Château de Coppet, chez Madame de Staël
De quoi peut-on rêver quand on est une jeune fille immensément riche, et que l’on a déjà presque tout ? D’amour, certainement. Nous en rêvons tous, que l’on soit puissant ou misérable. Mais pour la pauvre Germaine Necker, dont le physique n’est pas très attirant, et qui est attirée par des hommes qui ne le sont pas par elle, l’amour sera difficile à trouver. Alors il lui restera une autre voie : se réaliser par elle-même, intellectuellement, par la puissance de son esprit. Elle deviendra une figure majeure de son temps, qui brillera dans son écrin du château de Coppet, près de Genève.
Le château de Coppet, tout près du magnifique lac Léman, est une belle demeure rose, mais ce n’est pas la maison de Barbie. Sa plus célèbre habitante a été une intellectuelle de haut vol, et une puissante femme politique, à une époque où certaines femmes, bien que n’ayant pas le droit de vote, trouvaient le moyen de peser fortement sur les affaires de leur temps par leurs talents diplomatiques qui s’exerçaient dans leurs salons mondains ou littéraires. Telle fut l’action importante de Madame de Staël, qui connaissait tout le monde, et que tout le monde connaissait.

L’argent ne fait pas le bonheur (mais il vaut mieux pleurer dans un château que dans une cabane)
Le père de la jeune fille, Jacques Necker (1732-1804), est un Genevois de Genève, il y est né et il y est mort. Sa famille est originaire du Brandebourg, et son nom de famille se prononce « Nècre ». Banquier extrêmement doué, il accumule une grande fortune, notamment grâce à la Compagnie Française des Indes Orientales dont il est actionnaire. Il est le ministre des finances de Louis XVI dans les mois qui précèdent la révolution française, bien qu’il n’ait pas le droit le droit au titre de ministre, car il est protestant et pas catholique. Mais son pouvoir est très grand et il est apprécié par l’opinion publique. Son renvoi par le roi le 11 juillet 1789 précipitera le soulèvement du 14 juillet, trois jours plus tard.

Le célèbre financier Jacques Necker, père de Madame de Staël, par Duplessis © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Le roi se verra contraint par les événements à le rappeler, et il exercera son ministère un an de plus. Cette fois, son départ en 1790 est définitif. Il se retire dans son château de Coppet, où il mourra d’un arrêt cardio-respiratoire en 1804. Il est enterré, avec son épouse et sa fille, dans le parc du château. Il laisse plusieurs ouvrages, dont des Réflexions philosophiques sur l’égalité. L’écriture est une affaire de famille chez les Necker.

Madame Jacques Necker, née Suzanne Curchod, mère de Madame de Staë, par Duplessis © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Une belle jeune fille… vue de dot
La petite Germaine Necker n’est pas très gracieuse, mais son avenir est assuré en raison de la fortune familiale. Ses parents ne considèrent toutefois pas que cela suffit, et il lui prodigue une excellente éducation. Sa mère, née Suzanne Curchod, tient le dernier grand salon littéraire d’avant la révolution, où elle reçoit tous les grands esprits du temps. Germaine, sa fille, brille déjà dans le salon de sa mère, malgré son âge tendre. Suzanne, écrivain de talent mais qui ne sera publiée qu’après son décès, est aussi une philanthrope. C’est elle qui fondera à Paris en 1778 le célèbre Hôpital Necker pour les enfants, qui existe toujours.

Le salon des portraits © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Bien que les traits de la petit fille ne soient pas fins, son esprit est acéré. Et un certain nombre d’homme se positionnent pour l’épouser, alors qu’elle n’a pas encore l’âge de convoler. C’est un de ces barbons, Erik-Magnus de Staël-Holstein, qui remportera la mise. Pourquoi lui ? Mais simplement parce qu’il est protestant, comme les Necker. Staël est l’ambassadeur de Suède auprès de Louis XVI, dans une cour où les protestants sont rares. Il fera donc l’affaire, même s’il a dix-sept ans de plus que la demoiselle.

La salle à manger d’hiver © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Madame de Staël , une romantique contre Napoléon
Ce mariage arrangé n’est pas heureux, bien qu’il soir couronné de plusieurs enfants. Mais tous ne sont pas du mari suédois. Parmi les cinq enfants, plusieurs sont attribués à des amants de Germaine, peut-être le philosophe et écrivain Benjamin Constant, avec lequel elle entretien une relation orageuse. Car Madame de Staël n’a pas renoncé à l’amour, malgré son mari. Après la mort de celui-ci en 1802, elle se remariera avec un fringant colonel des hussards, Albert de Rocca, de vingt-deux ans son cadet ! Elle aura avec lui un sixième enfant. Cette différence d’âge n’empêchera pas Madame de Staël d’enterrer aussi ce mari, mort poitrinaire à trente ans. C’est une femme très libre par rapport aux mœurs de son temps. Elle dénonce d’ailleurs ces contraintes dans deux livres : Delphine (1802) et Corinne ou l’Italie (1807).

