartes où ils racontaient leur quotidien dans la maison d’Izieu. Un ouvrage intitulé On jouait, on s’amusait, on chantait raconte la vie de ces enfants dans la maison en s’appuyant sur toutes leurs productions de l’époque.
Ce sont aussi ces documents qui sont exposés jusqu’au 23 juillet au mahJ (musée d’art et d’histoire du Judaïsme) de Paris « Tu te souviendras de moi » Paroles et dessins des enfants de la maison d’Izieu, 1943-1944.
Un couple providentiel
Sabine et Miron Zlatin, juifs d’origine polonaise et russe arrivés en France dans les années vingt étaient chargés de sauver des enfants juifs en les abritant dans une maison, la villa Anne-Marie (située dans le hameau de Lélinaz sur la commune d’Izieu), installée grâce au soutien de la préfecture de l’Hérault et du sous-préfet de Belley,dans l’Ain.
Sabine avait émigré de Pologne où elle s’était engagée à seize ans dans les rangs du Bund et avait été incarcérée une année après la manifestation du 1er mai 1923. Arrivée en France en 1926, elle étudie aux Beaux-Arts de Nancy. Elle y rencontre son futur mari, Miron qui avait quitté la Russie pour étudier l’agronomie en France. Tous deux s’installent dans le Nord et se lancent dans l’élevage avicole. Le couple est naturalisé français en 1939.
En 1940, ils se réfugient à Montpellier et Sabine devient assistante sociale à l’OSE (Œuvre de secours aux enfants) dans les camps d’Agde et de Rivesaltes. Après l’invasion de la zone sud en novembre 1942, la répression antisémite s’accroît. Sous l’impulsion de l’OSE, les Zlatin partent en zone italienne et préparent l’installation de la maison d’Izieu où ils accueilleront 105 enfants de 3 à 16 ans entre mai 1943 et avril 1944. Certains ne feront que passer, d’autres y séjourneront plusieurs semaines.
La maison d’Izieu
Un groupe de neuf enfants arrivent à Izieu autour du 18 mai, puis d’autres viennent s’y ajouter dans les jours et les mois qui suivent, ils sont soixante en août au plus fort des effectifs. Les petits réfugiés échappent à l’internement et à la déportation ; tous sont issus de familles étrangères immigrées en France à différentes périodes. Certains sont d’origine polonaise, d’autres viennent d’Algérie, de Belgique, du Luxembourg ou même d’Allemagne. Presque tous ont connu les camps d’internement où ils ont été séparés de leurs parents.
Dès septembre 1943, les Zlatin ont conscience du danger qui menace la colonie et souhaitent la dissoudre. Il faut toutefois disperser les enfants en lieu sûr, ce qui n’est pas aisé. Le départ des quarante-quatre enfants qui séjournent encore à la villa Anne-Marie est programmé pour le 11 avril.
Le 6 avril, premier jour des vacances de Pâques, sur ordre du chef de la section IV de la Gestapo de Lyon, un certain Klaus Barbie, des officiers de la Gestapo et des soldats de la Wehrmacht font irruption dans le réfectoire où est servi le petit-déjeuner. Ils embarquent dans des camions les enfants et les sept éducateurs présents dont Miron.
Sabine est à Montpellier.
Tous sont enregistrés à Drancy le 8 avril et trente-quatre des enfants ainsi que quatre des adultes font partie du convoi n° 71 pour Auschwitz. Ils sont assassinés dès leur arrivée. Les autres se partagent entre les convois n° 74, 75 et 76. Ils subiront tous le même sort.
« Il ne faut jamais oublier »
Quand Sabine revient à la maison après la rafle, elle rassemble les dessins, les lettres et les photographies des disparus qu’elle conservera soigneusement sans plus jamais avoir la force de les regarder. En 1944, elle rejoindra la résistance puis prendra la direction du Centre d’accueil des déportés à l’hôtel Lutétia à Paris. Après la guerre, elle se remet à la peinture et ouvre en 1951 une librairie spécialisée dans les arts de la scène.
Elle est à l’origine de la cérémonie du souvenir à la maison d’Izieu le 7 avril 1946 qui deviendra une commémoration annuelle. Serge et Beate Klarsfeld retrouvent la trace de Barbie au Pérou en 1971, ils le traqueront pendant dix ans et il sera enfin jugé en 1987 pour « crimes contre l’humanité » et condamné à la prison à perpétuité.
La villa Anne-Marie devient un musée-mémorial en 1994, suivant la volonté de Sabine qui fédère amis, élus, et citoyens de tous types pour créer une association responsable de sa gestion. Elle entretiendra par sa présence et ses témoignages le souvenir de son mari, de ses camarades et des enfants jusqu’à la fin de sa vie en 1996.
