« Civil War », un film de pure fiction ?
« Civil War » : l’Amérique bascule dans un avenir très proche dans l’ultraviolence d’une guerre civile. Bienvenue dans une fiction qui dérange par son côté réaliste.
Le film nous plonge directement dans l’actualité d’une guerre civile qui divise les états américains, sans savoir pourquoi cette sécession s’est déclenchée, on n’en est plus là. Le réalisateur ne prendra d’ailleurs pas de positions politiques, on ne sait pas si le président est républicain ou démocrate. Face à lui il y a les « Forces de l’Ouest », une union de la Californie et du Texas. Il y a aussi la sécession de la Floride qui essaie de s’adjoindre les deux Caroline. Au total 19 états font sécession. Et il y a le reste des États-Unis, avec un président américain terré dans la Maison Blanche, d’où il diffuse des discours de propagande déconnectés de la réalité, annonçant des victoires fictives pour rassurer l’opinion. Mais la vérité est que les Confédérés sont en train de gagner et se dirigent vers Washington. C’est pas Berlin en 1945 mais ça y ressemble un peu.
La Liberté prise entre deux feux © DNA Films
Dans le grand désordre que représente toute guerre civile, les États-Unis retombent dans une tiersmondisation effrayante de la société. Les militaires par contre sont toujours à la manœuvre, pour eux rien ne change, sauf qu’ils se font la guerre entre eux. Le film suit les aventures de quatre reporters de guerre, une équipe faite de bric et de broc, entre vieux routards du métier et innocente apprentie pleine d’enthousiasme et d’idéal. Ils quittent New-York pour tenter de rejoindre Washington afin d’obtenir une dernière interview du président avant qu’il ne soit renversé. Mais le chemin est long, plus de 1000 kilomètres, car il faut faire des détours pour échapper aux combats. C’est un road movie.
Un road movie en pleine guerre civile © DNA Films
La presse n’a pas un très beau rôle, bien qu’ils soient les héros du film. Photographiant les horreurs de la guerre comme des professionnels, c’est-à-dire sans beaucoup d’affect, ils ne s’humanisent un peu que lorsqu’ils deviennent eux-mêmes les victimes de cette violence, pleurant alors sur le sort de leurs propres morts. Ce qui ne les empêchera de photographier leurs collègues, morts ou mourants. Ils fonctionnent à l’adrénaline que leur procure la proximité de la mort. Ils ne vont pas être déçus, car Civil War est un film réaliste, donc violent, où l’on s’exécute et l’on se fusille sans sourciller. Au-delà du prétexte, on est en droit de se poser des questions sur la froideur inhumaine et « professionnelle » de ces chasseurs d’images sensationnelles, et sur la distance que nous-mêmes mettons avec ces mêmes images qui nous sont servies quotidiennement dans les medias.
« Quels genre d’Américains êtes-vous? » © DNA Films
C’est peut-être ce qui a beaucoup dérangé les spectateurs américains, ce réalisme plat, humide et collant comme une flaque de sang qui coagule. Finalement cela pourrait arriver, se disent certains. C’est facile à imaginer lorsque c’est banal, nous sommes loin du film de super-héros. Seule la scène finale de l’attaque de la ville de Washington est plus enlevée et rappelle les films de guerre. Pour le reste on navigue dans la tristesse d’un monde qui se délite dans la violence. Le réalisateur nous tend un miroir de nos propres inhumanités dans notre rapport aux actualités.
Y-a-t-il un sens à tout cela ?
Pas vraiment. On tire sur des gens parce qu’ils nous tirent dessus. Qui sont-ils ? On n’en sait rien, et on ne cherche même pas à le savoir. Amis ? Ennemis ? Ces termes ne veulent plus dire grand-chose lorsque c’est la guerre de tous contre tous. N’oublions pas que la Guerre de Sécession (1861-1865) a été la guerre la plus meurtrière dans l’histoire des États-Unis, entre 650 et 850 000 morts. C’est-à-dire davantage que toutes les autres guerres des États-Unis réunies, Première et Seconde Guerres Mondiales comprises. Un vrai traumatisme pour les Américains, qu’ils n’ont pas oublié 160 ans plus tard, et que le film exploite évidemment.
