Elles sont quatre, quatre jeunes femmes issues de l’immigration qui ont pris la décision de refuser de devenir ce que leur famille et la société tout entière voulaient faire d’elles. En tournant le dos aux assignations sociales et en s’affranchissant du poids de l’héritage familial et culturel, « comment s’inventer soi-même ? ». C’est la question que la metteuse en scène Julie Berès et le dramaturge Kevin Keiss ont posée aux jeunes femmes d’Aubervillers, commune française située dans la banlieue nord de Paris (Seine-Saint-Denis). La pièce Désobéir est le résultat de cette enquête. Une ode au courage d’être soi dans une France métissée et polymorphe d’aujourd’hui à voir les 8, 9 et 10 mars au Théâtre de Namur à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme.

Une pièce documentaire

Désobéir est une « pièce d’actualité », telle qu’en commande chaque saison le Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Cette initiative a pour but de faire rencontrer l’univers théâtral et la société d’aujourd’hui marquée par ses doutes, ses rêves et ses combats. Rédigée en 2017, la pièce Désobéir est la transposition au théâtre de 80 entretiens que Julie Berès et Kevin Keiss ont réalisés auprès de jeunes femmes habitant dans la banlieue parisienne. Ces rencontres ont été retravaillées avec la collaboration de la romancière Alice Zeniter pour former une trame dramatique. Parmi ces témoignages, on retrouve l’histoire personnelle des quatre comédiennes de la pièce, Lou-Adriana Bouziane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer et Séphora Pondi. Ce croisement de destins brouille les pistes : les quatre actrices interprètent elles-mêmes leur propre rôle ou sont-elles le porte-drapeau d’une jeunesse féminine métissée ? C’est probablement les deux à la fois. C’est par leurs bouches que résonnent dans les théâtres des mots et des portraits si peu présents dans les pièces généralement jouées.

©Eric Thiebaut

Leçons de vie

Tout aussi provocateur que son titre, l’ouverture de la pièce Désobéir donne le ton à la suite : les quatre femmes, serrées deux par deux l’une contre l’autre, font leur entrée par les escaliers de la salle encore éclairée. Une fois montées sur scène, l’une d’elles, Nour, se détache du lot. Vêtue d’un hijab noir, elle entame un premier monologue dans lequel elle raconte comment elle est entrée dans la religion contre l’avis familial. L’émotion est palpable. Au terme de ce témoignage, Nour (Lou-Adriana Bouziouane) décharge sa colère en arrachant la moquette du plateau, car désobéir, c’est aussi crier sa rage. Elle est ensuite rejointe par trois autres jeunes femmes mues par un même désir d’émancipation. Ensemble, elles illustrent la vie de femmes venues du Maroc, d’Iran, du Cameroun ou encore de Turquie. Le parcours de ces quatre femmes pourrait être celui de beaucoup d’autres, de toutes ces femmes venues d’ailleurs qui ont décidé de désobéir, de tracer leur propre voie loin des sentiers que leur entourage avait déjà tracés pour elles.

©Eric Thiebaut

Tour à tour, elles confrontent leurs points de vue sur la religion, les traditions, la sexualité, le racisme, les réseaux sociaux… Tous des sujets actuels qui font aujourd’hui débat. Ces témoignages forment un tableau chargé de contrastes et d’aspirations divergentes, reflet d’une réalité de terrain que l’on imagine beaucoup moins nuancée. Les protagonistes et toutes celles qu’elles représentent tentent par de multiples façons de se revendiquer en tant que femmes. Leur révolte est loin d’être unique, elle prend plutôt des formes variées aux aspects parfois désordonnés voire contradictoires.

Briser le joug du patriarcat

Si beaucoup de thématiques sont évoquées, l’une d’entre elles est centrale tout au long de la pièce : le patriarcat. Les quatre femmes se trouvent réunies autour d’un désir d’émancipation face à cette figure du père castrateur, à la misogynie et au machisme qui les a dépossédées de leur identité et de leur liberté d’être soi. Ce combat vers une cible commune et leur audace les rapproche. Une idée de groupe prend peu à peu forme sur scène : elles adoptent le même style vestimentaire et s’expriment dans un vocabulaire identique provocateur et sur un ton désinhibé. Cette complicité se poursuit dans les chorégraphies réjouissantes aux rythmes urbains, dont les mouvements communs forcent l’unicité des protagonistes. Ainsi, la désobéissance est essentiellement envisagée sous l’angle de la place féminine dans une société masculine. On regrette toutefois que d’autres formes de désobéissance n’aient pas été davantage approfondies, comme celle de l’émancipation artistique et plus particulièrement la danse qui occupe pourtant une place importante dans le spectacle.

© Philippe Rémond

En effet, si la pièce initie la réflexion autour des clichés sociaux, à la multiculturalité et au rapport homme-femme, elle n’a pas pour objectif de renouveler le discours. D’ailleurs, les références à L’École des femmes de Molière ou à Une Vérité qui dérange de Davis Guggenheim ou encore à Simone de Beauvoir sont nombreuses. On perçoit alors l’intention didactique de Julie Berès, certes pertinente, mais qui tend à prendre le dessus sur d’autres aspects dont l’exploitation aurait fait gagner la pièce en originalité. On peut y voir une volonté de toucher un public jeune concerné par ces problématiques, en recherche de sources inspirantes.

Désobéir est une pièce sociétale particulièrement rafraîchissante, qui montre combien la parole peut être libératrice pour une jeunesse en questionnement. L’énergie des quatre comédiennes sur scène et leur humour sont communicatifs. Un discours clairvoyant, sans filtre, et intelligent qui va droit au but.

Informations Pratiques

Désobéir de et mise en scène par Julie Berès, avec Ava Baya en alternance avec Déborah Dozoul et Raphaëlle Simon, Lou-Adriana Bouziouane en alternance avec Anaël Azeroual et Julie Grelet, Charmine Fariborzi en alternance avec Juliette Desserprit, Bénicia Makengele en alternance avec Julie Grelet.

La pièce Désobéir fait partie d’un diptyque avec une autre pièce, La Tendresse, qui, en réponse à la dimension féminine de Désobéir, sonde le point de vue masculin d’aujourd’hui. Le théâtre de Namur propose ces deux spectacles deux semaines consécutives. Pour cette occasion, un tarif combiné est en vente.