Dracula : Le dernier voyage du Demeter
Dracula revient dans un film retraçant un moment précis du roman : le voyage qu’il effectue de Roumanie jusqu’à Londres à bord du voilier Demeter. Autant vous dire que ça va saigner !
Le film
Réalisé par le Norvégien André Øvredal (The Troll Hunter, The Jane Doe Identity, Scary Stories), le film est une adaptation de seulement 6 pages des 480 pages de mon édition du célèbre roman Dracula (1897), intitulées Journal de bord du Demeter de Varna à Whitby.
L’histoire est connue des vampirologues amateurs et professionnels : Le navire de commerce Demeter quitte la Transylvanie pour un long voyage vers Londres, avec à son bord une mystérieuse cargaison. D’étranges événements vont alors survenir et décimer peu à peu les membres d’équipage. Les survivants vont tenter de combattre la présence maléfique qui sévit chaque nuit sur le Demeter.
C’est un film d’horreur américain avec dans les rôles principaux : Corey Hawkins (The Walking Dead), Aisling Franciosi (The Unforgivable), Liam Cunningham (Game of Thrones), David Dastalmchian (Oppenheimer, Dune). Et Javier Botet, bien connu pour ses interprétations de monstre, de tueur, de zombie, car il souffre d’une maladie appelée Syndrome de Marfan. Il est atteint d’hyperlaxité de certains tissus, caractérisée par des doigts extrêmement longs et fins, une grande taille de près de deux mètres. Il interpréte, vous l’avez deviné, le rôle de Dracula.
Le film a été tourné dans les studios de Berlin à Babelsberg et aussi sur l’île de Malte, dans la forteresse de Mdina. La musique est de Bear McCreary, compositeur de musiques de films comme Le Seigneur des Anneaux.
Il est des mystères que l’on peut à peine imaginer, et que l’on ne résoudra qu’en partie.
Bram Stoker, Dracula
Ce que j’en pense
Pour aller voir ce film je me suis fait accompagner d’un authentique vampirologue que les lecteurs de Culturius Magazine ont déjà rencontré, Christian Chelman, le conservateur du fameux Surnateum. Mieux vaut recevoir un avis éclairé quand on est plongé dans les ténèbres des cauchemars vampiriques.
Autant vous le dire tout de suite, le film nous a beaucoup plu !
Le scénario est très fidèle au roman, Dracula est un vrai Dracula, c’est-à-dire que c’est un monstre et pas un dandy aristocratique en queue de pie, les images sont belles, l’ambiance enlevée et le film dure juste ce qu’il faut pour maintenir le rythme, une heure et demie. L’idée de mettre en exergue une partie seulement du roman est très bonne car elle permet d’approfondir les rapports humains entre les différents protagonistes de cette aventure, coincés dans un huis clos horrifique.
Christian Chelman me fait remarquer que Dracula est typique d’un genre qui avait du succès à l’époque, la littérature d’invasion. C’est un genre basé sur l’idée que l’Angleterre est en danger d’invasion par des ennemis extérieurs. Dans le cas de Dracula c’est un vampire roumain qui arrive secrètement à Londres. Mais d’autres romans, comme La Guerre des Mondes de H. G. Wells (1898) reprennent le thème de l’invasion, dans ce cas extraterrestre.
Il m’indique que Dracula fut immédiatement un grand succès de librairie, et la couleur de la couverture d’un jaune vif, a joué un grand rôle. En effet, à l’époque, cette couleur était réservée aux romans érotiques, comme avertissement aux chastes lecteurs. Les éditeurs ont imposé cette couleur à Stoker car ils estimaient que les scènes d’amour de Lucy et du vampire, et d’autres passages, relevaient de ce genre littéraire un peu sulfureux. Les sept premières éditions de Dracula ont été imprimées avec cette couverture jaune, intrigante et attirante.
Enfin, Chelman relève une des rares incohérences du film : la transfusion sanguine alors que le film se passe en 1897. Si celle-ci est connue depuis plusieurs siècles, elle avait à l’époque un taux de réussite très faible et la mort était plutôt au rendez-vous de cette opération. Pour que ça marche il fallait que le hasard fasse que le donneur soit un donneur universel O+ et/ou que le receveur soit AB+ c’est-à-dire receveur universel. Or les groupes sanguins n’ont été découverts qu’en 1900 et la première transfusion réussie par poche eût lieu en 1914 par le docteur belge Albert Hustin. Mais c’est un détail, pas de quoi se faire un sang d’encre.
Sans avoir connu les affres de la nuit, un homme ne peut savoir à quel point est douce et chère pour l’œil et le cœur la lumière du matin.
Bram Stoker, Dracula
Inspiré d’une histoire vraie : le Dmitry
Christian Chelman m’a appris que Bram Stoker a séjourné dans la petite ville portuaire de Whitby, au nord-est de l’Angleterre, durant l’été 1890. Pendant un mois il s’est intéressé à l’histoire locale et plus particulièrement au naufrage d’un navire cargo russe, le Dmitry, survenu lors de la grand tempête du 24 octobre 1885. C’était un navire parti du port de Narva dans l’Empire russe, aujourd’hui en Estonie. Il avait sept hommes d’équipage qui parvinrent à échouer le navire malgré qu’il fut démâté par la tempête ; ils survécurent tous les sept. Un autre bateau, le Mary and Agnes, fut lui aussi pris au même moment dans la tempête et sombra, mais une chaloupe envoyée pour sauver les marins parvint à les ramener tous à terre sains et saufs, sous les applaudissements de la foule qui assistait au sauvetage depuis la terre ferme.