Le baron Erik-Magnus de Staël von Holstein, ambassadeur de Suède à la cour de Louis XVI, premier mari de Germaine Necker, par Adolf Ulrik Wertmüller, 1782, château de Coppet © Wikipedia Commons
En littérature, Madame de Staël introduit le romantisme en France, grâce à la publication en 1813 de De L’Allemagne, ouvrage qui fait découvrir les auteurs romantiques allemands au public français, et permet aux auteurs français de s’inspirer de ceux-ci. En politique, d’abord favorable à la révolution, elle change d’avis dès 1791 et devient une opposante, prônant une monarchie constitutionnelle comme remède aux crimes de la révolution.

Madame de Staël en Corinne, par Firmin Massot © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Contrainte à l’exil à Coppet, loin de Paris, Napoléon la considère comme une dangereuse opposante politique. Elle prône le divorce, alors que le Code civil de Napoléon représente une régression des droits acquis par les femmes depuis la chute de la monarchie. Malgré qu’elle vive en Suisse, Napoléon la fait surveiller, espionner. Elle doit s’éloigner davantage encore, quitter Coppet et tenter de rallier l’Angleterre.
« Un seul homme de moins, et le monde serait en repos ». Madame de Staël, parlant de Napoléon


Chambre de Madame de Staël © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Madame de Staël en Russie
Madame de Staël cherche à rejoindre l’Angleterre pour y publier son nouveau livre, De l’Allemagne. Mais l’état de guerre entre la France et le Royaume-Uni l’en empêche. Elle doit faire un immense détour par Vienne, puis la Russie, pour rejoindre ensuite la Suède, et enfin Londres. Hélas, c’est l’été 1812, et Napoléon envahit la Russie. Est-ce pour rattraper sa célèbre opposante qu’il lance sa Grande Armée de 600 000 hommes ? Tout de même pas. Arrivée à Brody, ville qui marque la frontière avec l’Empire Russe, elle est accueillie par le prince Galitzine et un admirateur, le baron du Montet, qui lui déclare : « Il n’y a donc plus que trois puissances indépendantes dans le monde : l’Angleterre, la Russie, et vous… »

Le comte Théodore Rostopchine (1763-1826), gouverneur de Moscou, père de la comtesse de Ségur, peint par Salvatore Tonci, 1800 © Wikipedia Commons
A Moscou elle est fêtée par le gouverneur de la ville, le comte Rostopchine, père de la comtesse de Ségur. Elle y rencontre Pouchkine, et l’historien Karamzine, qui a traduit en russe Delphine et Corinne. A Pétersbourg les réceptions se poursuivent, chez le comte Orloff, les Kotchoubey, chez le grand-maréchal de la cour Narychkine, ou chez le banquier de la cour, le baron Rall. Descendue à l’hôtel Europe, elle y rencontre l’ambassadeur américain, John Quincy Adams, qui sera bien plus tard le sixième président des Etats-Unis. Il lui promet de lui envoyer des fonds qu’elle possède à New-York, malgré la rupture des relations entre l’Amérique et l’Angleterre. Vingt-cinq mille dollars, un vrai ballon d’oxygène financier pour l’éternelle exilée. Mais son objectif est surtout de rencontrer le tsar Alexandre Ierpour préparer une entrevue entre lui et Bernadotte, et tenter de sceller une alliance russo-suédoise contre Napoléon. Ce sera un succès.


Chambre de Madame Récamier, avec sa harpe, et le magnifique papier peint d’époque © Château de Coppet / Fondation Othenin d’Haussonville
Visitez le château de Coppet
Se retrouver entre les murs qui ont connus les soubresauts de l’histoire napoléonienne, et celle de l’Europe, est toujours intéressant. Coppet est resté dans la descendance de Madame de Staël, en passant par les princes de Broglie, pour arriver chez les comtes d’Haussonville, famille dans laquelle le château est encore aujourd’hui au travers de la Fondation Othenin d’Haussonville. C’est un bien culturel suisse d’importance nationale. Si la ville de Coppet et le château ont été bâtis en 1280, l’aspect actuel a été donné en grande partie par les travaux effectués par Jacques Necker à la fin du XVIIIe siècle.

Juliette Récamier (1777-1849), l’amie de Madame de Staël, par le baron Gérard, 1805, Musée Carnavalet © Wikipedia Commons
Les appartements de Madame de Staël ont été assez bien conservés. On y verra aussi ceux de Madame Récamier, sa grande amie, qui logeait souvent au château. Femme de lettre de grand talent, opposante à Napoléon, liée aux milieux de la finance, salonnière, Juliette Récamier et Germaine de Staël avaient bien des points en commun. Mais il y a une différence : la jolie Madame Récamier plait beaucoup aux hommes, elle est une icône de beauté de son temps. C’est d’ailleurs à Coppet qu’elle rencontrera le prince Auguste de Prusse, avec lequel elle vivra une histoire d’amour. Les salons de cette belle demeure sont aussi joliment meublés. Ne manquez pas de visiter Coppet si vous passez par Genève !
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