Rêver, croire en ses rêves et oser les réaliser envers et contre tout… c’est probablement l’un des messages forts que l’on retire de l’éprouvante vie du facteur Cheval. De son vrai nom Ferdinand Cheval, ce facteur s’est attelé 30 années durant à construire son palais idéal vu en rêve, afin de surmonter les difficultés de la vie. La pièce de théâtre Le facteur Cheval ou le rêve d’un fou, adaptée du roman Le rêve d’un fou de Nadine Monfils, raconte la vie d’un original trop souvent incompris de son vivant, pourtant doué de talents artistiques aujourd’hui largement reconnus. Une histoire émouvante magnifiquement interprétée à voir du 2 au 5 août au château de l’Ermitage à Wavre , le 14 août au château de Karreveld à Bruxelles et à partir de juin 2023, pour des représentations tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Façonner un palais de ses propres mains

©EDA

Dans la Drôme provençale du milieu du XIXe siècle, les temps sont durs. Comme un peu partout en Europe, la famine et la maladie font des ravages et compliquent la vie des paysans de condition modeste. Parmi eux, Ferdinand Cheval, un facteur installé dans le petit village de Hauterives, que la vie n’épargne pas. Peu instruit, il est contraint de travailler durement pour gagner sa vie. À peine devenu père, il perd son jeune fils et puis quelques années plus tard, son épouse. Il tente de reconstruire sa vie en se remariant. Entouré d’une femme aimante avec qui il a une fille, il parvient à retrouver le goût des choses. Malheureusement, sa fille Alice vient à décéder. Fou de chagrin, il se réfugie dans son travail de facteur pour tenter de tenir le coup.

Un jour d’avril 1879, alors qu’il fait sa tournée, il trébuche sur un caillou qui n’a rien d’ordinaire. Tout en l’admirant, il se remémore un rêve au cours duquel il bâtissait un incroyable palais. À l’image du verset biblique « Et sur cette pierre, tu bâtiras ton église », le facteur Cheval décide de garder la pierre pour en faire la première pièce de son « chef-d’œuvre ». Des années durant, il amasse, dans son potager, des milliers de cailloux de toutes formes qu’il repère lors de la distribution du courrier et qu’il ramène dans sa brouette, le soir venu.

N’ayant pourtant aucune notion d’architecture, aucune formation de maître-d ’œuvre, il ne renonce pas à son projet. Féru de lecture, il se renseigne et se lance dans la construction du palais. Il en ressort après plus de trente ans de vie acharnée, par la seule force de ses bras, une construction originale mêlant de nombreux genres, embellie de représentations d’animaux du monde, de figures fantasmagoriques, de personnages historiques et de monuments majeurs de différents continents dont le facteur Cheval a fait la connaissance en parcourant des magazines de voyage.

Une reconnaissance tardive

© Panache Diffusion

Si à présent, le Palais de Ferdinand Cheval fait partie des chefs-d’œuvre de l’architecture naïve et est visité par plus de 100 000 personnes par an, l’homme n’a pas eu beaucoup de soutien de son vivant. Considéré comme un fou, un solitaire acharné de travail, il n’en a pas tenu rigueur, car son projet l’aidait à tenir, une activité absorbant toute son énergie pour mieux atténuer la douleur et le chagrin provoqués par la disparition d’êtres chers.

L’exceptionnelle force créatrice qui anime le facteur Cheval, comme exutoire libérateur d’une vie trop pesante, n’a pas laissé Nadine Monfils insensible. L’auteure belge lui a consacré un livre Le rêve d’un fou où elle parvient, tout en restituant la véritable vie de cet employé de l’administration des postes, à y parsemer des moments poétiques, propre à son univers. Car si cet homme à l’apparence frustre et solitaire évolue à contre-courant en renonçant à suivre le chemin tracé pour les personnes de sa condition sociale, il demeure un homme de son époque contraint à refouler des sentiments jugés trop féminins au point de ne pas parvenir à dire tout l’amour qu’il ressentait pour ses proches. Alors, au lieu d’employer la parole, il s’est tourné vers l’art, en consacrant toute sa vie à élaborer un palais dédié à sa fille, décédée trop jeune.