Dans le roman le Demeter part du port bulgare de Varna. Il est curieux de constater les similitudes entre les noms des bateaux, Dmitry et Demeter, et plus encore entre les ports respectifs de Narva et Varna, l’un étant l’anagramme de l’autre. Bram Stoker a voulu respecter le lien avec la véritable histoire, comme un clin d’œil, car si quelqu’un veut prendre la mer en quittant la Transylvanie, il se rendra plutôt à Constanta, grand port roumain sur la Mer Noire qui est beaucoup plus proche du Col de Borgo où habite Dracula, que Varna en Bulgarie. Mais dans le roman les ports sont surveillés, donc il est plausible que Dracula tente sa chance plus loin.
Rappelons aussi que Demeter est la déesse grecque de la Terre, or c’est bien une cargaison de terre de Transylvanie qui sert de terreau magique à Dracula que transporte le bateau. Dans la mythologie, sa fille Perséphone est enlevée par Hadès, le souverain des morts… Il lui a fait manger six pépins de grenade (rouge sang) et Perséphone est coincée auprès de lui, car selon la légende quiconque mange dans le Royaume des Morts ne peut plus le quitter. Un cas antique de vampirisme plus vrai que nature.
Melissa Sartore dans son récent article du National Geographic explique : « Au fil de ses discussions avec les pêcheurs de Whitby, Stoker eut vent du nombre incalculable de décès qui eurent lieu en mer dans la région. En parcourant les pierres tombales de Whitby, le romancier recueillit près de quatre-vingt-dix noms, dont le nom de famille « Swales », afin de les utiliser ultérieurement dans son roman. Dans Dracula, peu après l’arrivée du Demeter, il écrit : « Mr Swales a été retrouvé mort sur notre banc, ce matin, le cou tranché. »
Nous savons aussi qu’il a fréquenté la bibliothèque de Whitby où il a lu An Account of the Principalities of Wallachia and Moldova de William Wilkinson, prenant des notes qui lui serviront plus tard dans la rédaction de son roman.
Quand on y pense, c’est quoi la vie, sinon espérer autre chose que ce qu’on est en train d’y faire ?
Bram Stoker, Dracula
Bram Stoker le Mystérieux
Abraham Bram Stoker a été bercé par les légendes du folklore irlandais que lui racontait sa mère. Plus tard il deviendra l’administrateur du Lyceum Theatre de Londres, poste qu’il occupera pendant 27 ans. C’est dans ce lieu que se réunit un curieux club, La Compagnie des Beefsteaks, qui réunit des personnalités férues d’histoires étranges et de bizarre. Il y rencontrera en 1890 le professeur Arminius Vambery, géographe orientaliste hongrois, membre de l’Académie Hongroise des Sciences, mais aussi un passionné de surnaturel et d’ésotérisme. Il encourage et nourrit la passion de Stoker pour le sujet et l’instruit sur le vampirisme et la personnalité de Vlad Tepes, Vlad l’Empaleur, aussi surnommé Dracula. Curieux personnage que ce Vambery qui se convertit trois fois. Né Juif, il se convertira au catholicisme, puis au protestantisme, avant de se faire enfin musulman. Il promet à Théodore Herzl de lui organiser, contre monnaie sonnante et trébuchante, une audience chez le Sultan afin de négocier l’indépendance de la Palestine, mais il se contentera d’empocher l’argent et n’organisera pas de rendez-vous. Il était aussi un espion pour le compte des services secrets anglais, et il oeuvrait contre l’expansionnisme russe en Asie Centrale dans le cadre de ce que l’on appelait Le Grand Jeu.
La rumeur dit que Bram Stoker aurait fait partie de la Golden Dawn, mais nous ne disposons pas de document l’attestant. C’était une société secrète ésotérique et occultiste fondée à Londres en 1888 par William Wynn Westcott, et qui regroupa un certain nombre de personnalités anglaises et irlandaises. On dit qu’il aurait rejoint la société secrète à la recherche d’inspiration et dans l’idée de se documenter sur les pratiques occultes et les rites magiques. C’est possible, plusieurs de ses amis et proches en faisaient partie. On retrouve une description très reconnaissable de la personnalité du mage Aleister Crowley qui dirigea la secte dans la description que Stoker fait du personnage de Caswall dans son dernier roman Le repaire du ver blanc paru un an avant sa mort.
Mais son inspiration vient aussi des nombreux romans vampiriques disponibles à l’époque, comme The Vampyre de Polidori, ou Carmilla de Sheridan Le Fanu, ou encore Le Château des Carpathes de Jules Verne, ou bien Le Capitaine Vampire de Marie Nizet. C’était la mode des vampires, il y en avait partout, voyez l’article sur La Vampiresse du Père-Lachaise. Aujourd’hui les vampires sont toujours tendance, comme le prouve le dernier roman de Giacometti et Ravenne, Le Graal du Diable.
Dracula, le plus beau roman du siècle !
Oscar Wilde à la sortie de Dracula en 1897
Extrait du Journal de bord du Demeter
« Le 17 juillet (hier), l’un des hommes, Olgaren, est venu dans ma cabine et, terrorisé, m’a confié que selon lui il y avait un inconnu à bord. Il m’a dit que, durant son quart, il s’était abrité derrière le rouf, car il pleuvait à verse, et qu’alors il avait vu un grand homme mince, qui ne ressemblait à aucun des membres de l’équipage, remonter l’escalier des cabines, aller vers l’avant du pont puis disparaître. Il l’avait suivi avec attention mais, arrivant à hauteur des joues du navire, n’avait trouvé personne, alors que les écoutilles étaient toutes fermées. Il était en proie à un accès de panique de frayeur superstitieuse, et j’ai peur que cette panique ne soit contagieuse. Pour l’apaiser, je procéderai ce jour à une fouille minutieuse du bateau tout entier, de l’étrave à la poupe. »
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