Les Klarsfeld ont fait des recherches approfondies pour identifier chacun des enfants raflés de la colonie. Il était important de pouvoir associer un nom, une image, une nationalité, des dessins, des mots pour percevoir chaque enfant dans sa globalité .
Dans la salle voûtée du mahJ dont les murs sont couverts des documents recueillis et confiés à la Bnf, on voit Sami, Hans, Nina, Max-Marcel et Jean-Paul, Esther, Elie et Jacob, Jacques, Richard, Jean-Claude et Yvette, Barouk-Raoul, Marcel Majer et Albert, Edmond Egon, Maurice et Liliane, Henri-Chaïm et Joseph, Mina et Claudine, Georges, Arnold, Isidore, Renate et Liane, Max, Claude, Fritz, Alice-Jacqueline, Paula et Marcel, Théodore, Gilles, Martha et Senta, Sigmund, Sarah-Suzanne, Max et Herman, Charles, Otto et Emile revivre sous nos yeux embués.
La colonie
On se croyait préservés. Ce beau paysage, il n’y avait pas une ville. Belley, je ne savais pas ce que c’était. On était dans la nature. On se disait : les Allemands ne vont pas venir nous chercher ici. Ce n’était pas imaginable.
Paul Niedermann
Beaucoup d’enfants arrivent à Izieu désemparés, séparés de leurs parents brutalement, ils ne comprennent pas les raisons de cette situation soudaine. Les petits mots qu’ils écrivent à leurs familles traduisent bien leur naïveté et l’incompréhension de la tragédie dont ils sont les victimes innocentes.
La bienveillance de Sabine Zatlin et des autres éducateurs permettra toutefois aux pensionnaires de connaître une parenthèse presque heureuse dans un environnement préservé malgré un confort sommaire. Les enfants vont en classe, font des promenades et des jeux, ils dessinent, peignent et voient même des films. Les villageois dans leur ensemble (il semble que l’un d’entre eux soit à l’origine de la rafle) les accueillent avec empathie. Certaines lettres très circonstanciées permettent de retracer le déroulement des journées à la colonie, les dessins constituent également de beaux témoignages de moments vécus par leurs auteurs. Les couleurs et les sujets joyeux traduisent une forme d’allégresse qui témoigne bien de la réussite du couple Zlatin dans sa volonté de donner à leurs pensionnaires une vie d’enfants ordinaires loin de l’horreur qui est en marche.
La lanterne magique
Des spectacles organisés pour les veillées subsistent quelques traces : des sortes de paperolles constituées de dessins mis bout à bout pour raconter une histoire. Ces films de papier étaient projetés suivant le procédé de la lanterne magique. Deux de ces travaux collectifs des enfants d’Izieu sont présentés dans l’exposition : Ivan Tsarawitch et À la poursuite du bandit. Ces histoires sont clairement inspirées de romans et de films d’aventures connus des enfants que les éducateurs ont encadrés pour préparer l’animation des soirées de l’été 1943.
En 2022, des collégiens en UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) au collège Aimé Césaire de Vaulx-en-Velin redonnent vie au récit des enfants d’Izieu à travers un film d’animation destiné au mémorial. Ils prêtent leurs voix colorées par les accents des différents pays dont ils sont issus aux personnages imaginés quatre-vingts ans plus tôt par d’autres petits réfugiés au français parfois hésitant. Le studio Parmi les lucioles a organisé et accompagné ces jeunes élèves pour retransmettre la passion et le plaisir qu’avaient ressentis les créateurs de cette histoire qui seraient sans aucun doute tellement fiers de voir Ivan Tsarawitch galoper sur l’écran de la petite salle de projection du mahJ.
Un documentaire raconte cette aventure : Les enfants de la lanterne magique . Enfants réfugiés d’hier et d’aujourd’hui écrit et réalisé par Sylvie Perrin.
Jamais ne pourra s’effacer du cœur d’une femme le visage anxieux des enfants innocents
Léa Feldblum
qui n’ont jamais revu le pays où ils s’amusaient si bien.
Bibliographie
– Les enfants d’Izieu. Une tragédie juive. Serge Klarsfeld, Éditions A.Z. Repro, 1984.
– En souvenir de Georgy. Lettres de la maison d’Izieu. Serge Klarsfeld, Éditions Aperture, 2002.
– On jouait, on s’amusait, on chantait, Stéphanie Boissard, Loïc Le Bail, Dominique Vidaud, Éditions Bibliothèque nationale de France Maison d’Izieu, 2022.
– Histoire d’Ivan Tsarawitch. La lanterne magique des enfants d’Izieu, collectif Éditions Bibliothèque nationale de France, 2022.