C’est probablement ce que Nadine Monfils est parvenue à mettre en avant dans la personnalité du facteur Cheval. Dans son récit, le facteur fait d’ailleurs la rencontre d’un vieil homme solitaire qui s’est réfugié dans la peinture pour colorer un quotidien devenu trop sombre après le départ inexpliqué de sa femme et sa fille. Leurs rendez-vous viennent égayer les tournées de Ferdinand et deviennent des moments de discussions intenses sur la valeur de la vie. Ont-ils réellement lieu ou ne sont-ils qu’illusion, fruit de l’imagination du facteur ? En réalité, la réponse importe peu, difficile de renoncer à la puissance des rêves lorsque l’on cherche à fuir le réel.

Une puissante interprétation théâtrale

À la lecture du roman de Nadine Monfils, Alain Leempoel a été envoûté par l’histoire et a désiré la mettre en scène. Il eut l’idée originale d’en faire un spectacle vivant. Au lieu d’investir la salle d’un théâtre, comme à l’accoutumée, Le facteur Cheval se joue à l’extérieur dans un espace différent selon les représentations. Avec cet environnement naturel, on entre dans l’univers campagnard qui aurait pu être celui de la Drôme de notre héros. On profite également des températures estivales. Avec cet été particulièrement chaud – même en Belgique –, on se rend davantage compte de la difficulté de la tâche du facteur Cheval, contraint de lutter contre les éléments naturels, pour poursuivre son projet. Un aspect qui nous aurait probablement échappé si la représentation s’était faite dans une salle climatisée.

L’interprétation que fait Elliot Jenicot du facteur Cheval est époustouflante. Par un incroyable travail de mime et de gestion du corps, le comédien parvient à redonner chair au facteur, avec sa voix rocailleuse et sa démarche pesante qui trahit la pénibilité de son labeur. Ses talents de conteur rendent toute l’émotion et la poésie du texte de Nadine Monfils. On perçoit alors, derrière la robuste carrure de l’homme, une grande sensibilité lorsqu’il raconte avec emphase les petites joies de son quotidien et toute la passion qui l’anime quand il rend compte de l’évolution de son chantier. Seul à déclamer le texte, il est accompagné par le plasticien Philippe Doutrelepont, silencieux compagnon qui donne forme, sur scène, au travail manuel réalisé par le facteur Cheval en employant le bois et la pierre. L’incarnation d’Elliot Jenicot est telle qu’au terme d’une heure et demie, on a l’impression que le facteur Cheval fait partie de nos vies, un parent déjà rencontré auparavant. L’authenticité et la finesse du jeu du comédien sont d’autant plus impressionnantes qu’Elliot Jenicot a repris le rôle au pied levé. Initialement prévues fin juin avant le départ pour Avignon, les représentations à Wavre sont reportées au début du mois d’août, suite à un accident du comédien Pierre Pigeolet qui devait assurer le rôle du facteur Cheval. Son état ne permettant pas de remonter sur scène, c’est finalement Elliot Jenicot qui interprète le rôle. En à peine trois semaines, le comédien découvre le texte et parvient à mettre sur pied une interprétation d’une grande justesse.

En ce soir de la première représentation au château de l’Ermitage de Wavre, c’est avec joie que l’on découvre ce spectacle tant attendu, acclamé par la critique au festival d’Avignon. On ressent tout le plaisir de l’équipe de voir aboutir une entreprise semée d’embûches. Dans le public, se trouvait Nadine Monfils, qui, au terme de la représentation, a fait part de ses félicitations pour le travail réalisé. On ne peut que vous recommander d’aller voir cette belle pièce chargée d’émotions.

© Kim Leleux & GoodDayToDay

Le facteur Cheval ou le rêve d’un fou d’après le rêve d’un fou de Nadine Monfils, mis en scène par Alain Leempoel, avec Elliot Jenicot, accompagné du plasticien Philippe Doutrelepont.

Durée : 1h20 (sans entracte).

Du 2 au 5 août 2022 au château de l’Ermitage à Wavre. Informations et réservation par mail à kim@panachediffusion.com et par téléphone au 0478/27 11 94. Pour ces représentations, l’entrée est libre, avec une participation au chapeau.

Le 14 août 2022 au château de Karreveld dans le cadre du festival Bruxellons ! 2022. Réservation en ligne sur le site https://shop.utick.be/?module=CATALOGUE&pos=BRUXELLONS

Dès juin 2023, plusieurs représentations seront programmées dans la francophonie. Toutes les informations à venir seront disponibles sur le site www.panachediffusion.com.