Les geeks. En ce début de second millénaire post J.C., personne ne peut plus vraiment les ignorer. Amusant de penser qu’il y a encore quelques années, la plupart formaient les petits groupes de reclus dans les écoles, souvent rassemblés autour d’une subculture méconnue, car mésestimée. Parmi les élémentaires de cette subculture à laquelle de plus en plus de gens (tout âge confondu) s’essaient, on compte bien sûr le jeu vidéo et les séries d’animations, mais aussi l’incontournable jeu de rôle.

Le RPG

Le Jeu de rôle, ou RPG (Role Player Game), est un jeu de société où les participants incarnent chacun un personnage conçu par leurs soins, et vivent ensemble une aventure orchestrée par le Maître du Jeu (MJ). Ce dernier occupe une place majeure; il est en charge de concevoir les aventures vécues par les joueurs; scénario, personnages, obstacles rencontrés, ect…

Le système de jeu (Gameplay) repose sur l’emploi de dés allant de quatre à vingt faces pour réaliser des actions. Le MJ impose un chiffre à atteindre pour réussir une action, et le joueur doit atteindre ou dépasser ce score pour réussir l’action voulue (sauter un obstacle, soulever un objet lourd, toucher une cible…).

Ce gameplay, très classique pour les habitués, s’est vu enrichir au fil des années. De multiples ajouts dont je ne parlerai pas ici, par souci de ne pas ennuyer mon aimable lectorat.

L’objectif pour le MJ est de réussir à entraîner les joueurs dans un univers de sa composition, et les joueurs d’y agir en incarnant leurs personnages (actes, réactions, prises de choix dans les décisions importantes…). L’ensemble implique une certaine dose de coopération de la part des joueurs, et beaucoup d’investissement de la part du MJ, qui doit créer de toute pièce son petit univers. J’entends par ce dernier mot qu’il est possible d’aller jusqu’à créer les
cartes, populations et l’histoire des pays dans lequel la campagne( terme désignant la série d’aventures jouées) se déroule.

L’un des aspects les plus amusants du jeu de rôle repose justement sur la conception du monde et de l’équipement de jeu : figurines pour les joueurs et les monstres, cartes quadrillées pour représenter les terrains parcourus, dés à faces multiples pour jouer…

De nos jours, certains sites marchands et artisans se sont même spécialisés dans ce type très précis d’équipement, et il est possible, par exemple, de modéliser des figurines en 3D, et de les faire imprimer et peindre avant de les commander. Pareil pour les cartes.

Le JDR dans notre culture

La série Netflix Stranger Thing a contribué à repopulariser le jeu Donjons et Dragons

Le jeu de drôle est devenu, dès son apparition dans les années 1970 avec le cultissime Donjons et Dragons (crée par Gary Gygax et Dave Arneson), l’une des bases de l’univers geek. En effet, cette activité s’est vite parée des grandes caractéristiques que l’on leur attribue par défaut : l’isolement, la créativité et lʼabsence de vie sociale. Cet état de fait a souvent été sujet à polémiques. Qui, en effet, aurait apprécié de voir ses gamins s’isoler dans leurs chambres, coupé du monde, pour s’imaginer une autre vie ? En réalité, beaucoup.

En ces mêmes années, marquées par de grands conflits sociaux (crise économique,
mouvements libéraux, Guerre Froide…), se réserver une seconde vie dénuée des défauts de la première était pour beaucoup de gens un besoin impératif. Certains s’y sont adonnés à travers la musique, d’autres la mécanique, alors pourquoi pas le jeu de rôle ? Le concept a donc mûri dans les caves et les greniers où ces joueurs aimaient tant se réfugier tandis que, dehors, le monde évoluait.

Coup de théâtre : dès 1980-1990, plusieurs séries de jeux vidéo font un boom: Diablo, Wizardry, Ultima, Dragon Quest, The Elders Scrolls…Quasiment toutes exploitent le
gameplay du jeu de rôle. À compter de ce moment, le concept dépasse les frontières et fait notamment un carton au Japon, lequel se retrouve parmi les pionniers en matière de jeux vidéos et ainsi indétachable de la culture geek moderne.

Outre ceci, on assiste à la popularisation d’univers imaginaires et de nouveaux types de personnages inconnus jusque chez les grands littéraires. La période coïncide avec l’arrivée
de la Fantasy dans les librairies et au cinéma (La Quête de l’Oiseau du Temps, le Seigneur des Anneaux, Elric le nécromancien, Les Chevaliers d’Émeraude, Le Donjon de Naheulbeuk…), laquelle atteindra son apogée au cœur de nos années 2000. Mais toute cette subculture n’en serait pas arrivée là sans l’apport de ses principaux acteurs et clients, les Geeks.

Rappelons que le geek, par définition, est une personne perdue dans un océan d’informations liées à un domaine qui lui est propre. À ne pas confondre avec le Nerd, que l’on peut grossièrement définir comme un accro aux écrans et nouvelles technologiques. Deux genres de personnalités parfaitement intégrées dans notre société moderne.


À partir de 2005, le monde se fait témoin de l’arrivée d’une « génération Internet » basée sur le partage de l’information, et sur laquelle l’enseignement et la morale des adultes peinent à tenir. Playthroughs et letʼs play (vidéos filmées par les joueurs alors que ceux-ci explorent et finissent un jeu) abondent massivement sur Youtube et Twitch. On notera que cette nouvelle ère s’est vue parée de nouvelles règles; chacun peut désormais affirmer être ce qu’il veut.
Ces dix dernières années, par exemple, ont été le théâtre de l’arrivée d’une nouvelle liberté d’opinion et de choix de vie. Et les geeks ne sont pas épargnés.

Que dire d’eux, désormais ? Sont-ils encore les mêmes petits originaux que la société rejette, ou l’un des rouages de la pop-culture moderne, et de ses produits dérivés ? Et le jeu de rôle, dans tout cela ?

Depuis quelque temps, on assiste à un retour du jeu de société dans les familles. Dans un monde soudainement privé d’imagination par excès d’écrans, de publicité et de mass médias, la redécouverte de vieilles recettes est devenue la nouvelle mode. J’en veux pour preuve nos années Covid, exode massif hors des maisons, redécouverte des petits plaisirs avec sa famille… Le jeu de rôle, figure donc parmi ces moyens d’évasion à la mode, bien qu’il soit très secret par tradition. Après tout, ce n’est pas une mince affaire que d’ouvrir les portes de son petit monde aux autres, même à ses proches.