Kirsten Dunst méconnaissable © DNA Films
L’héroïne, une journaliste expérimentée, dit que toute sa vie elle a fait des photos de guerre pour montrer aux Américains ce qu’il ne faut pas faire, ce qu’ils devraient éviter qu’il leur arrive. Elle constate que tout cela n’aura servi à rien, et que son pays plonge quand même dans l’horreur. Kirsten Dunst est méconnaissable, dure, inflexible, à mille lieues de son personnage dans Marie-Antoinette. Malgré les conversations parfois oiseuses entre les protagonistes, le film est tout de même interpellant et donne à réfléchir sur l’avenir de nos sociétés et sur le rôle des medias.
Cela pourrait-il arriver réellement aux États-Unis ?
Quand on sait l’abîme politique et psychologique qui sépare la Californie et le Texas, on ne peut que s’étonner de cette étrange alliance. La Floride apparaît aujourd’hui comme un candidat plus réaliste pour une alliance avec le Texas, ce qui se voit dans la vraie vie politique américaine. Mais pour contrebalancer la puissance fédérale américaine il a fallu quand même dans le scénario mettre dans le camp sécessioniste au minimum ces trois grands états, puissants économiquement et démographiquement. L’armée américaine, la plus puissante du monde, est organisée essentiellement comme une armée fédérale, dépendant de Washington. Les Forces Armées des États-Unis comptent actuellement 1,3 millions de soldats.
Prêts à tous les risques pour un bon cliché © DNA Films
A cela il faut rajouter la Garde Nationale qui compterait dans les 440 000 soldats. La Garde Nationale dépend aussi du président américain, mais elle a une assise plus territoriale, elle est présente dans chaque état. La Garde Nationale est très bien équipée, mieux que certaines armées européennes : chars, artillerie, aviation, tout le matériel s’y retrouve. Ce ne sont donc pas des soldats du dimanche, et il peuvent être engagés sur les fronts d’opérations extérieures comme l’Iraq ou l’Afghanistan. Là où le scénario du film devient moins réaliste, c’est que dans la réalité la Garde Nationale du Texas compte 22 000 soldats, celle de la Californie 18 000, et celle de la Floride 12 000. Ensemble c’est plus que l’armée belge, mais c’est loin d’être suffisant pour renverser le gouvernement américain. A moins que d’autres divisions les rejoignent.
© DNA Films
Civil War, un film américain réalisé par un Anglais
Le réalisateur Alex Garland est un romancier anglais né à Londres en 1970 qui a eu pas mal de succès dans la littérature (La Plage, 1998), et s’est essayé ensuite à l’écriture de scénario avec brio puisqu’il écrit en 2002 le scénario du film d’horreur et de science-fiction 28 Jours Plus Tard, une magnifique histoire de zombies furieux et rapides, devenue une référence. Il est devenu réalisateur en 2014 avec Ex Machina.
Cailee Spaeny est l’actrice qui interprète le rôle de l’apprentie journaliste qui vénère la photographe star jouée par Kirsten Dunst. On a vu Cailee Spaeny récemment dans le très beau film Priscilla dans lequel elle tenait le rôle principal de Priscilla Presley, la femme du King. Dans Civil War il est dit qu’elle vient du Missouri, ce qui est aussi vrai dans la vraie vie. Si Cailee Spaeny a été choisie par Sofia Coppola pour interpréter le rôle principal de son film Priscilla, Kirsten Dunst, la comédienne fétiche de Sofia Coppola (Virgin Suicides ; Marie-Antoinette ; The Bling Ring ; Les Proies) tient dans Civil War également le rôle principal. L’ombre de Sofia Coppola plane sur ce casting.
Un moment souriant, mais pas dans le film : sur le tournage © DNA Films
Il faut dire que le réalisateur anglais Alex Garland a un flair très sûr pour choisir ses actrices principales : Alicia Vikander pour Ex Machina (2014) et Nathalie Portman pour Annihilation (2018). Sans oublier qu’en 2010 Alex Garland a écrit le scénario du film Auprès de moi Toujours avec Keira Knightley.
Mon opinion : si vous n’avez pas peur d’assister à des exécutions réalistes, alors cela vaut la peine de voir ce film pour votre propre édification, car « cela n’arrive pas toujours qu’aux autres »…
Civil War, Bande-annonce en FR :
Découvrez le film Priscilla avec une des héroïnes de Civil War, Cailee Spaeny