Dessine-moi un Renard
Si vous visitez Bruxelles, vous avez sûrement croisé ces beaux renards peints sur les bornes électriques. Il y en a peut-être 300 dans toute la ville, et ils se multiplient encore grâce au talent amoureux de Rose de la Haye, leur créatrice bienveillante. Rencontre avec une artiste de Street Art géniale et prolifique.
Rose de la Haye est une peintre autodidacte passionnée. Elle a commencé par dessiner, puis elle a essayé la gouache, l’aquarelle, le graphite et enfin l’huile. Comme tous les grands artistes elle s’est d’abord frottée aux grands maîtres de la peinture comme Jan van Eyck ou du dessin comme Albrecht Dürer, qu’elle a recopiés.
Ses premières œuvres sont une magnifique série appelée L’Asphyxie pour laquelle elle utilise la technique du glacis. C’est sa première série engagée dans une dénonciation de ce monde qui nous asphyxie au propre, avec la pollution, comme au figuré. Les personnages qui sont représentés dans cette série portent tous des masques à gaz d’ancien modèle, objet qui lui-même fascine l’artiste.
Ensuite elle en est venue à dénoncer le massacre des animaux marins, cétacés, pieuvres, et autres. Ces peintures ont pour fond le drapeau du pays qui organise la chasse et la pêche de ces animaux, par exemple la Chine pour les requins et leurs ailerons, ou le Japon pour les baleines. Ce sont des peintures d’atelier exposées dans un lieu mythique de Bruxelles qui est le Beer Circus. Rose a beaucoup d’autres cordes à son arc ; elle a aussi appris la technique du moulage dans un atelier de la Rue de la Glacière et réalise de très beaux moulages de mains auxquelles elle joint souvent un accessoire lié à la profession ou à la passion de son modèle. Elle a approfondi ses connaissance à l’atelier de moulages des Musées du Cinquantenaire.
Un jour de 2016 la mairie de Forest a proposé aux artistes, aux enfants et aux habitants de la commune de décorer les bornes électriques grises de la compagnie Sibelga avec des peintures. Rose de la Haye a sauté sur cette occasion pour défendre la cause animale, mais elle voulait accompagner ses peintures d’un slogan.
« Je me suis demandé quel est le meilleur représentant de ceux que l’on appelle injustement les nuisibles ? J’ai estimé que le renard, qui est traqué depuis des siècles, représente parfaitement le sort des prétendus nuisibles comme le rat, le pigeon, la corneille, la pie. Les fouines par exemple se retrouvent parfois dans les moteurs des voitures desquels elles rongent les câbles, car ceux-ci sont collés avec de la colle de poisson dont l’odeur les attire. »
Et quelle intelligence que la sienne, pour avoir survécu à tant de persécutions… En France on tue 600 000 renards chaque année ! L’étiquette « nuisible » le désigne au massacre perpétuel, on peut le tuer en tout temps, 365 jours par an, lui et ses petits, même dans leur terrier. Le slogan Je ne suis pas un nuisible s’est donc imposé comme une évidence.
Rose a définitivement quitté son atelier pour le Street Art. Parfois elle retourne à son petit atelier pour des commandes comme des reproductions de tableaux anciens, mais c’est dans la rue qu’elle s’épanouit le plus, dans la défense de cette cause qui lui tient à cœur.
Un jour, une dame à Uccle l’invite à peindre un renard sur la façade de sa maison. Une autre fois c’est Jean-Michel, le patron des restaurants Toucan Brasserie et Toucan sur Mer qui lui demande de venir peindre un renardeau sur une petite borne devant son restaurant.
Ses renards sont partout dans Bruxelles. Pour les peindre, elle utilise l’acrylique qui est une technique plus opaque. C’est une peinture industrielle préparée spécialement pour elle chez Miniox, le spécialiste en peinture.
Son tendre amour du renard m’a rappelé cette ancienne Fable de La Fontaine, La Rose et le Renard, certes moins connue que Le Corbeau et le Renard, mais peut-être vous souvient-il de l’avoir aussi apprise à l’école ? Je trouve en tous cas qu’elle colle parfaitement au caractère de notre artiste, comme si le fabuliste en avait eu la prémonition, et je ne résiste pas au plaisir de la partager avec vous. Quoi de mieux que la poésie pour rendre hommage à son art pictural ?
La Rose et le Renard
Une fort jolie rose de la haie
Par Zéphyr tendrement balancée
Se prélassait au soleil de printemps
Tige, feuilles et pétales au vent
De nature calme et inspirée
Elle avait appris à peindre au chevalet
Et partageait ses œuvres à la ronde
Car la Beauté soutient le Monde
Maître Renard se promenait de beau matin
Faisant briller ses crocs adamantins
Il déambule, hume l’air, prend la pose
Et foudroie aussitôt le cœur de Mademoiselle Rose
Il venait se désaltérer dans les eaux
D’une onde pure. La rose déploie son art :
Hé ! Bonjour Monsieur du Renard
Que vous êtes joli, que vous me semblez beau !
Sans mentir, si la rousseur de votre pelage
Se rapporte aux feux de vos regards
Vous aurez tôt fait de séduire mon jeune âge
Et de mettre mon cœur en bazar
Belle plante, répond l’animal gracieux et sage
La galanterie n’est plus mon apanage
Vos déclarations dureront ce que dure un instant
Allez, vous vous lasserez de moi avant longtemps
Que nenni ! dit la rose désolée
De mes sentiments vous vous méprenez
Je sais ce qu’en mon cœur pour vous je ressens
Et j’en veux pour preuve ce serment :
Moi, Rose de la Haie
Devant toute la faune et la flore en aéropage
Solennellement ici je m’engage
A toujours vous chérir et vous aimer
A ces mots le renard ne se tient plus de joie
Il aimerait s’engager dans cette même voie
Mais comment envisager cet hymen
Quand on ne possède pas de pollen
Soudainement des chasseurs surgissent
Et avisant le doux mammifère
Pointent sur lui leurs armes de fer
Pensant bientôt s’accaparer sa pelisse
Interrompant leur doux badinage
Le renard devenu proie
Estime qu’il serait plus sage
De poursuivre cette conversation une autre fois
Connaissant l’Homme aux instincts cruels
Et ses affreux penchants meurtriers
Notre héros velu poursuit sa fuite perpétuelle
Prenant son élan vers la forêt
Il déclame bravement avant de détaler:
Ô créatures brutales et insensibles
Pourquoi ainsi me persécuter ?
Je ne suis pas un nuisible !
Ce furent là les dernières paroles
Que Belle Rose ouï de son nouvel ami
Plusieurs détonations éclatent, balles folles
Mais Goupil d’un bond s’échappe dans les taillis
Assassins ! d’où vient tant de violence
Contre cette magnifique créature innocente ?
Vous êtes des lâches, exécrable engeance
Ignobles briseurs d’amours naissantes !
Mais le vent léger emporte au loin
Les protestations de la rose empourprée
Sans que les chasseurs ne prennent le soin
D’accorder un regard à la plante abandonnée
Rose esseulée se désespère :
Je ne puis suivre la course de mon amant
Mes mouvements sont doux et ondulants
Lui est rapide comme l’air
Il ne reste plus à la rose que la peinture
Pour faire revivre l’instant fugace
D’un coup de foudre, d’une aventure
Qui à peine entamée se fracasse
Et, amoureuse, depuis lors elle peint
Sur les murs gris des villes
Le souvenir de son galant rouquin
Le renard vif et gracile